Naples et ses castrats, par un ensemble instrumental voué à ce patrimoine et un jeune chanteur qui tient ses promesses

par

Castrapolis. Johann Adolph Hasse (1699-1783) : Non piangete, amati rai [Ciro riconosciuto]. Giuseppe Porsile (1680-1750) : Six arias d’Il Ritorno di Ulisse alla patria. Alessandro Scarlatti (1660-1725) : Quella pace gradita. Domenico Auletta (1723-1753) : Concerto en ut majeur pour clavecin, deux violons et basse continue. Domenico Natale Sarro (1679-1744) : Dimmi bel neo che fai. Traditionnel : Tarantella del Gargano. Nicolò Balducci, contre-ténor. Anna Paradiso, clavecin. Dan Laurin, flûte à bec et direction. Dolci Affetti. Kate Hearne, flûte à bec, violoncelle. Kerstin Frödin, Ia Neumüller, hautbois. Mats Klingfors, basson. Maria Lindal, Karolina Weber Ekdahl, violon. Joel Sundin, alto. Louise Agnani, violoncelle. Tomas Gertonsson, contrebasse. Dohyo Sol, archiluth, guitare baroque. Juillet 2021. Livret en anglais, allemand, français. TT 81'29. SACD BIS-2585

Illustrant sa couverture par les superbes faïences du couvent de Santa Chiara, et empruntant son titre « Castrapolis » au roman Porporino ou les mystères de Naples de Dominique Fernandez, cet album se veut un hommage à la cité parthénopéenne, tôt associée au mythe des sirènes, et reconnue à l’ère baroque comme un foyer majeur de l’éducation et de la production musicales, célèbre pour l’art vocal de ses castrats. Le programme inclut bien sûr Alessandro Scarlatti, originaire de Palerme, qui devint une figure essentielle du rayonnement napolitain, dont nous entendons Quella pace gradita, une de ses innombrables cantates. Hasse « le Saxon », vint y étudier auprès de lui, avant de se distinguer à la cour de Dresde, où il fit par exemple représenter son Ciro riconosciuto dont on nous propose un dolent air de Cambise, tiré du premier acte, et moiré par flûtes et hautbois. Tour à tour endeuillé ou véhément, ce morceau réclame une caractérisation des affects, une souple conduite du souffle, une large tessiture aux deux extrémités du spectre, tout cela maîtrisé par Nicolò Balducci qui d’emblée place haut la barre.

Deux enfants de Naples sont à l’honneur dans ce SACD, qui nous offre six airs du Retour d’Ulysse dans sa patrie, premier opéra de Giuseppe Porsile, cela dans la mouture d’un manuscrit napolitain investigué par Dan Laurin. Prématurément disparu à trente ans, Domenico Auletta est représenté par un de ses trois concertos pour clavecin, où l’on entend la soliste sur un instrument d’esthétique française, fait en 2008 d’après Nicolas & François Blanchet. Avant de fréquenter le conservatoire Sant’Onofrio, Domenico Sarro naquit de l’autre côté de la botte, à Trani dans les Pouilles, sur ce talon bordé par la mer adriatique. Comme ce compositeur, Anna Paradiso et Nicolò Balducci proviennent de la même région apulienne, ce qui explique certainement pourquoi le récital se conclut par une page folklorique : une tarentelle chantée dans un dialecte du sud de l’Italie.

Fondé par Anna Paradiso et l’éminent flûtiste Dan Laurin qui a mené un important travail éditorial pour cet enregistrement, l’ensemble suédois Dolci Affetti se spécialise dans le patrimoine musical napolitain. Son approche à la fois intense et délicate apporte à ce répertoire une touche singulière, d’un coloris sans excès de chaleur mais classieux. La performance de Nicolò Balducci confirme que le jeune chanteur est de ceux à suivre de près au sein de la galaxie baroque. Parmi les six arias relevant de Telemaco, Elvira ou Creonte, on ne manquera pas le furieux et cavalcadant Tu sei crudel cosi, troussé de mordants et vocalises trillées, véritable démonstration de bravoure et perle de ce disque qu’on a réécoutée dix fois : le contre-ténor ose un timbre incandescent, une projection piquante mais sans raideur, et surtout une ardeur à peine imaginable, maniant en expert le staccato et le délié. Épatant, et le reste de ce copieux album ne l’est guère moins. 

Christophe Steyne

Son : 8,5 – Livret : 9,5 – Répertoire : 8-9 – Interprétation : 9,5

Chronique réalisée sur base de l'édition SACD.

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