L’excellent Schumann de Mitsuko Uchida

par

Robert Schumann (1810-1856) : Waldszenen, op.82 – Sonate n°2 en sol mineur, op.22 – Gesänge der Frühe, op.133
Mitsuko Uchida, piano
2013–DDD–59’14’’–Textes de présentation en anglais, français et allemand–Decca 478 5393

Véritable spécialiste du répertoire germanique, Mitsuko Uchida s’attaque à trois sommets de la littérature schumanienne pour cette nouvelle parution. Trois œuvres pour trois grandes périodes du compositeur. Les neufs pièces contrastées des Scènes de la forêt ouvrent le programme avec élégance et fraicheur. Autour du Bréviaire de chasse de Henrich Laube, la pianiste s'empare de chaque pièce et leur univers, en les unissant par des caractéristiques communes (répétitions de motifs, forme). Très pointue sur les dynamiques (peut-être trop ?), quelques libertés, ne perturbant à aucun moment le discours musical, se dessinent. Beau travail de finesse sur la polyphonie de la troisième pièce, tandis que le caractère plus « allemand », est bien représenté dans l’avant-dernière pièce. L’ « Oiseau prophète » nous emmène dans un monde lointain où le vol des oiseaux, d’arbre en arbre, s’imagine facilement. La Sonate n°2 en sol mineur connaît divers changements au cours de sa création. Egalement inspiré par un texte externe, les poèmes de Justinus Kerner, on se souvient de l’enthousiasme de Clara, malgré son scepticisme pour le dernier mouvement, jugé trop difficile. Quatre mouvements : Le premier, caractérisé par une énergie récurrente, ne cesse de se déployer et envoûte l’auditeur. Caresse musicale pour le second. Scherzo dynamique aux envolées lyriques, enveloppe le troisième tandis que le dernier (finalement transformé) répond au premier par son énergie fébrile. Impulsif, il embrasse l’atmosphère délicate des fragments plus calmes et suaves. Lecture intelligente où le travail sur le détail est appréciable. Son approche de la partition est juste et éclairée. Les Gesänge der Frühe, œuvre inachevée, suggère calme et sérénité par l’image de la nuit et l’émergence de l’aube naissante (pour rappel, Schumann compose ce cycle quelques jours avant de rejoindre l’asile psychiatrique). Et pourtant, après une première pièce aux harmonies classiques, tel un hymne, une partie plus agitée autour de ré majeur se dessine. Quelques dissonances, une mélodie élaborée et une rythmique plus agitée (apparition de croches dans la mélodie), exposent une sorte d’accélération de la dynamique avant les derniers accords de tonique, concluant la pièce. Même travail pour la troisième pièce ; modulations surprenantes et langage de plus en plus riche, voire exaltant. Douceur pour la quatrième pièce, censée être fougueuse (flot de triples croches). La mélodie, continue, large, est sans à-coups ni arrêts. La dernière pièce, par son harmonie complexe, explore à nouveau les confins du temps d’où surgit une voix allant crescendo, d’un naturel et d’une beauté remarquable. Uchida développe dans cette œuvre une sensibilité et une compréhension remarquable. Ce CD dévoile la primauté de l’émotion sur la technique, ce qui fait toute la richesse du travail de la pianiste pour ce troisième enregistrement Schumann.
Ayrton Desimpelaere
Son 10 – Répertoire 10 – livret 10 – Interprétation 9.5

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