Malgré deux grands chanteurs, une Carmen un peu décevante

par

Georges BIZET (1838-1975)
Carmen
V. KASAROVA (Carmen), J. KAUFMANN (Don José), I. REY (Micaëla), M. PERTUSI (Escamillo), M. MOODY (Zuniga), K. STRAZANAC (Moralès), S. GUO (Frasquita), J. SCHMID (Mercédès), G. BERMUDEZ (le Dancaïre), J. CAMARENA (le Remendado), choeurs et orchestre de l'Opernhaus Zürich, dir.: Franz WELSER-MÖST, Mise en scène : M. HARTMANN
DVD-2014-166'-Textes de présentation en anglais, français et allemand- sous-titres en français, anglais, allemand-chanté en français-Decca 074 3881

La sobriété extrême sert-elle l'efficacité dramatique ? On peut en douter en visionnant cette production de 2009 de l'Opéra de Zurich. Sauf au troisième acte, le plateau est désespérément nu. Si le début peut un peu surprendre, avec cette arrivée successive de personnages sur scène, l'absence totale de décors et d'accessoires désole les deux premiers actes, malgré l'excellence du tableau de la garde montante/descendante. Et les tristes lampions de l'acte II font craindre la faillite imminente du cabaret de Lillas Pastia. Que se passe-t-il à l'acte des contrebandiers ? La montagne inspira-t-elle soudain Mathias Hartmann ? La lune éclaire un beau paysage nocturne bleuté : voilà un trio des cartes évocateur, un grand air de Micaëla habité, une rencontre Escamillo-Don José bien rôdée : le bonheur théâtral arrive enfin. Las, au dernier acte, on a de nouveau droit au néant absolu, particulièrement gênant au début : la troupe des spectateurs et des enfants décrivent et acclament à tout rompre... rien. Quant au célèbre duo final, il a lieu autour d'un tronc d'arbre. Heureusement, la direction d'acteurs est remarquable, et chaque rôle bien caractérisé. Les contrebandiers, par exemple, même tatoués, sont truculents, et les deux copines de Carmen, malicieuses sous leurs habits de souillon. La valeur ajoutée de cette version est musicale. Welser-Möst utilise la version intégrale de Guiraud, avec tous les récitatifs chantés, et le résultat est excellent : Guiraud savait y faire. Les dialogues parlés forcent aussi les chanteurs étrangers à des interventions pénibles, toutes évitées ici.  Les quatre chanteurs principaux sont aussi acteurs, même la petite Isabel Rey, tresses au vent, Micaëla touchante quand elle déchiquette sa poupée. Le grand rossinien Michele Pertusi campe un Escamillo de belle classe, pas arrogant pour un sou, simple héros charmeur : ça marche, évidemment. Et la voix est si belle. Que dire de Jonas Kaufmann ? Avec ou sans lunettes, il est toujours aussi désarmant, et sa Fleur joliment détaillée. Mais Carmen, c'est avant tout Carmen. Vesselina Kasarova, pas trop bien habillée, y est supérieure et son talent dramatique éclate à chaque instant, palliant à l'absence cruelle de décors. Certaine de sa force, elle domine un deuxième acte,  réussi de bout en bout sur le plan vocal. Sa danse dans l'obscurité et la réaction après l'air de Don José révèlent une belle actrice. Welser-Möst, que l'on a connu plus incisif, dirige correctement. Le dernier acte l'inspire plus, et son prélude souligne enfin la richesse de l'orchestre de Bizet. Une bonne Carmen donc, mais pas tout à fait décisive.
Bruno Peeters

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