Ma mère L’Oye, L’Enfant et les Sortilèges entre neige et loup à l’Opéra de Paris

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Couplée sur la même scène en 1998 avec le sarcastique Nain de Zemlinski, la féerie lyrique de Ravel L’Enfant et les Sortilèges mise en scène par Richard Jones est associée cette fois au ballet Ma mère l’Oye.

A l’origine destinée au piano à quatre mains, la suite Ma mère l’Oye a été orchestrée puis adaptée par Ravel lui-même pour un ballet représenté deux ans avant la Grande Guerre au Théâtre des Arts sous la direction de G. Grovlez avec les costumes de Drésa et la chorégraphie de Jane Hugard. 

L’interprétation est ici confiée aux élèves de 16 à 18 ans de l’École de Danse et aux chanteurs en résidence à l’Académie de l’Opéra.

Pour sa version initiale, Ravel avait sélectionné cinq extraits de contes du XVIIe siècle (Charles Perrault, Madame d’Aulnoy et Madame de Beaumont) : La Belle au bois dormant, Le Petit Poucet, Laideronette, Impératrice des Pagodes, Les Entretiens de la Belle et la Bête qui se concluent par Le Jardin féerique. Chaque citation figure en tête de la partition à la demande du compositeur.

Pour le ballet, il rédigea lui-même intégralement l’argument. Il y ajouta la Danse du Rouet, cinq Interludes pour les changements de décors et, en conclusion, le Jardin féérique devient Apothéose. Il a également modifié l’ordre des épisodes et introduit les personnages de la Fée Bénigne et de la Princesse Florine. La consultation du document original (Bibliothèque de l’Opéra) montre que le compositeur a pris soin de détailler l’argument, l’ordre et le contenu du ballet.Par ailleurs, la même partition a récemment fait l’objet de recherches musicologiques approfondies dans la cadre de la RAVEL EDITION.

Or, ici, Bénigne et Florine tombent dans les oubliettes. Les intermèdes deviennent prétextes à des épisodes étrangers. Sans explication ni justification « Curieuse », « Barbe-Bleue », « Le Petit Chaperon Rouge » et même un « Loup » entrent en scène !

Tout de blanc vêtus, coiffés d’origamis immaculés, les jeunes interprètes évoluent dans un espace vide sans repères narratifs si bien que, lorsqu’au final, ils se dénudent sous les flocons de neige, le public est charmé mais perdu. Il ne sait pas vraiment à quoi il a assisté.

La salle est conquise par l’engagement d’élèves qui enchaînent pirouettes, portés, pas de deux ou sauts bondissants, avec une ardeur et une touchante spontanéité (adorable bâillement de la Belle au Bois Dormant, Indira Sas) -qualités qui font oublier quelques imprécisions, ou des ports de tête gênés par les costumes. En revanche, la chorégraphie (Martin Chaix) élégante mais peu caractérisée ne contribue pas de son côté à la compréhension du sujet.

Si Ravel a apporté tant de soins à choisir certains contes, certains extraits plutôt que d’autres, à les mettre dans un certain ordre, ce n’est pas par hasard ! Car en effet, tous invitent progressivement et avec une grande douceur, à surmonter les apparences pour accéder à l’amour véritable. Le compositeur y bannit toute trace de violence, n’y convoque aucun animal à l’exception de ses chers oiseaux et surtout pas de loup !

Ignorance, justification pédagogique, indifférence, droits d’auteur ? Les raisons sont probablement mêlées et multiples.

Reste qu’ignorer la volonté de Ravel, revient tout simplement à priver le public des clés du jardin féerique.

La même incompréhension affadit L’Enfant et les Sortilèges. Ainsi, les costumes anthropomorphiques ne permettent pas de savoir à quel objet ou à quel animal nous avons affaire. Comment voir un écureuil dans un aviateur de la guerre de ‘14, une libellule sous la cornette blanche d’une bonne sœur ou une théière derrière un athlète de foire outrageusement musculeux ? Là encore, c’est couper les ailes à une œuvre bien plus profonde qu’elle ne paraît.

Pâtres et Pastourelles (Chœurs de Notre-Dame de Paris) offrent un moment bienvenu de pure poésie tandis que la Maîtrise des Hauts-de-Seine et le Chœur d’enfants de l’Opéra interviennent avec la vivacité et la netteté requises.

La direction assez pâteuse de Patrick Lange s’électrise avec les rag-time et autres fox trot bien enlevés. Côté chanteurs (seconde distribution), on s’étonne qu’une doublure n’ait pas été prévue pour Cornelia Oncioiu aphone (La Maman, la Tasse chinoise, La Libellule).

La Princesse (Teona Todua) touche par sa fine sensibilité musicale et la sûreté de l’émission. A la demande expresse du compositeur -reproduite en bas du programme !- c’est elle qui aurait dû interpréter également le Feu et Le Rossignol d’autant que la fluette Emy Gazeilles peine à passer un orchestre pourtant discret et atteindre les premiers rangs.

L’Arbre d’Adrien Mathonat se montre plein de vigueur tandis que Thomas Ricart investit Théière, Rainette et Petit vieillard au-delà du simple Trial.

Seray Pinar prête son timbre chaud et charnu à L’Enfant et parvient à surmonter la vacuité du décor. Toutefois, sa diction comme celle de la majorité de la distribution mériterait d’être affinée.

En conclusion, un « joli moment » qui aurait pu, et aurait dû, émerveiller. La délicate écologie sonore et morale imaginée par Ravel se dilue sous un linceul blanc d’où surgissent comme des intrus, le Loup, Barbe- bleue et consorts.

Bénédicte Palaux Simonnet

Paris, Palais Garnier, le 23 novembre 2023

Crédits photographiques : Julien Benhamou

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