Quand Gustav Holst parodiait Verdi et Wagner…

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Gustav Holst (1874-1934) : The Perfect Fool, opéra en un acte, op. 39. Richard Golding (Le Sorcier) ; Pamela Bowden (La Mère) ; Walter Plinge (Le Fils, L’Imbécile - voix parlée) ; Alison Hargan, Barbara Platt et Lesley Rooke (Trois Filles) ; Margaret Neville (La Princesse) ; John Mitchinson (Le Troubadour) ; David Read (Le Voyageur) ; Ronald Harvi (Un Paysan - voix parlée) ; George Hagan (Le Narrateur) ; BBC Northern Singers ; BBC Northern Symphony Orchestra, direction Charles Groves. 1967. Notice en anglais. Livret complet en anglais. 62.24. Lyrita REAM.1143.

La grandiose suite symphonique Les Planètes, qui date de 1914-1917 et dont les enregistrements sont innombrables, a occulté la plus grande partie de la production de Gustav Holst, compositeur prolifique dont le catalogue imposant se partage entre œuvres pour la scène, ballets, musique de scène, musique orchestrale (nombreuses partitions), musique de chambre et instrumentale, musique chorale et mélodies. C’est particulièrement injuste, car l’audition d’un grand nombre de pages révèle un créateur imaginatif, attiré entre autres par l’orientalisme et l’ésotérisme. On saluera donc comme elle le mérite la parution chez Lyrita de l’opéra en un acte The Perfect Fool (L’imbécile parfait). Ce label a entrepris la réédition du fonds historique engrangé par son fondateur, Richard Itter (1928-2014), businessman et collectionneur passionné, qui enregistra chez lui, dans des conditions sonores confortables, des tas de retransmissions radiophoniques de la BBC qu’il conserva de façon optimale. Nous avons déjà évoqué ce précieux legs, qui comporte des raretés, lors de la parution de l’opéra Nelson de Lennox Berkeley (notre article du 6 juillet 2021). 

Le court opéra en un acte de Holst, The Perfect Fool, vient s’ajouter à une série dans laquelle on peut découvrir d’autres œuvres lyriques de William Alwyn, Granville Bantock, Eugène Goossens (The Apocalypse, fabuleux !), Thea Musgrave, Michael Tippett, Ralph Vaughan Williams et quelques autres. D’ascendance suédoise par son grand-père, Gustav Holst, dont le père était organiste et la mère professeure de piano, s’appelait en réalité Gustavus Theodore von Holst ; il se débarrassa du « von » qui prêtait à confusion lorsque la Première Guerre mondiale éclata, d’autant plus qu’il était un patriote anglais convaincu. Devenu lui-même organiste, chef de chœur, tromboniste, chef d’orchestre et pédagogue, il connut de beaux succès publics. Il est l’auteur d’une dizaine de partitions lyriques dont The Perfect Fool, écrit entre 1918 et 1922 et créé à Covent Garden par Eugene Goossens le 14 mai 1923 avec, dans la distribution, la célèbre soprano Maggie Teyte (1888-1976) qui avait chanté le rôle de Mélisande de Debussy à Paris quinze ans auparavant. Malgré l’accueil mitigé, l’opéra sera diffusé dans la foulée sur toutes les antennes régionales de la BBC. Il fera l’objet d’une reprise sur les ondes en 1951, sous la houlette d’Imogen Holst, la fille du compositeur qui défendait avec cœur l’héritage musical de son père, l’orchestre de la BBC Opera étant confié alors à Stanford Robinson. Quinze ans plus tard, nouvelle représentation sonore, le 7 mai 1967 ; c’est celle qui est ici proposée, captée par Richard Itter et précieusement conservée par ses soins. Des reprises de cette production ont eu lieu en 1968, 1971 et 1974. La notice, très bien documentée et signée par Rob Barnett, signale que l’opéra a connu un regain d’intérêt lors de représentations semi-professionnelles dans les années 1980, et que Vernon Handley l’a encore dirigé le 25 décembre 1995 pour la BBC. Gustav Holst a tiré de son opéra une suite de ballet d’une dizaine de minutes qui a fait l’objet de nombreux enregistrements, le minutage permettant un couplage idéal, notamment avec Les Planètes

