André Caplet, le conteur avec l’Ensemble Musica Nigella
André Caplet (1878-1925) : Suite persane ; La Chanson la plus charmante ; Légende ; Les Prières : Trois fables de La Fontaine : Conte fantastique. Cécile Achille, soprano ; Laurent Deleuil, baryton ; Iris Torossian, harpe ; Emilie Heurtevent, saxophone. Ensemble Musica Nigella, direction : Takénori Némoto. 2022. Livret en français et anglais. Klarthe KLA 166.
Comme tant de compositeurs français de talent, André Caplet est tombé dans un oubli assez scandaleux. Dès lors, on salue avec intérêt cette parution de l’Ensemble Musica Nigella, une formation basée dans le Nord-Pas-de-Calais, à quelques encablures de la frontière belge. Fondé en 2010, cet ensemble ambitionnait d’être le premier ensemble orchestral professionnel du département nordiste. Pour le label Klarthe, il a déjà gravé 5 albums consacrés à des compositeurs français : Ravel, Fauré, Poulenc, Offenbach. Ce nouvel opus consacré à Caplet vient donc prendre place dans une discographie envisagée avec intelligence.
Le programme illustre différentes facettes de l’art élégant de Caplet. Le voyage commence avec la belle Suite Persane, une partition parfumée et illustrative dont on savoure la couleur des timbres et la finesse des mélodies. Les 10 instruments dialoguent avec constance et raffinement.
Autre grand moment instrumental : le Conte fantastique pour harpe et quatuor à cordes, l’une des partitions les moins inconnues de Caplet. Cette œuvre est inspirée par la nouvelle Le Masque de la mort rouge d'Edgar Allan Poe, dans laquelle le prince Prospero tente d'échapper à la mort par la peste en se retirant avec ses amis dans un château isolé. En vain, car c'est là aussi que la Mort Rouge attrape les fugitifs. La harpe symbolise ici la mort, rôle inusité pour cet instrument alors associé à l’illustration de la joliesse. Le Conte fantastique est l’une des meilleures œuvres de Caplet par la palette des couleurs tantôt transparentes, tantôt sombres et fantomatiques. Il se dégage de cette musique un sens du drame qui se développe avec une économie de moyens instrumentaux : le dialogue entre la harpe et le quatuor à cordes.
Autre œuvre instrumentale : la Légende pour saxophone donnée ici dans sa version pour ensemble instrumental. On savoure un ton “fin de siècle”, à la fois nostalgique mais élégant dans sa finesse et sa transparence.
Deux œuvres avec voix complètent ce programme : Les Prières pour voix, harpe et quatuor à cordes. Elles ont été composées dans le contexte de la Première Guerre mondiale alors que le Sergent Caplet, gazé à deux reprisses sur le front, a vu sa santé se dégrader au point de devoir renoncer à son métier de chef d’orchestre. L’émotion d'une piété simple traverse cette partition portée par une économie de moyen qui sert le chant avec un gravité et retenue. Les trois Fables de La Fontaine sont évidemment plus légères de ton. L'œuvre a été laissée inachevée et elle a été complétée par Takénori Némoto, le chef de l’Ensemble Ensemble Musica Nigella. Comme toujours avec des oeuvres sur des textes de La Fontaine, l’esprit est ravi d’autant plus que le rendu musical est idéalement élégant et fin.
Tous les artistes sont engagés et convaincus au service de ce projet. Saluons les prestations des solistes : Cécile Achille, soprano ; Laurent Deleuil, baryton ; Iris Torossian, harpe ; Emilie Heurtevent, saxophone et des pupitres de Ensemble Musica Nigella, dirigés avec soin par Takénori Némoto.
Un disque qui sort des sentiers battus et qui remet, à juste titre, le nom de Caplet sous les radars éditoriaux.
Son : 8 Notice : 9 Répertoire : 10 Interprétation : 9
Pierre-Jean Tribot