Avison, quatre concerti d’après Scarlatti : suggestive lecture par une vaillante équipe espagnole

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Charles Avison (1709-1770) : Concertos in seven parts done from the Lessons of Domenico Scarlatti : no 5 en ré mineur, no 6 en ré majeur, no 9 en ut majeur, no 12 en ré majeur. Domenico Scarlatti (1709-1770) : Sonates K. 11 en ut mineur, K. 27 en si mineur, K. 87 en si mineur, K. 213 en ré mineur. Emmanuel Resche-Caserta, violon. Ensemble Tiento Nuovo, Ignacio Prego, clavecin & direction. Octobre 2020. Livret en espagnol, anglais allemand, français. TT 67’57. Glossa GCD 923526

En 1709, après des études musicales au Trinity College de Dublin, Thomas Roseingrave profita d’une bourse pour se rendre en Italie. À Venise il rencontra Domenico Scarlatti qui l’impressionna et dont il devint proche, au point d’en publier en 1739 quarante-deux Essercizi per gravicembalo. Cette publication suivait celle de trente Essercizi imprimés à Londres (1738) par B. Fortier, l’unique recueil de Sonates dont Scarlatti autorisa l’édition parmi les 555 qu’on lui prête, même si d’autres circulaient alors en Europe. On trouve ces sonates en tête de la classification établie par le musicologue américain Ralph Kirkpatrick. Bien avant que les Ballets Russes produisent en 1917 Les Femmes de bonne humeur dont la partition pioche à d’autres pièces du Napolitain, des clavecinistes tel Joseph Kelway (c.1702-1782) contribuèrent à la « Scarlattimania » qui s’empara de l’Angleterre. C’est dans ce contexte que Charles Avison eut l’idée d’utiliser ces sonates comme source pour des Concerti Grossi, un genre dont raffolaient la bourgeoisie et l’aristocratie. 

Après le succès d’un premier concerto écrit en 1743 selon ce procédé d’emprunt, Avison s’empressa d’en composer onze autres, partagés entre concertino et ripieno. Il ne s’agit pas d’arrangements stricts car allure, caractère, tonalité sont modifiés. Le corpus des Essercizi comprend une majorité de pièces vives, ce qui explique les changements de tempo pour respecter l’alternance lent/vif au sein de la structure quadripartite, d’autant qu’Avison n’avait accès qu’à un nombre restreint de copies manuscrites des partitions de clavecin. Ces acclimatations peuvent banaliser l’invention et oblitérer les astuces clavieristiques de l’original, mais visent « à exprimer plus efficacement ce charme mélodique et cette douceur des enchaînements harmoniques », suivant une doctrine de l’expressivité et du sentiment propres à Francesco Geminiani, que louait Avison. Une transition vers une esthétique préclassique et galante qu’attestent aussi les concerts d’abonnement où celui-ci faisait par exemple entendre les Pièces de clavecin en concerts de Jean-Philippe Rameau.

La discographie n’est pas restée sourde aux attraits de ce corpus si populaire en son temps : Neville Marriner privilégiait l’agrément dans ses trois vinyles captés en octobre 1978 chez Philips, gravant le tout premier enregistrement des douze concertos. Suivi par une autre intégrale vers 1985, chez Koch Schwann, puis celles du Brandenburg Consort de Roy Goodman (Hyperion, 1994) apportant une vigueur bienvenue, et du bien-nommé Ensemble Avison (Divine Art, 2008). La décennie 1980 vit fleurir quelques anthologies : Bournemouth Sinfonietta de Ronald Thomas (Emi), Jean-François Paillard (Erato) et Tafelmusik à Toronto (CBC Records), épris de divertissement virtuose. Plus récemment, outre un accommodement pour panel de mandolines autour de Leonardo Lospalluti (Digressione, 2016), on remarquera la réussite de Concerto Köln (Berlin Classics, 2015).

Dans le livret, Ignacio Prego confie que les enregistrements scarlattiens de Scott Ross résonnaient dans la demeure familiale et l’accompagnent depuis l’enfance. Ces souvenirs ont prédisposé au présent album. Lequel nous propose quatre des douze Concertos, suivis par autant de Sonates dont la K. 11 qui inspire l’Allegro du cinquième, en ré mineur. Observons que le clavecin (Titus Crijnen d’après le fameux Ruckers 1624 du Musée de Colmar) est capté au même niveau lorsqu’il joue en soliste, ce qui émousse sa présence et confère aux quatre sonates un attrait plutôt pâle. Par ailleurs, à supposer que l’intérêt soit documentaire, pourquoi Ignacio Prego a-t-il choisi de jouer trois sonates étrangères aux concertos plutôt que les dix qu’ils prennent comme modèle ?

Au demeurant, l’interprétation ne reste pas figée devant le texte mais se l’approprie, quitte à pratiquer quelques adaptations de détail : « nous avons essayé d’envisager l’ornementation en recourant à un langage proche de celui de Scarlatti et nous avons pris quelques petites libertés, par exemple en changeant l’instrumentation » dans le Lentemente du Concerto no 12. Face au témoignage de Café Zimmermann (Alpha, 2002), l’équipe espagnole impose une lecture tout aussi robuste, mais plus svelte, plus nuancée, et d’un spectre expressif particulièrement large. Comparez ainsi les gazes du Temporeggiato de l’opus 12 et l’extravagance du Con Furia de l’opus 6, où l’archet d’Emmanuel Resche-Caserta accomplit des prodiges. Maints paysages affectifs habitent la poésie de cette interprétation particulièrement suggestive. La variété des inflexions et des élans traduit aussi une approche rythmique qui évite toute monotonie. Les phrasés brillent par leur intelligence (ainsi le célèbre Largo de l’opus 5 qu’on croit redécouvrir) : un fin travail sur l’éloquence qui honore les réflexions d’Avison, auteur de l’ouvrage An Essay on Musical Expression publié en 1752. Avec de tels ingrédients à son actif, si Tiento Nuovo s’aventure dans une intégrale, comment douter qu’elle pourrait dignement coiffer la discographie du compositeur de Newcastle upon Tyne ?

Christophe Steyne

Son : 9 – Livret : 9* – Répertoire : 8-9 – Interprétation : 9,5

*NB : attention, au verso du digipack, les dates de naissance et de décès d’Avison et Scarlatti sont interverties

 

 

 

 

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