Pierre Boulez… moine et missionnaire

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Rencontre avec Pierre Boulez à l'occasion de ses... 75 ans !
A l'occasion de ses 75 ans, Pierre Boulez s'était prêté au jeu de l'interview. Ses propos, reflets d'une pensée à la fois incisive et généreuse nous semblent toujours d'actualité, témoins d'un homme résolument tourné vers l'avenir en choisissant ses attaches dans le passé. Un homme qui ne craint pas le perpétuel questionnement auquel il donne réponse avec clarté de pensée et grande sincérité.

- Vous venez d'enregistrer la 8e Symphonie de Bruckner1, un compositeur auquel vous ne sembliez pas attaché… Pourquoi Bruckner… peut-être Sibélius ?
Un représentant de la Philharmonie de Vienne m'a dit un jour: "Vous n'avez jamais dirigé Bruckner. Pourquoi?". Bruckner ne faisait pas partie de mon éducation. Vous allez apprécier cet humour volontaire ou involontaire mais les partitions de Bruckner, je les ai, complètes. Et savez-vous où je les ai achetées? A Darmstadt, pendant les cours d'été; c'est vous dire que cela remonte loin: je n'ai plus remis les pieds à Darmstadt depuis 1965 ! A la suite de quoi je les ai achetées ? Probablement à la suite d'une conférence ou d'une conversation avec Adorno. En tout cas, j'en avais pris connaissance à cette époque mais je ne les ai jamais dirigées. Quand les musiciens de l'Orchestre de Vienne m'ont demandé pourquoi je ne les dirigeais pas, je me suis dit: "pourquoi pas"? Ca m'intéressait comme cela m'avait intéressé de diriger Parsifal quand Wieland Wagner me l'avait demandé en 1965. Il était encore plus incongru de diriger Wagner à cette époque que Bruckner aujourd'hui, des univers qui ne m'ont pas été familiers durant mon éducation. Je me souviens que Messiaen n'a jamais analysé une seule note de Bruckner; c'est le seul compositeur à propos duquel je l'ai vu sarcastique, lui qui, en général était d'une grande bonté. Un jour, il m'a dit: "Ah! Bruckner, il n'y a que des ponts". Traduisez: "côté développements, il n'a pas beaucoup d'idées". C'était un espèce de préjugé français dont je me suis aujourd'hui débarrassé.
Sibélius, c'est autre chose. Il y a beaucoup de choses qui ne me passionnent pas chez Sibélius. J'ai parlé avec le manager du London Symphony et il a été question de la 7e Symphonie. Mais rien n'est encore sûr. J'ai entendu de superbes interprétations de Sibélius par George Szell avec l'Orchestre de Cleveland lorsque je partageais avec lui une tournée au Japon. C'était en 1967. Il y dirigeait la 4e. Si je m'aiguillais là-dessus, c'est quand même la 7e qui m'intéresserait davantage.

- Dans vos enregistrement futurs, peut-on s'attendre à ce que vous alliez encore plus loin dans le temps que Bruckner?
Non, je ne pense vraiment pas… ces auteurs, comme Brahms, sont bien pourvus en interprètes. Ils n'ont pas besoin de moi.

