L’univers symphonique énigmatique et explosif de Per Nørgård

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Per Nørgård (°1932) : Trois Mouvements nocturnes pour violon, violoncelle et orchestre ; Symphonie n° 8 ; Lysning pour orchestre. Peter Herresthal, violon ; Jakob Kullberg, violoncelle ; Orchestre Philharmonique de Bergen, direction John Storgårds. 2019 et 2022. Notice en anglais, en allemand et en français. 54’20’’. BIS-2502.

Le compositeur Per Nørgård, né près de Copenhague, étudie au conservatoire de la capitale danoise, notamment avec Vagen Holmboe (1909-1996), un disciple de Carl Nielsen, et fait un séjour de deux ans à Paris au milieu des années 1950 pour se perfectionner auprès de Nadia Boulanger. De retour au pays, il se consacre à la critique musicale, à l’enseignement et à l’édification de son propre répertoire, qui compte plus de 400 numéros d’opus. La notice, signée par le compositeur et professeur Kasper Rofelt, son compatriote, signale que ses compositions sont très variées, tant au niveau stylistique que dans leur conception, si bien que l’on peut trouver des différences extrêmes au sein d’un même genre ou d’un même groupe d’œuvres. À son catalogue figurent des opéras, des ballets, des oratorios, une impressionnante liste de musique pour orchestre, dont huit symphonies et de nombreux concertos, de la musique de chambre ou vocale et des pages pour piano ou pour orgue. Ce créateur, dont les œuvres sont trop peu jouées chez nous, doit être considéré, précise la notice, comme le plus grand compositeur danois de musique contemporaine depuis un demi-siècle. 

L’ensemble des huit symphonies, qui s’étalent de 1955 à 2011, a fait l’objet en 2022 d’une remarquable intégrale chez Dacapo, offrant ainsi la possibilité de se rendre compte de l’évolution du créateur en ce domaine. Si la Première évoque le monde de Sibelius, les deux suivantes (1970 et 1972) voient l’entièreté de leur structure déterminée par les séries infinies, un système de superposition des couches musicales. Attiré par les mathématiques et un temps par la musique sérielle, les travaux de sa perpétuelle évolution acquièrent un langage de plus en plus personnel ; ils sont aussi marqués, à la fin de la décennie 1970, par la rencontre avec les œuvres du peintre suisse Adolf Wölfli (1864-1930), créateur de l’art brut. Les symphonies seront désormais empreintes de spiritualité, de moments imprévisibles, avec une préoccupation devant le chaos dans l’ordre de l’univers, et une composante énigmatique et explosive au sein de la Huitième de 2011, qui fait l’objet du présent enregistrement. On reconnaîtra que cette musique n’est pas facile d’accès et que sa densité exige de l’auditeur une écoute attentive.

Commande de l’Orchestre Philharmonique d’Helsinki, la Symphonie n° 8 est dédiée au chef d’orchestre John Storgårds qui a gravé les numéros 2, 4, 5 et 6 avec la Philharmonie d’Oslo en mai 2016 ; on les trouve dans le coffret Dacapo. Mais l’Orchestre Philharmonique de Vienne, sous la direction de Saraki Oramo, l’a précédé, dans le même album, pour le premier enregistrement mondial, capté lors d’un concert public en juin 2014. Storgårds, actuel chef principal de l’Orchestre philharmonique de la BBC, a gravé à son tour cette Huitième les 4 et 5 février 2022 en Norvège, à Bergen, la cité natale d’Edvard Grieg, entourée de montagnes et de fjords.

L’œuvre est en trois mouvements, de structure multidimensionnelle, marquée par un climat à la fois énigmatique et transparent, avec des passages d’une grande douceur, dans le Tempo giusto initial, jusqu’à ce que s’installe une section dynamique où interviennent glockenspiel, vibrato, harpe et piano, avant, comme le dit avec justesse Kasper Rofelt, une évaporation sonore soudaine. Dans l’Andante, traversé par des effets de cordes, de vents diffus ou de percussions variées, la sensation de rêve ressentie est démentie par de brusques explosions. Le mouvement final, mouvementé, fait appel lui aussi à des percussions, à la harpe et au piano, de façon explosive, avant un Lento visionario, dévolu aux cordes, qui se déploie largement avant qu’un solo de violoncelle ne vienne, sur fond de cordes et de cors, laisser la conclusion sous la forme d’une question ouverte. Dans des tempi quasi identiques à ceux de Saraki Oramo, qui offre la part belle aux cordes viennoises, Storgårds et la Philharmonie de Bergen insistent peut-être un peu plus sur le côté sombre de la partition. Mais les visions se complètent idéalement et sont à placer sur le même plan qualitatif. Une brève page pour cordes de 2006, Lysning, prolonge chez BIS l’impression de lyrisme énigmatique qui émane de la symphonie, comme pour en souligner l’aspect, fascinant et troublant, entre ombre et lumière. Le compositeur décrit la pièce comme une clairière

Avant la symphonie, on découvre les Trois Mouvements nocturnes pour violon, violoncelle et orchestre qui, en 2015, ont été destinés à célébrer les 250 ans de la Philharmonie de Bergen. Une autre facette de l’art du compositeur, en l’occurrence une collaboration avec le violoncelliste danois Jakob Kullberg (°1976), pour lequel le créateur a composé, les vingt dernières années, l’ensemble de sa musique pour l’instrument. Cette partition est basée sur le matériau du Concerto pour alto « Remembering Child » de 1986, Kullberg ayant utilisé des esquisses du compositeur pour son développement organique. Cela donne un ensemble renouvelé, auquel se joint un violon solo, avec des changements de couleurs sonores variées, un Andante central entourant deux mouvements proches de l’original pour alto. Les sensations sont aussi bien dramatiques que lyriques, avec divers effets : impression d’accélération incessante de tempo, variété des positions de l’archet sur les cordes, rappel de musique folklorique ou de chansons pour enfants… Une œuvre virtuose et éruptive que servent avec brio Jakob Kullberg et le violoniste Peter Herresthal (°1970), qui a déjà gravé les concertos pour violon de Norgard pour BIS. Le chef mène sans failles la phalange de Bergen dans l’univers tumultueux d’un compositeur qui interpelle et qui est à approfondir

Son : 9  Notice : 10  Répertoire : 9  Interprétation : 10 

Jean Lacroix

Chronique réalisée sur base de l'édition SACD

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