Nelson, un opéra de Lennox Berkeley sur les amours et le destin du vainqueur de Trafalgar

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Lennox Berkeley (1903-1989) : Nelson, opéra en trois actes. David Johnston (Lord Nelson), Eiddwen Harrhy (Lady Emma Hamilton), Brian Rayner Cook (Sir William Hamilton), Elizabeth Bainbridge (Mrs Cadogan), Mary Thomas (Madame Serafin), Margaret Kingsley (Lady Nelson), Richard Angas (Captain Hardy), Eric Shilling (Admiral Lord Minto), etc. ; BBC Singers ; BBC Symphony Orchestra, direction Elgar Howarth. 1983. Notice en anglais. Livret complet en anglais. 130.00. Un album de deux CD Lyrita SRCD 2392. 

Dans la décennie 1950, Lennox Berkeley vit une période de succès et de bonheur. Sur le plan personnel, son mariage avec Freda Bernstein, qu’il a connue pendant son travail à la BBC, se concrétise par la naissance d’un premier fils en 1948, le futur compositeur et membre de la Chambre des Lords Michael Berkeley, qui va avoir Benjamin Britten pour parrain. Deux autres fils compléteront la famille. Sur le plan musical, trois opéras vont voir le jour, dont Nelson. Né près d’Oxford, où il va étudier le français et la philosophie au Merton College, Lennox Berkeley réside à Paris pendant cinq ans, entre 1927 et 1932, et y étudie la composition auprès de Nadia Boulanger. De retour au pays, il est engagé pendant le seconde guerre mondiale par la BBC ; après le conflit, il enseigne. Son répertoire abondant fait la part belle à l’orchestre, dont quatre symphonies et plusieurs concertos, mais aussi à la musique vocale et chorale et à la musique de chambre et instrumentale. Ce néoclassique, catholique pratiquant, dont Britten estimait beaucoup l’écriture solide et claire (Gérard Gefen, Histoire de la musique anglaise, Paris, Fayard, 1992, p. 263), se lance aussi dans l’aventure lyrique.

Sur un livret de Alan Pryce-Jones (1908-2000), écrivain, critique littéraire et éditeur, c’est la figure de Lord Horatio Nelson (1758-1805), héros national, vainqueur de la bataille de Trafalgar, au cours de laquelle il trouvera la mort, qui est mise en évidence dans cet opéra de 1954. Berkeley en tire dès l’année suivante une suite d’orchestre d’une quinzaine de minutes ; Sir John Barbirolli en dirige la première à la tête du Hallé Orchestra. Elle sera vite à l’affiche des Prom’s. Berkeley, dont la famille a compté des ancêtres dans la marine et dans les milieux de la diplomatie, entame l’écriture de son œuvre dès 1949, sur la côte du comté de Norfolk, près de Burnham Thorpe, lieu de naissance du futur vice-amiral. 

Au moment où commence l’action musicale, Nelson est auréolé par sa récente victoire sur la flotte napoléonienne lors de ce que l’on a appelé la Bataille du Nil. L’acte I se déroule à Naples, en septembre 1798, dans le palais de l’ambassadeur d’Angleterre, Sir William Hamilton. Avec sa jeune épouse Emma qui a trente-cinq ans de moins que lui, ce dernier a organisé une réception en l’honneur du valeureux combattant. La mère d’Emma, Mrs Cadogan, supervise les préparatifs. L’arrivée de Nelson provoque l’excitation générale. Bien qu’il ait perdu au cours des combats son œil droit, puis son bras droit, l’officier exerce une sorte de pouvoir magnétique, auquel Emma Hamilton n’est pas insensible : elle tombe amoureuse de Nelson. Au cours de la fête, Mrs. Cadogan suggère que la servante de la famille, Madame Serafin, lise les lignes de la main de Nelson. La prédiction est sans appel : il devra un jour choisir entre le devoir et l’amour. L’assemblée aristocratique, Sir William Hamilton compris, a remarqué la trop visible proximité très affectueuse entre Nelson et Emma Hamilton. 

L’acte II est divisé en deux scènes. La première se déroule en 1800 à Londres. Le couple illégitime ne fait rien pour cacher sa passion. L’épouse de Nelson, Frances « Fanny » Nisbet, avec laquelle il est marié depuis plus de dix ans, en est consciente et vit cette idylle comme une humiliation. Des explications s’ensuivent, auxquelles sont mêlés le Capitaine Hardy, proche de Nelson, le couple Hamilton et la mère d’Emma. Les amants proclament leur amour ; ils sont rappelés à la décence. Mais la situation est irréversible. La seconde scène a lieu cinq ans plus tard, en août 1805, dans la maison de campagne de Nelson, à Merton Place dans le Surrey. La bataille de Trafalgar va avoir lieu dans deux semaines. La situation personnelle de Nelson, jugée scandaleuse, le met en difficulté, ce que le Capitaine Hardy, puis l’Amiral Minto, lui font comprendre. Il y a un choix à faire entre Emma et un commandement supérieur. Lors d’un duo exalté, Nelson et Emma se confirment leur amour mutuel, mais l’officier, qui a reçu l’ordre de rejoindre la Navy, se décide à accomplir son devoir.

