Alexandre Dumas et la musique, de romances en mélodies

par

Alexandre Dumas et la musique. Airs de Jules Massenet, Hector Berlioz, Franz Liszt, Henri Duparc, Benjamin Godard, Joseph Doche, Gilbert Duprez, Hippolyte Monpou, Alphonse Varney, André Messager, Edmond Guion, César Franck, Henri Reber et Francis Thomé. Karine Deshayes, mezzo-soprano ; Marie-Laure Garnier, soprano ; Kaëlig Boché, ténor ; Raphaël Jouan, violoncelle ; Alphonse Cemin, piano. 2020. Notice en français et en anglais. Textes poétiques en français avec traduction anglaise. 67.25. Alpha 657.

Alexandre Dumas est mort le 5 décembre 1870. L’association Jeunes Talents, la caisse mutualiste Groupama Val de Loire et la Société des Amis d’Alexandre Dumas, dont le siège est au Château de Monte-Cristo, dans la commune de Port-Marly, à quelques kilomètres de Versailles, ont décidé de commémorer les 150 ans de la disparition de l’auteur des Trois Mousquetaires en lui consacrant un album d’œuvres vocales composées sur des textes de son œuvre. Claude Schopp, grand spécialiste de Dumas dont il est le biographe le plus reconnu, est président de la Société des Amis de Dumas depuis 2010. Il signe un texte d’introduction au projet pour rappeler que l’écrivain avait avec la musique une relation malheureuse. Il cite une lettre dans laquelle Dumas dit : Moi, l’homme le moins mélomane que je connaisse, il faut bien que je l’avoue à ma honte ! Et, quelques lignes plus loin : Mon âme chante juste, soulignant le paradoxe d’un créateur qui écrira encore dans un article : La poésie n’aime pas la musique, parce qu’elle est elle-même une musique. Quand la poésie a affaire à la musique, elle n’a donc point affaire à une sœur, mais à une rivale. Claude Schopp rappelle que, malgré ses réticences face à une soi-disant incompatibilité entre les deux arts, Dumas a collaboré avec des compositeurs en rédigeant des livrets d’opéras, en ajoutant à ses pièces de théâtre des couplets à chanter et en acceptant de la musique autour de ses vers pour des romances de salon. Le signataire ajoute enfin que les créateurs qui ont emprunté des vers à Dumas ont été nombreux, qu’ils soient célèbres ou peu connus. Le présent CD est là pour démontrer qu’en fin de compte, l’écrivain et la musique font bon ménage.

Parmi les dix-sept plages au programme, onze font appel à des textes de Dumas. Berlioz évoque La belle Isabeau, un conte héroïque dans lequel la jeune amoureuse d’un chevalier est enlevée de la cellule où son père la retient, par le noble personnage qu’elle aime. Avec la scène dramatique Jeanne d’Arc au bûcher, le poète résume en vingt-cinq vers bien construits le parcours de cette figure historique. Liszt en assure avec force et conviction les élans divers. L’Ange de Joseph Doche (1799-1849) et Nita la gondolière, du célèbre ténor Gilbert Duprez (1806-1896), proposent un délicat nocturne, puis un air d’insouciance vénitienne. Amour, printemps - Printemps, amour ! d’Edmond Guion (c. 1820-1892) se fait complice de tendres échanges, avant que César Franck ne pare Le Sylphe d’ombres diaphanes protectrices. Pour Le Jardin, qui évoque des parfums embaumés entretenus par l’amour-horticulteur, on découvre deux versions (avec de petites nuances textuelles) dues à Henri Reber (1807-1880) et à Francis Thomé (1850-1909). Le nom des compositeurs et les thèmes choisis indiquent à suffisance l’intérêt et la diversité que la poésie de Dumas suscite. Celle-ci est d’une qualité que l’on ne qualifiera pas globalement de haute, mais elle respire la facilité de plume, le charme et l’aisance du trait. 