- A 20, 25 ans, auriez-vous pu penser que vous mèneriez une telle carrière de chef d'orchestre?
Je l'aurais difficilement imaginé dans la mesure où je n'avais aucunement l'intention de devenir chef d'orchestre. Ce n'est pas le fait du hasard mais plutôt la pression des événements. Au moment où j'ai créé les concerts du "Domaine Musical", les musiciens de ma génération et ceux de l'Ecole de Vienne n'étaient pas du tout joués en France ou l'étaient très mal quand ils l'étaient. J'ai donc voulu défendre ma génération et, du point de vue de l'organisation, comme c'est moi qui coûtais le moins cher…! C'est ainsi que j'ai commencé à diriger et je ne cache pas que j'ai eu beaucoup de mal dans la mesure où il y avait encore beaucoup de choses qui n'étaient pas dans notre culture, et dans notre pratique surtout. C'est comme cela que j'ai commencé. Et puis je suis allé en Allemagne pour la Südwestfunk2 et là, j'ai commencé à diriger des groupes de chambre avant de diriger l'orchestre. En 1959, Hans Rosbaud -qui était à l'époque le chef du Sudwestfunk- est tombé malade et m'a demandé de diriger un concert à Aix en Provence avec l'Orchestre de la Radio belge. C'est une des premières fois où j'ai dirigé un orchestre. J'avais repris intégralement le programme de Rosbaud. Je ne me souviens pas de tout le programme, mais il y avait trois extraits de Wozzeck, une pièce de Webern, une œuvre de Hindemith et une autre de Pousseur. Cinq jours avant le Festival de Donaueschingen, j'ai reçu un coup de téléphone du directeur de la musique du Sudwestfunk: Rosbaud était entré à l'hôpital et il fallait que je dirige… Comme quand Wagner m'a demandé de diriger Parsifal à Bayreuth, je me suis dit que c'était casse-gueule mais que si je ne répondais pas à cette demande, je passerais peut-être à côté de quelque chose. Dans le programme, il y avait cinq œuvres complètement nouvelles dont un Berio et le Mandarin Merveilleux de Bartok. Evidemment, l'orchestre avait travaillé avec Rosbaud; il était préparé et m'a aidé… mais c'était chevaucher sur de l'eau bouillante. Je m'en suis sorti. Les gens du Concertgebouw m'ont écouté, j'ai dirigé cet orchestre pour remplacer Rosbaud, etc… je dirais donc que ma carrière de chef d'orchestre est due pour moitié au hasard, pour l'autre moitié de l'acceptation du challenge qui m'était proposé. Cela m'a évidemment plu, sinon je n'aurais pas continué!…

- Votre défense de la musique de votre temps a été pour le moins agressive dans les années '50…
… Nous étions agressifs, c'est vrai, je le reconnais, mais on était dans un milieu complètement hostile qui, volontairement, mettait des barrages. C'est ce qui a du reste renforcé l'agressivité. Il y avait quelques exceptions, et je pense par exemple à Roger Desormières. Si j'ai créé le "Domaine Musical", c'est parce que je trouvais que l'on parlait toujours de la musique nouvelle en polémiquant sans fin. J'ai donc créé un organisme qui pouvait présenter des documents. Car si on discute dans le vide, cela ne sert à rien. Aujourd'hui, les circonstances sont tout à fait différentes: les jeunes compositeurs ont beaucoup plus de chances que nous n'avions à l'époque. L'IRCAM comme l'Intercontemporain ont déjà plus de 25 ans, les compositeurs sont choyés: on leur offre le vivre, le couvert, des possibilités de travail et un nombre de répétitions adéquat avec l'Intercontemporain, des musiciens tout à fait préparés à réaliser le travail dans les meilleures conditions. Il y a beaucoup moins de raisons de se révolter quand on vous ouvre les portes. Quand les portes sont fermées, vous devez les bousculer pour les ouvrir. Quand elles sont ouvertes, vous pouvez peut-être salir les tapis, mais c'est tout ce que vous pouvez faire…

- La direction de grandes fresques, comme les Symphonies de Mahler, a-t-elle influencé votre composition?
Beaucoup, mais je dirais pas "stylistiquement". Je prend l'exemple le plus récent: une œuvre comme Sur Incises, qui dure environ 40 minutes, n'aurait probablement pas été écrite s'il n'y avait pas eu l'influence de ces grandes trajectoires qui sont le fait de Mahler. C'est lorsque j'ai dirigé Wagner en 1966 que j'ai eu pour la première fois le sentiment d'une grande trajectoire. Cela m'est resté. La réalisation ne se fait pas par les mêmes moyens, c'est la raison pour laquelle je dis "pas du tout stylistiquement" mais l'influence est présente dans la trajectoire.

