Premières discographiques pour Leo Blech,  à l’occasion des 150 ans de sa naissance

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Leo Blech (1871-1958) : Œuvres complètes pour orchestre. Lieder avec orchestre. Waldwanderung pour orchestre op. 8 n° 1 ; Von den Englein, pour chœur féminin et orchestre ; Trost in der Natur, barcarolle pour orchestre op. 7 n° 3 ; Six Kinder Lieder pour voix et petit orchestre ; Wie ist doch die Erde so schön, op. 21 n° 8, pour voix et orchestre ; Sommernacht, pour chœur mixte et orchestre ; Die Nonne, poème symphonique pour orchestre op. 6. Sonja Gornik, soprano ; Opernchor Aachen ; Sinfonieorchester Aachen, direction : Christopher Ward.  Capriccio C5481.

Leo Blech : Le Roi des Alpes et le Misanthrope, opéra en trois actes. Ronan Collett (Astragalus), Hrólfur Saemundsson (Rappelkopf), Sonja Gornik (Marthe), Irina Popova (Sabine), Tilmann Unger (Hans), Anne-Aurore Cochet (Lieschen), Hyunhan Hwang (Habakuk), Pawel Lawreszuk (Veit Meinhardt), Fanny Lustaud (Katharine), Anna Graf (Susel) ; Opernchor Aachen ; Sinfonieorchestrer Aachen, direction : Christopher Ward. 2021. Notice en allemand et en anglais. Texte complet du livret en allemand, avec traduction anglaise. 125.00. 2 CD Capriccio C5478. 

C’est en toute logique qu’en 2021 la ville d’Aix-la-Chapelle a rendu un double hommage à Leo Blech, chef d’orchestre et compositeur qui y est né cent cinquante ans auparavant, cinquième de six enfants d’une famille juive qui fabriquait des pinceaux et des brosses à cheveux. Le jeune Leo montre très vite des dispositions pour la musique, étudie deux ans à la Hochschule de Berlin, prend des cours privés avec Humperdinck, l’auteur de Hänsel et Gretel et, de retour à Aix, compose son premier opéra, créé la même année. L’essentiel de sa carrière sera celle d’un chef d’orchestre, d’abord dans sa ville natale, comme second Kapellmeister, avant d’être appelé à Prague. Son parcours va se poursuivre à Berlin, à l’Opéra royal, dès 1906, sur la suggestion de Richard Strauss, et se prolongera pendant une trentaine d’années ; il dirige, devient le directeur général de la musique de l’institution de 1913 à 1923 et, après un bref passage par Vienne, y revient comme chef, en même temps qu’Erich Kleiber. Il est contraint de s’exiler en 1937 suite aux lois nazies et s’établit à Riga. Il aurait, sur intervention d’Hermann Goering qui l’appréciait, bénéficié d’un visa diplomatique, échappant ainsi à l’extermination, pour se rendre à Stockholm où il dirige l’opéra jusqu’en 1949. Il achèvera sa carrière à Berlin, à l’Opéra d’Etat. 

Ce chef, réputé pour son dynamisme, sa clarté et sa précision, a enregistré pour des labels comme HMV, DG, Decca ou Telefunken, notamment des concertos de Mozart, Beethoven, Brahms et Mendelssohn avec Fritz Kreisler, ainsi que la première gravure sur disque de la Neuvième de Schubert. On peut retrouver ce meneur d’orchestres chez Audite, Discophilia, Melodram, Jube, Koch ou Naxos. Mais dans le cas présent, c’est le compositeur qui retient notre attention, grâce à Capriccio qui propose deux albums en première discographique mondiale. Le catalogue de Blech, concentré essentiellement dans ses quarante premières années, consiste en six opéras, une opérette, quelques pages symphoniques et chorales, des mélodies et de la musique de chambre.

Le premier album propose une intégrale des pages symphoniques et de pièces chorales avec orchestre. Cinq d’entre elles prennent date entre 1897 et 1901, à commencer par les trois poèmes symphoniques. La Nonne (1898) décrit, d’après un poème expressionniste d’Otto Julius Bierbaum (1865-1910), les affres d’une religieuse en recherche de liberté, entre attirance amoureuse et acceptation de son sort. De grands élans sensuels sont soutenus par une orchestration subtile qui évoque celle de Humperdinck, le mentor de Blech, dont l’influence est nette en cette période de créativité continue, à travers une palette de couleurs nuancées. Plus intimistes, Confort dans la nature (1900) et Promenade en forêt (1901) confirment les qualités de l’instrumentation. La harpe intervient dans le premier poème symphonique avec des effets de glissandos ; des évocations de chants d’oiseaux et la quiétude d’un soir sont rendues avec charme dans le second, que Richard Strauss à Berlin et Willem Mengelberg à Amsterdam inscriront à l’affiche de leurs concerts. 