A l’acte III, la première scène se déroule à Portsmouth, d’où le bateau de Nelson, le HMS Victory, va partir. Une dernière rencontre formelle a lieu entre les amants, leurs sentiments passionnés les transportent. La deuxième scène évoque rapidement la mort de Nelson, mortellement atteint sur son navire par un tireur d’élite. Il expire en prononçant ses derniers mots pour Emma. L’opéra s’achève dans le jardin de Merton Place, où le capitaine Hardy apprend la nouvelle à Emma. Celle-ci pense un instant mettre fin à ses jours, mais elle décide de consacrer sa vie à proclamer son amour pour Nelson.

Sur cette trame qui suit assez fidèlement la vérité historique, Berkeley a écrit une partition néoclassique. Des critiques ne manqueront pas de lui reprocher son traditionalisme dans la lignée de Verdi, mais surtout de Puccini. Pourtant, l’orchestration colorée, les larges et amples mélodies, une qualité harmonique et vocale empreinte de passion, des airs bien tournés, des ensembles menés avec soin et goût et des chœurs équilibrés emportent l’adhésion, même si l’on ne criera pas au chef-d’œuvre.  L’instrumentation raffinée, qui met en valeur les voix, joue des nuances essentielles qui sont les ressorts de l’action : la passion, les conventions, l’appel du devoir, la mort du héros et l’amour qui persiste au-delà de la fin tragique. Les caractères des protagonistes sont bien typés et l’aspect dramatique est souligné sans grandiloquence, généreusement soutenus par la partie musicale. 

On lira dans la copieuse notice d’une vingtaine de pages les détails sur la création de Nelson le 22 novembre 1954, au Sadlers Wells Theatre, sous la direction de Vilém Tausky, avec dans les deux rôles principaux le ténor Robert Thomas et la soprano Victoria Elliott. Neuf représentations allaient suivre la première ; des reprises eurent lieu ensuite à Manchester et à Birmingham. On lira aussi dans la notice de Rob Barnett une série de réactions de la presse anglaise du temps, et l’on appréciera des photographies de la création. 

Le présent album consiste en un enregistrement de studio diffusé par la BBC le 23 octobre 1983. On en doit la sauvegarde à Richard Itter (1928-2014), businessman, collectionneur invétéré et fondateur du label Lyrita. Ce passionné, devenu ingénieur du son indépendant, se lança dans l’industrie du disque dès 1959 en enregistrant dans son salon. A son domicile, muni d’un équipement professionnel de haute gamme, il captait des émissions de la BBC (opéras et concerts divers) qu’il transférait sur des disques acétate, parfaitement rangés. Ceux-ci ne seront jamais joués et seront conservés dans des conditions optimales. Ce Nelson en fait partie. La qualité d’ensemble se situe à un niveau sonore acceptable en ce qui concerne les voix solistes, mais tout n’est pas idéal au niveau des chœurs et de l’orchestre, parfois en retrait. Les limites de la transmission radiophonique apparaissent de temps à autre, mais ne gênent pas vraiment l’audition.  

Le rôle-titre a été confié au ténor David Johnston, qui a connu de belles heures de gloire à Glyndebourne. Agé ici d’une cinquantaine d’années, il est idéal dans le rôle du Lord tiraillé entre le devoir et l’amour. Il a de la vaillance, de la grandeur et des aigus bien assurés. A ses côtés, la soprano Eiddwen Harrhy campe une Emma Hamilton vibrante, submergée par sa passion. Cette cantatrice, aussi à l’aise dans Madame Butterfly que dans la Didon des Troyens, a chanté sous la direction des plus grands chefs d’orchestre sur maintes scènes internationales. Elle permet à son personnage d’assumer tous les états d’âme qu’elle traverse. Ses duos avec Nelson sont exaltés, et dans la scène finale, elle est profondément émouvante. Les autres protagonistes sont bien en place : le baryton Brian Rayner Cook, mémorable dans une série de pages de Britten, est un Sir William Hamilton digne en mari trompé ; la mezzo Margaret Kingsley, autre habituée de Glyndebourne, est l’outragée Lady Nelson. On saluera la performance de la talentueuse mezzo Elizabeth Bainbridge en Mrs. Cardogan. Sa longue carrière lui a permis de se produire à de nombreuses reprises à Covent Garden. Les deux officiers, la basse Richard Angas en Capitaine Hardy et le baryton Eric Shilling en Amiral Minto, sont convaincants. Les rôles secondaires sont bien tenus.

Tout cela fait de cet opéra une bien intéressante découverte. Au-delà de la belle partie vocale (le livret, intégralement reproduit en anglais, permet d’en suivre facilement les péripéties), on est séduit par les moments orchestraux, notamment à l’Acte III lorsque la bataille navale est évoquée avec concision. D’autres oratorios et œuvres lyriques, et non des moindres, ont déjà été publiés par Lyrita, sur la base de la collection de Richard Itter (Alwyn, Bantock, Goossens, Holst, Musgrave, Tippett, Vaughan Williams…). Le présent Nelson de Berkeley en est l’un des fleurons. Les passionnés de la musique anglaise, dont nous faisons partie, thésauriseront cette première mondiale au disque. Un retour sur scène, puis en CD ou en DVD, rendant justice à l’œuvre sur le plan sonore, serait le bienvenu. Il y a là une matière consistante à exploiter. 

Son : 7,5   Livret : 10    Répertoire : 8,5   Interprétation : 9

Jean Lacroix     

 

              

 

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