- Vous avez enregistré Mahler avec trois orchestres différents: Chicago, Cleveland, Wiener Philharmoniker. Qu'est-ce qui conditionne ce choix des orchestres?
Je m'insère dans une activité d'orchestre, et donc dans leur programmation planifiée sur des années. Si je faisais l'intégrale avec le même orchestre, il faudrait quinze ans. Avec différents orchestres on peut la faire de façon plus serrée. Mais si j'ai fait la 4e avec Cleveland, la 1ère avec Chicago ou Le Chant de la Terre avec les Viennois, c'est aussi pour des raisons artistiques. On dit souvent que les orchestres internationaux, c'est comme la cuisine des grands hôtels américains: de l'"International Cuisine". Ce n'est pas vrai du tout. Les orchestres ont une sonorité et une culture musicale différentes. La culture sonore de Chicago est très différente de celle de Vienne. Et quand on est confronté à cela, on ne réagit pas de la même façon. Les solistes sont différents, ils ont une personnalité, ce que l'on oublie trop souvent. Sur les 110 musiciens d'un orchestre, il y en a au moins 40 qui ont leurs idées sur la musique et je ne veux pas les compresser dans un même moule; je ne réagis pas de la même façon à ce clarinettiste ou à un autre, et je peux multiplier ainsi les solistes… Chaque orchestre a sa physionomie et c'est intéressant; si j'avais fait le Lied avec Chicago et la 1ère Symphonie avec Vienne, il est certain que cela aurait changé le profil. J'accepte volontiers ce que les musiciens me proposent et nous exerçons l'un sur l'autre une influence réciproque. Je demande certaines choses à l'orchestre, par exemple concernant les tempi sur lesquels j'ai une idée précise, mais il y a toujours un "agreement" entre ce que vous propose un orchestre et ce que vous lui proposez.

- Vous avez dit que pour comprendre Webern3 il fallait comprendre Mahler. Qu'en est-il?
Certaines pièces comme la Passacaille sont dans la descendance de Mahler. Pour les œuvres plus ascétiques, par contre, Mahler n'a plus rien à voir. Mais là aussi, j'ai changé. Je ne m'imagine pas seulement chef d'orchestre, je m'imagine chef d'orchestre en fonction de la composition. Et dans les œuvres de Webern, même ascétiques, je pense au phrasé de l'école viennoise, un phrasé souple, et beaucoup plus souple que je ne l'imaginais avant d'y être immergé. Dans cette vision, ce n'est pas seulement Mahler mais Berg qui a influencé ma vision de Webern.

