L’œuvre pianistique de Szymanowski, volume 2 : pages de jeunesse

par

Karol Szymanowski (1882-1937) : 9 Préludes op. 1 ; Variations en si bémol mineur op. 3 ; 4 Etudes op. 4 ; Fantaisie en do majeur op. 14. Joanna Domańska, piano. 2020. Notice en polonais et en anglais. 60.41. Dux 1673.

La pianiste polonaise Joanna Domańska (°1959), formée à Cracovie puis à l’Académie Szymanowski de Katowice, s’est perfectionnée à Paris auprès de Livia Rév (1986/87). Lauréate du Concours Long-Thibaud en 1981 et du Concours Alessandro Casagrande de Terni l’année suivante, elle a mené une carrière internationale de soliste, participant à de nombreux festivals. Titulaire d’une classe de piano dans l’établissement où elle avait entamé ses études, elle a été, de 2011 à 2017, Présidente de la Société Szymanowski, et responsable de divers programmes autour de ce compositeur. Elle est à l’origine d’un Concours international Szymanowski, destiné au violon, au piano, au chant, à la musique de chambre et à la composition. Dès 1993, la firme Olympia (OCD 344) a accueilli le premier récital qu’elle a consacré au musicien dont elle est devenue une spécialiste. Les Masques op. 34 et les 20 Mazurkas op. 50 y figuraient. En 2007, elle gravait un programme en duo avec Andrzej Tatarski (Dux 0576) qui proposait notamment la version du ballet Harnasie pour deux pianos. L’année suivante, Domańska entamait une intégrale pour le même label : Métopes op. 29, 12 Etudes op. 33, Sonate n° 3 op. 36 et Quatre danses polonaises (Dux 0615). Voici le deuxième volume de cette série, enregistré en février 2020 dans la salle de concert de l’Académie Szymanowski de Katowice. Il est voué à des pages de jeunesse composées entre 1899 et 1905. 

Né en Ukraine, le Polonais Karol Szymanowski, cousin du virtuose Heinrich Gustav Neuhaus (1888-1964), entame l’étude du piano avec son père avant de poursuivre sa formation à Varsovie. Très vite attiré par la composition, le jeune Karol se met à écrire dès ses dix-sept ans ; il subit l’inévitable influence de Chopin, mais aussi de Scriabine dans les neuf Préludes de son premier opus, qui sera publié en 1906. Il s’agit de courtes pièces lyriques, qui adoptent souvent un ton pensif et méditatif, typique de l’évolution personnelle d’un jeune artiste en recherche de son propre langage. Les indications Andante, Lento et Moderato dominent, seul le Prélude n° 5 est marqué « impétueux ». L’ensemble évoque des passions sous-jacentes, des moments d’affliction ou de séduction. Chronologiquement, les Variations op. 3 suivent de peu ces premiers morceaux. Elles datent du début des années 1900 mais ne seront publiées qu’en 1910. Szymanowski travaille, à l’orée du siècle, avec Zygmunt Noskowski (1846-1909) et suit les conseils de son professeur quant à la structure de l’œuvre. Une série de douze variations s’enchaîne sur un thème de choral mélancolique ; entre aspects poétiques ou chantants, allusion à une marche funèbre ou airs de mazurkas, elles indiquent toujours un artiste en évolution, dont la jeune maturité se dessine peu à peu, encore nourrie de Chopin mais aussi de références schumaniennes ou brahmsiennes. 

Dans les 4 Etudes de l’opus 4, écrites elles aussi en cette même période, on retrouve de similaires influences globales, mais Scriabine semble dominer. C’est une prolongation des Préludes qui expriment surtout des émotions, des états d’âme, témoignant du caractère essentiellement lyrique de l’inspiration d’un compositeur qui porte toujours la marque de son temps (Didier Van Moere, Karol Szymanowski, Fayard, 2008, p. 43). Mais l’évolution est sensible : le langage pianistique est plus affirmé, les tensions émotionnelles sont plus creusées, plus passionnées. Ces Etudes se déclinent en élans, puis en légèreté, avant de trouver dans la troisième d’entre elles une ferveur latente et de s’achever par un Allegro plein d’audaces, indices de l’avancée de l’inspiration du compositeur. La Fantaisie de 1905, qui achève ce récital, prend une autre dimension. Szymanowski a maintenant vingt-trois ans, et il a mis beaucoup de lui-même à parachever peu auparavant son Ouverture de concert op. 12, premier essai symphonique plein de flamme. Celle-ci parcourt aussi l’opus 14, en trois parties enchaînées, avec une fougue très lisztienne, que le Grave initial évoque irrésistiblement. Une impétuosité passionnée caractérise la deuxième partie, avant un Allegro molto, deciso, energico dévastateur. D’autres aventures, familiales (la mort brutale de son père) et musicales, viendront bientôt alimenter l’avenir du compositeur.

Joanna Domańska propose de ces pages de jeunesse une version d’une belle musicalité, dans un engagement sans excès et sans surprise qui ne rend peut-être pas tout à fait justice à la Fantaisie pour laquelle on aurait souhaité plus d’engagement. Mais elle construit patiemment son parcours, avec probité, dans un contexte équilibré de couleurs et de rythmes, comme si elle voulait illustrer l’évolution vers la maturité de Szymanowski. Au niveau des intégrales pianistiques de ce dernier, et pour se limiter à elles seules, on a le souvenir des beaux disques d’Andrzej Stefanski dans le milieu des années 1980 (Adda), de ceux de Martin Roscoe, plus neutres (Naxos, années 1990), ou de l’investissement de Martin Jones (Nimbus, 1999). Ce dernier conserve notre préférence au stade actuel de la discographie. 

Son : 9  Notice : 9  Répertoire : 9  Interprétation : 8

Jean Lacroix 

 

 

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