Mikhail Pletnev et l’OPMC : entre hommage, intensité et vertige
Mikhail Pletnev remportait en 1978 le premier prix du Concours Tchaïkovski pour piano. Dès lors, sa réputation devint mondiale et son aura presque surnaturelle. Pianiste adulé par ses pairs, il s’est depuis imposé également comme chef d’orchestre et compositeur, bâtisseur d’orchestres et transcripteur génial. Pourtant, il se fait rare sous nos latitudes : c’était la première fois qu’il dirigeait l’Orchestre Philharmonique de Monte-Carlo.
Le concert s’ouvrait avec la Symphonie n°49 en fa mineur" La Passione " de Haydn. Œuvre emblématique de la période Sturm und Drang ("tempête et passion"), elle annonce déjà certains accents du romantisme par son intensité dramatique. Avec un effectif réduit, idéal pour cette pièce, Pletnev offrait une lecture saisissante : minutieusement élaborée, équilibrée, raffinée, d’une vitalité communicative.
La soirée prenait une dimension particulière avec l’hommage à Rodion Shchedrin, disparu le 29 août à l’âge de 92 ans. Le compositeur, connu en Occident notamment grâce à sa Carmen Suite écrite pour son épouse Maïa Plissetskaïa, devait assister au concert. Son Concerto n°6 pour piano et cordes "Concerto Lontano", créé en 2003 pour la pianiste Bella Davidovitch, fut dédié à la mémoire du compositeur
Le jeune Dmitry Shishkin, déjà familier de l’œuvre avec Pletnev, en livra une interprétation éblouissante. Dans ce concerto atonal, construit sur un jeu incessant d’échos et d’imitations, le pianiste fit jaillir toute une alchimie sonore : tintements, éclats, martèlements, suspensions. Son jeu, à la fois raffiné, percutant et puissant, donnait l’impression d’une fusion totale entre les doigts et les touches. La complicité avec Pletnev et l’orchestre fut absolue. Ovationné, Shishkin offrit deux bis d'anthologie, un Scherzo cinglant de Prokofiev (op.52) et une page poétique de Medtner.
En seconde partie, place à un monument : la Symphonie n°14 de Chostakovitch. Première exécution à Monte-Carlo, tout comme le concerto de Shchedrin. Écrite en 1969, à partir de poèmes de Lorca, Apollinaire, Küchelbecker et Rilke, elle s’articule en onze mouvements méditant sur la mort, souvent injuste ou prématurée. Minimaliste dans sa nomenclature – cordes, percussions, célesta, soprano et basse – l’œuvre frappe par son intensité dramatique, amère, sarcastique, sombre comme un chant funèbre universel.
Nadezhda Pavlova impressionna par la puissance et la précision de sa voix, pénétrante jusque dans l’âme. Matthias Goerne, baryton-basse d’une intensité abyssale, donna au texte une gravité bouleversante. Tous deux, forts de leur expérience dans ce répertoire, habitaient chaque mot et chaque ligne avec une intensité rare. On regrettera seulement l’absence de surtitres, privant une grande partie du public du sens des poèmes.
Sous la baguette visionnaire de Pletnev, l’OPMC révéla toute la profondeur de cette œuvre hors norme. Une plongée vertigineuse dans les ombres de Chostakovitch, qui marquera durablement les mémoires.
Monte-Carlo, Auditorium Rainier III, 28 septembre 2025
Crédits photographiques : Irina Shymchak