- Si vous deviez jouer Bach aujourd'hui?…
Je me suis parfois exprimé de façon assez rude sur l'authenticité. C'est le terme "authentique" qui me choque. Il n'y a rien de franchement authentique. Il y a des reconstitutions et elles sont intéressantes. Quand j'étais jeune, j'ai entendu les Brandebourgeois avec le continuo au piano ou les Brandebourgeois joués à la trompette une octave en dessous parce que à ce moment, on ne jouait pas la petite trompette. Il est évident que si on revient aux pratiques du temps, la musique en bénéficie pleinement. Ceci dit, quand on dit "diapason 415", qu'est-ce que cela veut dire? C'est comme si il y avait eu une loi générale pour le diapason à cette époque, or il n'y en avait pas. Le diapason changeait d'une ville à l'autre. C'est comme si vous me disiez qu'il y avait le méridien de Greenwich et l'heure GMT en 1540. Ce qui a créé le temps universel, c'est l'usage des trains: pour aller d'une gare à l'autre il fallait bien que l'heure soit la même. Les télégraphes ont donc procédé à une uniformisation de l'heure. Le diapason s'est unifié pratiquement au même moment que l'heure parce que les musiciens voyageaient beaucoup plus. Mais encore du temps de Berlioz, le diapason changeait d'une ville à l'autre. Maintenant nous sommes normalisés… bien que... Si vous allez à Vienne aujourd'hui, le diapason est beaucoup plus haut qu'à Londres… Donc quand on dit "diapason baroque", je n'y crois pas beaucoup. Et quand on dit que les tempi étaient beaucoup plus rapides à l'époque baroque… qu'est-ce qu'on en sait? Evidemment, le poids de la musique n'était pas le même; les instruments étaient beaucoup plus légers, ils avaient moins de possibilités de dynamique et les salles étaient beaucoup plus petites. Il est donc possible qu'on ait joué plus vite mais on n'en est pas certain. Savez-vous où on peut, pour la première fois, jauger de la vitesse d'une interprétation ? C'est avec Bayreuth que pour la première fois, nous disposons d'indications sur des documents. Depuis 1876, à Bayreuth, on possède toutes les durées des exécutions, acte par acte. Là, on peut tirer des conclusions. On connaît les tempi que Wagner aimait et, sous l'influence d'une espèce de tradition figée wagnérienne, on voit ces tempi se dilater et puis se rapetisser avec des chefs comme Clemens Krauss ou Karajan qui ramènent à peu près aux proportions wagnériennes d'origine. C'est le seul exemple que l'on ait pour suivre à la trace l'interprétation wagnérienne quant à la vitesse. Enfin, concernant la notion d'ensemble: qu'est-ce que la notion d'Ensemble? Aujourd'hui, les ensembles baroques répètent beaucoup et se présentent profilés au maximum. Que faisait-on à l'époque? On lisait le manuscrit une fois et on jouait. Vous n'allez pas me dire que l'ensemble était absolument parfait! Comment s'accordaient les instruments? Si vous avez la curiosité de lire un chapitre seulement de La Nouvelle Héloïse de Jean-Jacques Rousseau, il y a une description des représentations à l'Opéra de Paris qui valent leur pesant d'or! Et on voit que les représentations d'aujourd'hui, briquées au maximum, correspondent très peu aux pratiques de l'époque. C'est tout ce que je veux dire.
On est dans la reconstitution et c'est très bien, mais par moment, cela me fait penser à Viollet-le-Duc qui ajoutait des flèches gothiques partout parce qu'on pensait qu'au moyen âge, ils n'avaient pas eu le temps ou l'argent pour les construire. Vous connaissez la cathédrale de Cologne? C'est Guillaume II qui se croyait plus gothique que les gothiques. Il y a dans tout cela un côté dogmatique qui me gène beaucoup. L'information musicologique est intéressante mais je ne dirais pas que c'est la vérité ni que c'est authentique. Je reconnais l'effort mais je reconnais aussi le marketing. Nous n'avons pas suffisamment de documents qui permettent de couvrir tout le registre de l'authenticité.

- Dans tout ce travail de direction, quelles plages vous ménagez-vous pour la composition?
Pour moi, le problème est de faire attention à ce que les concerts ne prennent pas toute ma vie. Il n'y a d'ailleurs pas que les concerts qui prennent mon existence. Il y a l'IRCAM et l'Intercon… Maintenant tout cela est organisé, mais j'y ai consacré beaucoup de mon temps… Cette année est exceptionnelle du point de vue de la direction, mais je pense prendre des années sabbatiques, et cela ne me prive pas… J'aime diriger mais je ne peux pas dire que mon ego en pâtira beaucoup.
Par contre, toute mon existence a tourné autour de la composition, mais la composition en tant que centre, qui a besoin d'être projetée à l'extérieur. C'est la raison pour laquelle l'IRCAM et l'Intercontemporain ont été créés. Travailler dans un laboratoire pour ne rien produire n'a aucun sens. C'est ce j'appelle le clergé régulier et le clergé séculier; il y a les moines et les missionnaires.

