Les forces de Stephan MacLeod nous offrent un parcours idéal à travers les cantates chorales de Bach le long d’une année liturgique
Jean Sébastien Bach (185-1750). The Complete Chorale Cantates. Gli Angeli Genève, Stephan MacLeod, Francis Jacob, orgue. Textes de présentation en français, anglais et allemand. 21H 30’14.19 CD. Gli Angeli Genève.
C’est un moment important de la vie de Bach, musicien et croyant, que nous offrent aujourd’hui l’ensemble Gli Angeli et son chef Stephan MacLeod : l’enregistrement du cycle de cantates chorales composées par le compositeur le long de sa deuxième année au poste de cantor de Leipzig. Le genre s’inscrit en plein dans l’éthique de Luther qui faisait haut cas de la musique et disait lui-même : il prie doublement celui qui chante. Son fer de lance demeure le choral, destiné par sa simplicité à être chanté par tous, au culte ou en privé à la maison. Dans une cantate chorale, le compositeur va bâtir son œuvre sur un choral choisi comme un prolongement du sermon du pasteur (les deux se concertaient en principe en amont). Les plus longues cantates étaient même divisées en deux parties qui encadraient le prêche dont on oublie aujourd’hui qu’il atteignait aisément une heure entière !
Le choral est à la base de la pratique chantée du culte luthérien : il offrait à la congrégation des fidèles l’occasion de s’associer à l’office par un chant d’un abord aisé mais fervent et didactique. Luther publia un premier recueil en 1524 qui contient plusieurs chorals écrits de sa main. D’autres compositeurs vont s’emparer du genre, à commencer par ses fidèles collaborateurs Conrad Ruppf et Johann Walter, bientôt suivi par l’élite des musiciens nord-allemands, le genre se perpétuant jusqu’au 21e siècle puisque cette édition genevoise en comporte six pièces de Jean Saint-Yves, un organiste et compositeur actuel.
Les cantates suivent le déroulement de l’année liturgique. Mais attention, celle-ci ne correspond pas à l’ordre traditionnel qui commence avec l’Avent mais débute plutôt le premier dimanche après la Trinité pour se terminer lors de cette fête l’année suivante. Les catholiques divergent eux aussi en faisant débuter le cycle au premier dimanche après la Pentecôte. Il n’empêche que cette année protestante comporte bien 52 cantates même s’il n’y a pas de cantates durant les trois derniers dimanches de l’Avent, ni durant le carême. Cette absence est compensée par les grandes fêtes (Noël, Pâques, Pentecôte, Epiphanie, Ascension, fête de la Vierge et des saints, jour de l’An). Ce coffret comprend en outre trois cantates non attribuées et une cantate profane, celle du « mariage » elles aussi centrées dans le moule de la cantate chorale.
La composition de cantates était une activité importante des cantors et avec ses quelques 300 œuvres, Bach fait pâle figure à côté de Telemann (1300) et Graupner (1425) même s’il est acquis qu’un certain nombre sont perdues. Mais personne n’a atteint cette pénétration intime de la musique et du sacré qui crée un moment magistral. Ce qui est certain, c’est qu’il tenait à fournir un cycle complet, s’empressant après les années 1725/6 de traiter les dates restées vides.
C’est un superbe travail de présentation qui accueille l’auditeur. Pour chaque cantate, on commence par une pièce d’orgue conçue autour du choral du jour : 18 sont de la plume de Jean-Sébastien, 7 de celle de Krebs et 6 de François Saint-Yves mais on retrouve aussi des noms célèbres comme Böhm, Buxtehude, Pachelbel et même Brahms.
Vient ensuite le choral chanté a cappella, ensuite suivi de la cantate où la mélodie domine le chœur d’entrée et est généralement reprise dans le choral final, souvent sur un texte différent. Entretemps, elle réapparait partiellement ou totalement dans certain airs et récitatifs du corps de la cantate. Chaque cantate répond à sa propre ambiance et c’est le grand bonheur de cette édition de bénéficier du commentaire érudit mais néanmoins immédiatement abordable de Philippe Albéra, par ailleurs également responsable d’un remarquable texte de présentation. Un travail fouillé qui rend hommage à ses sources et notamment à l’incontournable Gilles Cantagrel.
Cette volonté de didactisme habite également la réalisation musicale, particulièrement sensible à offrir le juste accompagnement, servi par une palette instrumentale aussi riche que pertinente. Vocalement, Gli Angeli s’inscrit ouvertement dans la lignée des offices évoqués : pas de théâtralisation excessive, ni de virtuosité mal venue. Tout ici est juste, probe, servi par une mise en place imparable dans des tempi bien ajustés. souvent plus allants et par là plus naturels que la plupart de leurs collègues. Les solistes qui, généralement viennent du chœur, s’intègrent parfaitement dans cette complicité collective qui visent à servir l’ensemble plutôt qu’à éblouir abusivement.
Avec pour effet, qu’en dépit d’une caractérisation souple de chaque cantate, l’ensemble obéit à une ligne de force inébranlable qui, au fil des écoutes, crée une osmose naturelle avec l’auditeur. Certes, nous sommes face à une édition qui n’a pas été créée pour fournir une écoute continue et chaque cantate doit se déguster individuellement, fort des commentaires pertinents de Philippe Altéra. Mais à chaque retour, le mélomane ressentira l’impression de se retrouver confortablement chez soi, tout en se demandant ce que les interprètes vont avoir à lui raconter.
Comparées aux autres cycles disponibles, Stephan MacLeod s’inscrit dans une lignée fervente mais mesurée, loin des potentiels coups de boutoirs d’un Harnoncourt ou des sommets émotionnels d’un Herreweghe, plus proche sans doute dans son esprit de Suzuki mais plus investie dans le rendu religieux. En soi un juste milieu qu’il maintien tout au long du parcours avec un naturel confondant.
Clairement, cette édition s’inscrit dans une lignée réformiste qui soumet l’ensemble à une stricte unité de conception tout en soulignant les individualisations musicales ou textuelles. A ce titre, on pourrait dire qu’elle constitue un missel idéal pour une année liturgique vécue de l’intérieur. Certains trouveront cette homogénéité revendiquée parfois lassante mais ce serait oublier combien elle impose une continuité révélatrice qui fait tout son prix. Comme tel, le monument liturgique est sans égal et constitue un enrichissement pointu de la discographie du cantor.
Son : 10 - Livret : 10 - Répertoire : 10 - Interprétation :9
Serge Martin