Cette partition lyrique en un acte pour solistes, chœur et orchestre, que l’on qualifiera de loufoque et même d’excentrique, est un joyeux moment de distraction musicale et se présente comme une parodie des opéras de Verdi et de Wagner, Holst ayant été un fervent admirateur du dernier nommé dans sa jeunesse. On y trouvera aussi des réminiscences debussystes. Le tout débute par un ballet (substance de la future suite jouée en concert) au cours duquel un sorcier invoque les esprits car il veut épouser une princesse qui doit décider le même jour de se choisir un époux. Une mère, persuadée que son fils gagnera le cœur de la belle, entre en concurrence. Or le fils est un paresseux et un niais, un « Perfect Fool ». Un élixir pourrait régler le problème : la princesse aimera celui qui le boira. Par un subterfuge, la mère, qui a remplacé le filtre par de l’eau, le fait ingurgiter par le sorcier alors qu’elle donne le vrai breuvage à son fils. Furieux, le sorcier promet la destruction totale de tout un chacun. C’est à ce moment qu’arrivent un Troubadour (verdien) et un Voyageur (wagnérien) qui vont rivaliser en airs pour conquérir la princesse, qui n’en veut pas. Celle-ci demande au « Perfect Fool » s’il veut l’épouser, proposition à laquelle, à la surprise générale, il répond un « non » qui n’est pas des plus clairs et laisse planer un doute sur ce qui pourra suivre. Le sorcier revient avec ses intentions malfaisantes, mais ses acolytes et lui sont détruits par le feu.

Holst s’était adressé, pour l’écriture du livret, à Clifford Bax (1886-1962), frère du compositeur Arnold Bax. Ce dramaturge, qui avait initié Holst à l’astrologie et sera plus tard l’auteur du texte pour son Wandering Scholar de 1929/30, se récusa. Holst décida de rédiger lui-même les paroles. Sur la trame rocambolesque, il a composé une musique spectaculaire, avec une abondante percussion comprenant trois timbales, grosse caisse, cymbales, tambour, grelots, tambourin et xylophone, en plus des cordes, des bois, des cuivres, d’un célesta et d’une harpe. En habile orchestrateur, Holst offre ainsi des pages savoureusement colorées, pleines de subtilités, et des airs facétieux aux effets comiques garantis. Il a cru bon d’ajouter un Narrateur à son bref opéra, ce qui n’est pas du meilleur effet : les interventions, si elles ne sont pas nombreuses ni de longue durée, viennent à chaque fois interrompre l’action sans rien lui apporter. En cela réside sans doute une faiblesse de l’inspiration qui a entraîné le succès relatif de l’œuvre, ce dont sera consciente Imogen, la fille du compositeur, qui n’hésitera pas à considérer les mots comme « embarrassants ».

Quoiqu’il en soit, on prend un réel plaisir à écouter cette farce très bien servie sur le plan vocal par la basse Richard Golding en sorcier déjanté (ce chanteur a connu de très beaux succès scéniques au cours de la décennie 1950), par la contralto Pamela Bowden, sournoise mère d’un fils dont l’imbécillité atteindra le sommet dans le « non » proclamé en voix parlée, un rôle tenu par Walter Plinge, ce pseudonyme traditionnel de spectacles britanniques lorsqu’un acteur/chanteur, qu’on ne nomme pas, joue deux rôles. La soprano Margaret Neville campe une émouvante princesse. Quant au ténor John Mitchinson (le Troubadour) et à la basse David Read (Le Voyageur), ils rivalisent de façon désopilante dans la parodie des airs verdiens et wagnériens. On rit franchement de leurs espiègleries. Le Narrateur (George Hagan), assez monocorde, confirme l’impression qu’il est le point faible dont Holst aurait pu se passer. De petits rôles sont bien tenus, comme c’est souvent le cas dans les productions anglaises. Quant au chœur et à l’orchestre, ils sont menés avec fraîcheur et dynamisme par le remarquable chef qu’est Charles Groves, bien connu par ses apparitions fréquentes lors des soirées des Proms au cours des années 1970. 

Cette résurrection est une belle manière de découvrir un répertoire rare et elle assure un moment de plaisir musical. Sur le plan sonore, ce n’est pas le plus réussi des enregistrements de radio conservés par Richard Itter. La technique moderne ne peut empêcher l’une ou l’autre saturation. Mais l’édition est exemplaire, comme Lyrita le fait si bien habituellement : notice excellente, et livret complet (réservé aux anglophones). 

Son : 7,5  Notice : 10  Répertoire : 7,5  Interprétation : 9

Jean Lacroix 

 

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