- Vous projetez la création d'une salle symphonique à la Cité de la Musique…
Parlez-en… j'aimerais que vous mettiez en branle notre ministère de la culture, très inerte à ce sujet… La Cité de la Musique existe, mais elle est incomplète. Il faudrait une salle qui soit faite pour le 21e siècle et non pour le 19e. Nous avons commandé deux œuvres avec l'Orchestre de Chicago et Cleveland (dont une œuvre de Philippe Manoury) qui nécessitent un placement de l'orchestre complètement différent. Il faudrait une salle mobile avec des plates-formes, des surfaces qui soient tantôt à l'usage du public, tantôt à l'usage des musiciens, avec un dispositif électronique total.
La salle est importante, mais son environnement est encore plus important. Les organismes de concerts sont comme les restaurants: ouverts à 20h, fermés à 22h. Les gens ne sont pas préparés à aller au concert et à sortir du concert. Je voudrais une médiathèque qui soit l'équivalent de la Bibliothèque du Centre Pompidou. Une médiathèque avec les livres, même les plus élémentaires, des disques, des bandes audio, video, CD Rom et connexion Internet. Tout cela à la disposition du public gratuitement, notamment avant ou après le concert. Et cela pourrait servir à tous les étages de la connaissance, en utilisant la nouveauté de la pédagogie: une pédagogie qui se fait par elle-même, sans dépendre du pédagogue. Tous les concerts seraient enregistrés en archives et vous pourriez réentendre l'œuvre entendue la veille au concert, voir si elle vous intéresse ou non. Cela nécessite de gros investissements, mais cela éviterait de continuer à se plaindre de ce que les jeunes ne vont pas au concert… on ne fait rien pour les y amener… Quand on voit ce que les musées ont fait pour attirer une clientèle!… En 1952, au MOMA4 à New York, on était très peu. Aujourd'hui c'est la foule car on a tout fait pour créer un environnement attractif. La musique n'a pas encore compris cela. Pour moi, cet environnement est au moins aussi important que la salle, si ce n'est plus important. La Cité de la Musique sera alors complète: il y aura la pédagogie spécialisée du conservatoire, les deux salles de concerts, grande et petite, la médiathèque comme pôle pour correspondre au musée qui est essentiellement historique -soit un musée en marche et un musée plus ou moins arrêté- les deux salles et le Conservatoire. Pour le moment j'ai convaincu en paroles, la bonne volonté est en face de moi mais aucune décision politique n'est encore prise.

- Comment avez-vous conçu la programmation de votre tournée "Boulez 2000"?
C'est "un" choix, ce n'est pas "le" choix. J'ai voulu réaliser un panorama des générations et des différents pays. Il y a par exemple un programme typiquement hongrois: on commence par une œuvre de Peter Eötvös qui a été commandée spécialement pour la tournée, le Concerto pour violon de Ligeti et Le Prince de bois de Bartok. J'ai voulu rendre évident le fait qu'aujourd'hui, il y a rarement des formations "standard" (bois par 2, par 3…). Eötvös demande une formation "normale", Ligeti, un orchestre plutôt de solistes, et Bartok le plus grand orchestre avec des instruments supplémentaires. D'où aussi la flexibilité du groupement des instruments: le Ligeti vient interrompre les grandes masses et surtout la masse de Bartok. Cette modulation de l'orchestre, on la trouve également dans le programme Sciarrino, Berio et Schoenberg. Berio demande les cordes, Sciarinno le piano et l'orchestre, Schoenberg le très grand orchestre. Il y a aussi le programme autrichien: 3 pièces opus 6 de Berg, en relation avec la 6e Symphonie de Mahler parce qu'on voit l'évolution entre le dernier mouvement de la symphonie de Mahler et Berg, très proche. Un autre programme avec la partie finale d'Explosante fixe, "Originel", une nouvelle œuvre de George Benjamin, des œuvres proches pour deux petites formations avec, en contraste, le Concerto de Schoenberg, pour piano, néo-classique. J'ai donc programmé des œuvres qui se répondent mais aussi des œuvres qui ne se répondent pas. Il y a également des liens entre les programmes: par exemple, le Concerto de Schoenberg correspond au Concerto de Sciarinno; Petrouchka, une musique illustrative, correspond au Prince de Bois; deux œuvres purement symphoniques également, l'une "abstraite" du point de vue du nom (la 6e Symphonie de Mahler), l'autre plus concrète, née avec l'anecdote de Pelléas et Mélisande, qui est du reste extrêmement abstractifié. Il y a des liens entre les programmes, des cassures, des coupures, des relations et c'est cela qui m'intéresse.

