L’univers sonore insolite de Zbigniew Bargielski

par

Fonoplasticon. Zbigniew Bargielski (°1937) : Quintette pour cordes et piano « Schizophonie » ; Quintette pour vents et piano « Fonoplasticon » ; Concertino pour piano et orchestre. Maria Murawska, piano ; divers interprètes ; Orchestre Accademia dell’Arco, direction Lukasz Hermanowicz. 2022. Notice en polonais et en anglais. 44.51. Dux 1973.

Le label Dux poursuit l’exploration du répertoire de la si riche musique polonaise. C’est à un méconnu chez nous qu’il consacre le présent album. Originaire de Lomza, cité de l’est de la Pologne dans la voïvodie de Podlachie, Zbigniew Bargielski se consacre au droit à Lublin, mais fait surtout le choix de la musique qu’il étudie à Varsovie à partir de 1958, puis à Katowice, avant d’obtenir une bourse qui lui permet de suivre les cours de Nadia Boulanger à Paris en 1966/67. On le retrouve ensuite à Graz où il apprend la percussion à la Hochschule für Musik. Il vit en Autriche (Klagenfurt, Graz, Vienne) pendant de longues années avant de rejoindre son pays natal, où il enseigne à Cracovie de 2005 à 2014. Son répertoire comprend des œuvres orchestrales, des concertos (notamment pour la percussion), des pages de musique de chambre et pour instruments solistes, mais aussi des opéras, au nombre desquels un Danton (1968/69), Le Petit Prince, d’après Saint-Exupéry (1970) ou Alice au pays des merveilles (1971/72), ces deux derniers étant destinés à la jeunesse

Le présent album Fonoplasticon se présente chez Dux comme un volume 2 consacré à Bargielski. Il fait suite, chez le même éditeur, à un autre album, Panopticum (2019, deux CD), avec pochette à la graphie futuriste similaire, qui a proposé des pièces pour piano du compositeur, interprétées par la Polonaise Maria Murawska (°1959), spécialisée dans les partitions de ses compatriotes (Chopin, Paderewski, Bacewicz, Szymanowski, et des contemporains). Bargielski, qui a connu une période d’activité journalistique culturelle de 1965 à 1978, s’est créé au fil du temps un style personnel caractéristique, basé, comme l’explique la notice de la musicologue Violetta Przech, sur la sélection et la systématisation des paramètres qui organisent la musique, notamment le son et sa fréquence. Le Quintette à clavier « Schizophonie » de 2012 est une composition hybride d’un peu moins de vingt minutes qui oppose une mélodie traditionnelle à des éléments en recherche de nouveautés sonores, créant ainsi un amalgame entre un style baroque et un avant-gardisme qui ne fait pas abstraction de notions lyriques, dramatiques ou émotionnelles. Bargielski a créé ici deux univers sonores en divergence, le quatuor jouant comme dans un monde de cantilène, sérieux et digne, le piano étant agité. Les actions s’inversent, à la manière d’un espace artistique qui peut faire penser à un jeu schizophrénique. Une fascinante démonstration qui agit sur les nerfs de l’auditeur, tout en le plongeant dans une atmosphère mystérieuse et sans contrôle. L’Interprétation très engagée des cordes (Pawel Radzinski et Michalina Radzinska aux violons, Anna Kreplewska à l’alto et Maciej Kamrowski au violoncelle) répond à la fougue de Maria Murawska. 

Dans le Quintette pour vents et piano « Fonoplasticon » (2016), qui donne son intitulé à l’album, Bargielski propose, en quinze minutes, une série de variations de pièces légères et humoristiques qui se présentent à la manière d’un collage. On prend du plaisir tout au long de ce divertissement un peu fou qui permet à la flûte piccolo (Daniel Rybicki), à la clarinette (Zenon Kitowski), au hautbois (Marek Swatowski), au basson (Grzegorz Dabrowski) et au cor français (Wojciech Brylisnki) de se lancer dans des effets contrastés individuels des plus jouissifs. Le piano de Maria Murawska joue son rôle de partenaire unificateur ou déstabilisateur, des effets de percussion avec la main sur les parties en bois de son instrument venant s’ajouter à l’ambiance. Le titre Fonoplasticon fait référence au Kaiserpanorama, ce système mécanique de disposition stéréoscopique, inventé à la fin du XIXe siècle par l’Allemand August Furhmann, que l’on peut considérer comme un précurseur du film, et que l’on utilisait à la manière d’un kaléidoscope.  

L’album, dont la trop faible durée (moins de quarante-cinq minutes) aurait justifié l’ajout de l’une ou l’autre page de Bargielski, est complété par le bref Concertino pour piano et orchestre en trois mouvements. En dix minutes (Allegro grazioso/Larghetto con espressione/Presto con bravura), le compositeur s’inspire du néoclassicisme et fait le pont avec un langage esthétique moderne accessible. Il s’agit d’une commande, destinée à la jeunesse, pour le Festival International de Musique de Tokyo de 1995. Les effets humoristiques, qui utilisent des éléments populaires, quelque peu liés au jazz, font de cette partition un feu d’artifice que son sous-titre Was für ein dickes, dreibeiniges Tier !, allusion à un animal à trois pattes, entraîne dans un climat de franche légèreté. Maria Murawska, pilier de tout ce parcours original, sert Bargielski avec un talent qui ne se dément jamais. Le chef Lukasz Hermanowicz et l’Orchestre de chambre Accademia dell’Arco de Bydgoscz, cité réputée pour ses festivals de musique et ses activités culturelles, lui offrent un impeccable partenariat dans le Concertino. Un album pour mélomanes curieux et avides de découvertes.

Son : 8,5  Notice : 10  Répertoire : 8,5  Interprétation : 10

Jean Lacroix 

Vos commentaires

Vous devriez utiliser le HTML:
<a href="" title=""> <abbr title=""> <acronym title=""> <b> <blockquote cite=""> <cite> <code> <del datetime=""> <em> <i> <q cite=""> <s> <strike> <strong>

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.