Mozart, suite d’une intégrale concertante en pépinière : Jonathan Fournel et les territoires de l’ellipse
Next Generation Mozart Soloists vol. 8. Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791) : Concertos pour piano no 18 en si bémol majeur K. 456, no 21 en ut majeur K. 467. Jonathan Fournel, piano. Howard Griffiths, Orchestre du Mozarteum de Salzbourg. Février 2023. Livret en allemand, anglais, français. 57’19’’. Alpha 1039
Projetant d’explorer les concertos de Mozart en dix-huit albums dont voici le huitième, cette collection publiée par Alpha met en lumière des jeunes solistes de la scène internationale. Lauréat au Concours Reine Elisabeth en 2021, Jonathan Fournel a été retenu pour une paire d’opus datés de 1784-85, alors que le Salzbourgeois avait rejoint la capitale autrichienne et pouvait expérimenter ses créations auprès du public viennois. C’est justement dans le K. 456 que le pianiste né en 1993 avait brillé en demi-finale le 15 mai 2021, avec l’Orchestre Royal de Chambre de Wallonie sous la direction de Frank Braley, à huis clos à cause des contraintes sanitaires imposées par la pandémie.
En ce Si bémol majeur, dans le sillage des aînés d’hier, comme András Schiff (Decca) ou Christian Zacharias (Emi), le soliste s’en tient à une lucidité, une économie de moyens dont on chercherait vainement un avatar plus soupesé. Une humilité de diction et d’intention qui dans le premier mouvement contraste avec la direction intuitive et débonnaire d’Howard Griffiths, certes réjouissante en soi et savoureuse en textures. Dans l’Andante, on saluera comment Jonathan Fournel puise dans ses ressources de sensibilité, se traduisant dans de pudiques prises de paroles (4’41, 5’26, 9’18) qui ne se taxent d’aucune préciosité, et qui résistent aux sollicitations dramatiques pourtant incitatives tendues par son accompagnateur. Un orchestre qui pense au théâtre, un pianiste qui se réfugie dans le boudoir : intéressante dialectique, qui se prolonge dans un Finale où le clavier du Lorrain, purgé de toute incertitude, s’empresse dans des exutoires pas toujours assouvis, comme cherchant impérieusement sa contenance au sein de pupitres qui voudraient l’emmener dans leur badinage. Intrigante confrontation du personnage, éperdu dans le décor.
Dans l’introduction du K. 467, la phalange du Mozarteum s’ébroue grassement, interpelle, tape du poing, n’hésite jamais à fulminer, attisée par une baguette prônant la spontanéité, désinhibant une liberté rythmique qui demande un partenaire sans vergogne. Lequel bondit sur ces envolées et en profite pour s’émanciper dans la cadenza, celle imaginée par Dinu Lipatti dont Jonathan Fournel ne trahit pas les jaillissements. Le tempo très mobile choisi pour le célèbre Andante permettrait moins la langueur que l’effusion, sans que le Bösendorfer renonce à un sobre chant, tout en litote, nourri d’une projection équilibrée et de dynamiques subtiles, où le bas de clavier se marie tantôt à la voix du bassoniste, tantôt à l’onctueuse pulsation des cordes graves. L’allure soutenue, l’incessant commerce de timbres qui s’emboivent comme par porosité, nous valent une osmotique exploration où le doux et l’amer ménagent leur ambivalence. Et dont la sagacité à mots couverts conjure la componction : intelligent dialogue, une réflexion conjointe plutôt qu’une rumination, même si les pensées communes ont abdiqué l’insouciance.
Après cette communion qui semble avoir absorbé le potentiel expressif des interprètes, l’Allegro vivace assai file droit, et n’en rajoute pas. L’orchestre autrichien peut se contenter de récidiver dans une démonstration de son zèle. Et le soliste, au-delà de sa nette diction, sa clairvoyance, d’attester sa parcimonie qui assène trop peu pour ne pas révéler beaucoup. Comme Michel Dalberto, un de ses professeurs et immense schubertien, on aimerait à ce titre entendre Jonathan Fournel dans les Impromptus ou quelques ultimes Sonates de l’auteur du quatuor Rosamunde.
Christophe Steyne
Son : 8,5 – Livret : 7 – Répertoire : 9-10 – Interprétation : 8,5