L’œuvre pour/avec orgue d’un compositeur viennois réfugié aux États-Unis

par

Richard Stöhr (1874-1967) : Suite pour orgue et violon opus 102 ; Cinq Intermezzi pour piano et harmonium opus 35 ; Sonate pour orgue en ré mineur opus 33. Jan Lehtola, orgues de l’église de la Réconciliation de Hollola et de l’église Saint Paul d’Helsinki. Anna-Leena Haikola, violon. Annikka Konttori-Gustafsson, piano. Janvier-mai 2020. Livret en anglais.  75’12. Toccata Classics TOCC 0280

Quel point commun entre Marlene Dietrich, Herbert von Karajan, Samuel Barber et Rudolf Serkin ? Ils comptèrent parmi les élèves de Richard Stöhr, compositeur, théoricien (auteur d’un Praktischer Leitfaden der Harmonielehre en 1906) et pédagogue. Comme Arnold Schönberg, il naquit à Vienne en 1874, et émigra aux États-Unis : en 1939, cinq ans après le compositeur de Moïse et Aron. Bien que converti au christianisme après ses études de médecine, il était né d’une famille hongroise de confession juive, et pour cette raison fut éconduit en 1938 par les autorités nazies d’Autriche qui résilièrent son engagement à l’Académie de musique de la capitale autrichienne, où Stöhr exerçait depuis 1903. Il se réfugia donc outre-Atlantique où il fut embauché au Curtis Institute de Philadelphie puis au St Michael’s College dans le Vermont, où il s’éteignit en sa 93e année. Il avait pris coutume d’échanger des cartes de vœux avec… Leonard Bernstein. La plupart de ses œuvres de la période européenne furent éditées, en revanche rien de ses trois décennies sur le sol américain, bien qu’il y continua à composer !

On lui doit sept symphonies (deux furent jouées par le Wiener Symphoniker : celle en la mineur sous la baguette d’Oskar Nedbal en décembre 1909 puis Hans Maria Wallner en mars 1911, celle en la mineur par Martin Spörr en août 1926), de la musique orchestrale, quinze Sonates pour violon, du piano solo, des lieder. Aucun opéra mais des pages chorales, comme l’oratorio Der Verlorene Sohn, ou le Weihnachtsmärchen donné à Vienne en décembre 1937, peu avant son exil. Sa musique de chambre reste jouée, principalement aux États-Unis (où le Quatuor à cordes en ré mineur opus 22, les Pièces pour piano opus 17 et la Sonate pour violoncelle opus 49 ont été programmées plusieurs fois ces dix dernières années) et même enregistrée. Toutefois la discographie est rachitique (quelques CDs chez Harmonie ou ORF) : ce compositeur doit ainsi une fière chandelle au label Toccata Classics qui a dédié quatre volumes à ce répertoire.

Ce nouvel album se consacre à l’orgue, en solo ou duo. L’opus 35 (1913) prévoit d’ailleurs un harmonium mais faute de trouver l’instrument adéquat en Finlande, Jan Lehtola a opté pour le petit orgue de la Sovituksenkirkko d’Hollola (25 jeux sur deux claviers et pédalier). Peut-être aurait-on pu aussi choisir un de ces instruments chambristes bourrés de charme que cet organiste nous avait révélés dans son SACD Jugend Art Nouveau (chez Alba, 2010) ? Des pages élégantes, de tournure post-romantique ou torturée dans un esprit fin de siècle pour l’Allegro molto. Le Steinway galbé par Annikka Konttori-Gustafsson n’est pas avare de couleurs, et son dialogue avec les tuyaux respire avec naturel et convivialité, jusque dans le mignon Vivace.

La Suite opus 102 fut dédiée à Natilee Marston et date des premières années dans le Vermont. Elle dure ici sur dix-sept minutes et demie (et non 7’31 comme indiqué au verso de la couverture du disque). Une noble guise de sarabande laisse place à un mouvement central poétiquement intitulé « papillon et fleur » puis à un Allegro giusto où l’on détecte le même lyrisme naturaliste (Stöhr s’est-il inspiré des paysages de la Nouvelle Angleterre ?). Ces tableaux sont servis avec austérité, voire trop, par l’archet d’Anna-Leena Haikola qui semble se rattacher à une expression sobrement néoclassique.

La Sonate nous ramène à 1914. L’exorde de l’Allegro con brio rappelle le début de la première (en fa mineur) de Mendelssohn. Suit ce que Jan Lehtola qualifie de carillon (0’56),  bientôt soudé au retour de l’introduction solennelle (1’54). Une sorte de comptine apparaît périodiquement (6’45) dans ce décor largement déployé (un quart d’heure) qui aurait peut-être requis davantage d’ampleur, de motricité et de lumière : plutôt que suspecter l’interprétation, vaillante, on regrette surtout que la captation manque de relief. L’Andantino pastorale défile comme une procession de Noël, au gré de quelques variations. L’Allegro vivace s’ébroue enfin dans le sillage de l’école symphonique française, enchâsse un cœur délicat, avant la reprise (3’51) de la toccata qui mériterait que les micros accordent davantage de flamboiement. Conclusion qui s’agite sur les fonds graves (6’50) puis s’envigore avec panache.

Au-delà de ces trois œuvres annoncées en first recordings, il reste beaucoup de choses à redécouvrir dans la production de Stöhr, notamment ses pièces orchestrales, certaines incluant l’orgue. Par exemple cette Fantasie für Orgel und großes Orchester : qui l’a entendue depuis le public viennois en novembre 1911 ?

Son : 8 – Livret : 10 – Répertoire : 7 – Interprétation : 8 (Suite)  9 (Intermezzi, Sonate)

Christophe Steyne

 

 

 

 

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