Berlioz, Doche et Guion sont attribués à Karine Deshayes ; Liszt, Franck et Reber à Marie-Laure Garnier ; Duprez et Thomé au ténor Kaëlig Boché. Ce dernier chante aussi l’air de Raoul tiré du Chevalier d’Harmental, un opéra-comique en cinq actes d’André Messager de 1896, sur un livret de Paul Ferrier. On sait que ce brillant roman, écrit en collaboration avec Auguste Maquet, parut en 1843 et précéda de peu l’écriture de la trilogie réservée aux mousquetaires et celle du Comte de Monte-Cristo. On est ici en pleine galanterie sur fond d’intrigues et de complot, c’est badin et plaisant. On découvre encore des ensembles destinés aux trois protagonistes vocaux. Piquillo, opéra en trois actes d’Hippolyte Monpou (1804-1841), sur un livret de Dumas associé à Nerval, a été créé en 1837 à l’Opéra-Comique. Cette histoire sur fond de brigandage -le héros est un voleur espagnol- comporte des trios, dont celui qui est proposé permet à un cavalier de rassurer les dames quant à son courage face aux dangers. L’exaltant Chœur des Girondins, tiré du Chevalier de Maison-Rouge d’Alphonse Varney (1811-1879), peut être considéré comme un autre hymne national français : il fut chanté sur les barricades en 1848.

Une caractéristique de ce CD est de faire appel à des artistes chevronnés et d’offrir leur chance à de nouveaux, qui ont participé à l’aventure des Jeunes Talents. Karine Deshayes, dont la capacité à donner tout leur sens aux mots est bien connue, se révèle idéale dans ses quatre airs isolés dont elle traduit l’intimité, la chaleur ou la subtilité avec toute la qualité d’une voix harmonieuse et équilibrée. On est parfois réticent pour Marie-Laure Garnier, soprano d’origine guyanaise, qui peine dans certains aigus et dans la précision de l’articulation, alors que dans les moments plus feutrés, elle est convaincante. Le ténor Kaëlig Boché est par contre impeccable lors de chaque intervention : la diction est présente, la voix dégage une impression de souple clarté. Alphonse Cemin, qui est aussi chef d’orchestre et de chant, est un habitué des récitals. Son partenariat pianistique est précieux, car il est à la fois discret et porteur ; quant au jeune violoncelliste Raphaël Jouan, qui a fondé en 2014 le Trio Hélios, on découvre à quatre reprises la belle sonorité qu’il déploie dans l’accompagnement.

Les six plages complétant ce panorama qui se veut dumasien nous laissent perplexe, car le lien direct avec le dramaturge-romancier-poète semble peu évident. Le CD s’ouvre de manière étonnante par l’Elégie de Jules Massenet sur des vers de Louis Gallet (1835-1909). Serait-ce l’opéra de Saint-Saëns, Ascanio, dont le livret est lui aussi de Louis Gallet d’après la pièce Benvenuto Cellini de Paul Meurice, autre collaborateur de Dumas, qui explique sa présence ? Cet air nostalgique est chanté par le ténor et le violoncelle. Théophile Gautier est présent avec l’exotique La Fuite mise en musique par Henri Duparc (Marie-Laure Garnier et Kaëlig Boché), ainsi que Victor Hugo, avec La Captive extraite des Orientales, mise en notes par Berlioz, et Soleil couchant, tiré des Feuilles d’automne, par Massenet (Marie-Laure Garnier les deux fois). Doit-on considérer qu’il s’agit, dans le cas de ces deux romantiques, d’un hommage rendu pour les aventures communes vécues avec Dumas ? Mais alors, qu’en est-il de Benjamin Godard (1849-1895) dont la berceuse est empruntée au lamartinien Jocelyn ? La réponse est peut-être à trouver dans l’autre texte de la notice, signé par Olivier Bara et intitulé « De romances en mélodies ». L’auteur y souligne le bouquet varié visant à mettre en valeur la mélodie française et à retrouver l’art délicat de convoquer en quelques mots, en quelques notes, tout un monde lointain et perdu… Une piste qui ne dissipe pas la perplexité.

Ne boudons cependant pas notre plaisir pour cet enregistrement effectué à la Salle Colonne à Paris en mai 2020, dans un bon confort sonore, même s’il aurait été complet avec un programme « Dumas 100 % ». Dans la liste des compositeurs ayant emprunté à Dumas et signalée par Claude Schopp, Meyerbeer et Reyer sont cités parmi des noms moins connus. N’était-ce pas de ce côté qu’il fallait chercher pour assurer une cohérence absolue à ce projet original et bienvenu ?

Son : 9  Livret : 9  Répertoire : 8  Interprétation : 8  

Jean Lacroix 

 

Vos commentaires

Vous devriez utiliser le HTML:
<a href="" title=""> <abbr title=""> <acronym title=""> <b> <blockquote cite=""> <cite> <code> <del datetime=""> <em> <i> <q cite=""> <s> <strike> <strong>

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.