30 ans du Festival Sinfonia en Périgord

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Le festival de musique baroque Sinfonia en Périgord a fêté sa 30e édition cette année, après une annulation l’année dernière. C’est aussi la dernière édition de son directeur artistique David Theodorides (également directeur de l’association CLAP, organisatrice du festival) qui vient d’être nommé Directeur Général de l’Abbaye aux Dames à Saintes. Un concert de jeunes talents au début de l’après-midi, un concert de musique de chambre à 17h dans des petites églises de la région, et une soirée avec une formation importante à 21h à Périgueux, rythment le quotidien du Festival.

Concerts de 17h, la viola da spalla et le clavecin

Proposé par Samuel Hangebaert et Ronan Khalil, deux musiciens fondateurs de Acte 6, le programme « Rivals » est une excellente occasion pour apprécier la viola (ou le violoncello) da spalla, répandu notamment en Italie mais aussi en Allemagne aux XVIIe et XVIIIe siècle et redécouvert depuis une quinzaine d’années. Le maintien par l’épaule droite à l’aide d’une bandoulière rend le jeu plus propice à la virtuosité, grâce aussi à la cinquième corde. En effet, la tessiture aiguë des pièces jouées au cours de ce concert (Sonates en la mineur RV 43 et en mi mineur RV40 de Vivaldi, ainsi que celles en fa majeur, en do majeur et en mi mineur op. 1 de Marcello) suggère le violoncello da spalla au lieu du violoncelle. Faisant de l’instrument une partie de son corps par des gestes naturels, Samuel Hangebaert fait résonner la belle sonorité boisée proche de basson, longue, suave et onctueuse. L’acoustique de l’église de Chantérac se prêtant parfaitement au répertoire, l’écoute procure un vrai plaisir. Les commentaires du musicien entre deux pièces ainsi que la grande complicité entre les deux musiciens, rendent le concert plus plaisant et détendu.

Le lendemain, au grand salon de la Préfecture, Ronan Khalil revient pour donner un récital composé d’œuvres de Rameau et de Duphly. Il remplace au pied levé (en moins de 24 h !) le claveciniste initialement prévu. Les deux compositeurs n’ont pas de secret pour ce brillant claveciniste des Ensemble Desmarest (dont il est fondateur) et Pygmalion ; il propose trois Suites qu’il constitue avec des pièces prises dans différents recueils, une pratique courante à l’époque. Il les joue avec beaucoup de style ; une certaine gravité règne dans un prélude alors que Les Tendres plaintes de Rameau sont pleines d’affects, ou encore, La Forqueray de Duphly est dominée par une vigueur souple… Chaque pièce est interprétée comme un joyau unique, laissant une grande fraicheur à l’issue du récital.

Splendide San Giovanni Battista de Stradella par Le Banquet Céleste

Le vendredi soir, Le Banquet Céleste dirigé par Damien Guillon présente la version mise en scène de San Giovanni Battista de Stradella. Quelques représentations (avec Maria Callas en 1949 dont on n’a aucune trace) et enregistrements existants n’ont jamais fait soupçonner l’image somptueuse que propose cette production, tant sur le plan musical que visuel. Parsemée d’harmonies audacieuses et de rythmes intrigants, la musique de Stradella sonne encore aujourd’hui extrêmement neuve par sa diversité. Considéré comme inventeur du concerto grosso, le compositeur manie l’orchestre en toute liberté. Quant aux voix, le récitatif, le recitar cantando, l’arioso ou l’aria (parfois étonnamment mélodieux à l’instar du belcanto) se mêlent, et ce avec diverses styles et ornements : ici à la manière de plain-chant, là à la Monteverdi, encore là à la Haendel… Les chanteurs se prêtent tout à fait au jeu avec chacun(e) une magnifique vocalité. Parmi eux, le contre-ténor Paul-Antoine Bénos-Djian, dans le rôle de Saint Jean-Baptiste, offre une prestation éblouissante, mettant merveilleusement en valeur la puissance, la justesse du ton et la sensibilité de sa voix de contralto. Au pupitre central, Damien Guillon dirige avec conviction, comme s’il insufflait sa propre vie à l’œuvre. Le décor et les costumes splendides, comme tout juste sortis de peintures italiennes du XVIIe siècle, ravissent les yeux autant que les oreilles, et situent cet oratorio à mi-chemin de l’opéra qui, à l’époque, était en train de prendre racines durables.

« Rameau chez la Pompadour », recréation d’opéras par Les Surprises

Le dernier concert de cette 30e édition de Sinfonia est honoré par l’Ensemble Les Surprises sous la direction de Louis-Noël Bestion de Camboulas. Il s’agit de Le retour d’Astrée en re-création mondiale et de Les Sybarites en version inédite, tous deux de Rameau. Au temps de Louis XV, Madame de Pompadour rivalisait avec Marie Leszczynska en matière de l’art, notamment dans la musique. C’est dans cette période que naquirent les « opéras fragments » qui, à l’instar de l’opéra ballet, rassemblaient des actes ou entrées de diverses autres œuvres. Rappelons que la veille, Ronan Khalil a déjà présenté son récital avec le même procédé. Le Retour d’Astrée, recréé ce soir, est un acte de ballet en prologue de l’opéra Les Surprises de l’Amour (1748), dont l’Ensemble tire d’ailleurs son nom. Quant aux Sybarites, c’est également un acte de ballet, créé à Fontainebleau en 1753. Ils sont plus tard intégrés à certaines représentations des Surprises de l’Amour (notamment en 1757 et 1758).

En résidence croisée de 2020 à 2023 du Festival Sinfonia et du Centre de Musique Baroque de Versailles (CMBV), Les Surprises enregistrent le concert en direct pour un projet discographique.

Les chanteurs rivalisent d’expressivité pour rendre vivantes ces partitions diverses. Le baryton David Witczak se distingue particulièrement par son éloquence vocale, au timbre chaud et finement ombrageux. La soprano Jehanne Amzal se détache du chœur (dont les sopranos sont de chantresses du CMBV) pour chanter "Un Plaisir" dans Le Retour de l’Astrée. Si sa voix encore jeune prendra un peu de temps pour son plein épanouissement, sa musicalité est indéniable, et on suivra volontiers son évolution. L’excellence de Marie Perbost et d’Eugénie Lefebvre n’a plus à prouver. Philippe Estèphe et Clément Debieuvre (diplômé du CMBV) sont des espoirs du chants français dont on attend le développement des carrières.
Investi entièrement, Louis-Noël Bestion de Camboulas dirige l’orchestre avec dynamisme et les musiciens lui répondent par une réactivité exemplaire.

Avant le concert, David Theodorides donne son tout dernier discours au Festival Sinfonia. La salle applaudit chaleureusement celui qui, depuis trente ans, a fait rayonner la musique sur le territoire périgourdin.

Photos © Association CLAP

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