- Quelle est votre position par rapport au théâtre lyrique, tant comme chef que comme compositeur?
Dans ma vie, j'ai pris quelques œuvres pour les diriger en cohésion totale avec le metteur en scène. Ma première expérience a été Wozzeck à l'Opéra de Paris. C'était en 1963. Je travaillais beaucoup avec Jean-Louis Barrault et il en a fait la mise en scène; c'était sa première mise en scène d'opéra. A l'époque, il était très rare qu'un metteur en scène de théâtre fasse de l'opéra. Cela se voyait cependant en Allemagne. J'ai eu deux expériences avec Wieland Wagner (Parsifal et Wozzeck à nouveau), puis Chéreau (Lulu et Le Ring), ensuite Peter Stein pour Pelléas et Moïse et Aaron. Et puis, mi-chorégraphie mi-opéra, j'ai dirigé le Barbe Bleue de Bartok dans la mise en scène de Pina Bausch. Ce sont des expériences où je me suis engagé parce que j'avais eu le choix des metteurs en scène avec lesquels travailler, sauf dans le cas de Wieland Wagner: c'est lui qui me l'avait demandé…
Dans le futur, je ne compte plus diriger d'opéras, non pas parce que je n'aime pas cela, mais parce que cela prend trop de temps. Quand je participe à un projet de théâtre, j'y participe du début à la fin, parce que cela est nécessaire et aussi parce que l'expérience théâtrale m'intéresse. Je faisais de la musique de scène chez Barrault et le côté théâtral m'a toujours beaucoup intéressé. J'ai passé trois mois à travailler Moïse et Aaron. Le temps m'étant plus compté qu'auparavant je ne veux plus passer tout ce temps.

- L'opéra, en tant que compositeur ?
Cela viendra…

- Cela fait vingt ans que vous dites cela!…
Je vais vous dire une chose: les 2 collaborateurs avec lesquels j'avais fait des projets sont morts. Un troisième hésiterait dès lors à s'engager. J'ai des idées mais je ne peux pas encore les dire…

- Dans quelle époque de votre vie avez-vous été le plus "vous-même"?
Excusez-moi d'être aussi prétentieux mais je dirai: "tout le temps". Parce que j'ai toujours fait ce que j'ai voulu. Quelquefois c'était difficile mais je ne me suis jamais senti dépendant. C'est la raison pour laquelle je me sens à l'aise dans mes 55 années de rétrospective.

- Comment voyez-vous la musique du XXIe siècle?
"Ask the right question, don't answer the wrong answer"… c'est ce que je vois pour le futur… c'est tout de même un beau programme… et vaste!…

Propos recueillis par Bernadette Beyne
Paris, IRCAM, le 11 février 2000

1 sortie en juillet 2000 chez DG

2 Orchestre Symphonique du S.W.F. de Baden-Baden, un des plus ardents défenseurs de la musique contemporaine.

3 DG propose, dans la série "Boulez 2000" en un coffret de 6 CD, la première et seule intégrale complète de l'œuvre de Webern incluant les œuvres sans numéros d'opus et un choix d'adaptations.

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