Une atmosphère quelque peu éthérée que l’on trouve déjà dans la Nuit d’été (1897), cette fois avec chœur mixte. Violons et harpe (instrument privilégié par Blech) forment un tapis intense pour les voix, sur un poème de Robert Reinick (1805-1852), le chanté étant quasi-parlé. Le compositeur aime les climats intimistes et teintés de magie, comme le démontre un superbe Au sujet des Anges (1897) : des vers de Rudolf Löwenstein (1819-1891) incitent un enfant à se placer sous la protection de ces êtres diaphanes afin qu’ils le protègent et dans l’espoir de devenir un jour un ange lui-même. Blech a écrit entre 1913 et 1926 une cinquantaine de chansons qui ont rencontré du succès, certaines étant traduites en anglais. Il a orchestré six Kinderlieder (date non connue) pour voix et petite formation. Les textes émanent de divers poètes, sur des thèmes simples, de portée affective, rêveuse ou liée à la nature. En 1952, Bernd Alois Zimmermann se chargera d’en orchestrer un septième qui, d’après un texte de Reinick -souvent sollicité par Blech- magnifie la beauté de la terre. C’est la soprano Sonja Gornik qui prête sa voix fraîche et claire à ces sept mélodies. Formée à Mayence et à Graz, cette cantatrice sensible s’est distinguée dans Verdi, Puccini, Beethoven ou Wagner. Elle se révèle ici l’interprète idéale d’un univers inconnu, que servent avec conviction et ferveur les chœurs du Théâtre d’Aix-la-Chapelle. Le chef anglais Christopher Ward, qui a été formé à Oxford et a été l’assistant de Simon Rattle à Berlin et de Kent Nagano à Munich, est directeur musical de l’Orchestre Symphonique d’Aix depuis août 2018. Il accorde aux partitions de Blech tout le soin qu’elles méritent, et souligne avec le geste adéquat un monde musical raffiné qui mérite le détour.

La même équipe, chœurs, orchestre et chef (Sonja Gornik est aussi de la partie), est mise à contribution pour l’autre production Capriccio, à savoir l’opéra en trois actes de 1903 Le Roi des Alpes et le Misanthrope. Le livret, rédigé par le musicologue Richard Blatka (1868-1922), qui sera aussi de l’aventure de trois autres partitions lyriques de Blech, s’inspire de celui que le Viennois Ferdinand Raimund (1790-1836) avait écrit pour un Zauberspiel de facture romantique et comique de 1828, portant le même titre, signé par le compositeur autrichien Wenzel Müller (1767-1835). Nous sommes aux alentours de 1830, dans un lieu alpestre où le misanthrope Rappelkopf fait régner un climat de terreur dans sa famille en raison de son caractère tyrannique. Le Roi des Alpes, Astragalus, un esprit positif, va intervenir et le transformer en son beau-frère. Ce qui va permettre au misanthrope, par un effet de retour, d’assister à ce que son entourage subit. Tout se terminera bien : Rappelkopf prendra conscience de la nécessité de changer. Il acceptera l’union de sa fille Martha avec son bien-aimé Hans, ainsi que le bonheur de sa femme de chambre Lieschen avec le serviteur Habakuk.

Le premier opéra de Blech, Aglaja, date de 1893. Il en composera cinq autres, dont l’un est perdu, au cours des dix années qui suivent. Deux autres verront le jour avant 1910. Le Roi des Alpes et le misanthrope (que Blech modifiera pour l’abréger en 1916 sous le seul titre de Rappelkopf) confirme la capacité du musicien pour une écriture et une instrumentation raffinées, avec un sens du lyrisme affirmé, l’utilisation de leitmotivs, notamment pour Astragalus, de l’humour bien dosé (amusant rappel de Funiculi, funicula) et une polyphonie globale qui met l’accent sur les ensembles plutôt que sur des airs spécifiques ; quelques chansons ravissantes meublent l’action. Le tout procure deux heures de franc plaisir, avec des préludes orchestraux inspirés pour chacun des trois actes (les cors sont vaillants dans l’ouverture initiale), et une atmosphère globale qui n’est pas sans évoquer à nouveau le souvenir de la magie de Humperdinck, mais aussi des accents de Richard Strauss. 

L’absence de traduction française du livret (reproduit intégralement en allemand et en anglais) est dommageable pour la compréhension détaillée de cette production inédite, ce qui n’empêche pas d’apprécier les duos très réussis et les ensembles bien équilibrés. Le plateau est excellent, d’où émergent Sonja Gornik dans le rôle malicieux de Marthe, fille du misanthrope, le baryton islandais Hrólfur, voix homogène, en tyran domestique (impressionnante scène 7 de l’Acte I), le baryton anglais Ronan Collett, qui campe un crédible Astragalus d’envergure. Les autres chanteurs, qui viennent d’horizons nationaux différents, méritent des éloges pour leur investissement. Eloges auxquels on associera les Aixois, chœur et orchestre, et leur chef, devenus en deux albums la référence pour un Leo Blech qui méritait bien cette réhabilitation. On notera, en prime, la présence complémentaire de deux Marches militaires op. 23 de 1915, que le chef/compositeur dédia au directeur des théâtres royaux de Prusse, le Comte von Hülsen-Haeseler. Ces dix minutes sont enlevées avec le brio qu’elles réclament. L’enregistrement a été effectué en mai 2021.

Œuvres symphoniques et vocales avec orchestre

Son : 8,5  Notice : 9  Répertoire : 8,5  Interprétation : 9

Alpenkönig und Menschenfeind

Son : 9  Notice : 9  Répertoire : 8,5  Interprétation : 9 

Jean Lacroix       

 

    

 

     

 

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