Le Trio Spilliaert :  à propos de Désiré Pâque 

par

Dans le cadre des célébrations de ses 30 ans, le label Cyprès fait paraître une intégrale des trios du compositeur liégeois Désiré Pâque, par les musiciens de Trio Spilliaert. Figure majeure de la musique, Désiré Pâque n’est que trop négligé, dès lors il est important de saluer cette parution. Cette dernière est l’occasion d’une interview en trio avec les artistes (Jean-Samuel Bez, violon, Guillaume Lagravière, violoncelle et Gauvain de Morant, piano).

Le nom de Désiré Pâque est désormais bien peu connu ; en dehors de mentions dans des ouvrages universitaires, il a presque complètement disparu. Qu’est ce qui a poussé le Trio Spilliaert à s’intéresser à ses Trios à clavier ? 

Jean-Samuel Bez : la rencontre avec le compositeur est un peu le fruit du hasard. Nous avons toujours beaucoup de plaisir à dénicher des trios oubliés et nous sommes tombés sur une biographie d'un dénommé Pâque mentionnant l’existence de trois trios. C'est Philippe Gilson, éminent musicologue et spécialiste de Pâque, qui nous a indiqué la présence des manuscrits autographes au Conservatoire de Liège et nous en a procuré une copie, sur laquelle nous jouons d'ailleurs toujours actuellement ! La première prise de contact avec le style inhabituel de Pâque nous a incité à programmer le premier de ces trios au festival Varga en France à l'été 2016. Le retour positif du public nous a alors donné envie de poursuivre la découverte des autres trios. Il y a toujours une certaine magie à faire revivre de la sorte une musique oubliée depuis presque un siècle ! Mais dans ce cas, c'est à vrai dire un langage à part qu'il nous aura fallu explorer et domestiquer, et voir évoluer en essayant de mieux comprendre le compositeur pendant les quatre années suivantes... redonner vie à une œuvre endormie est une vraie aventure ! 

C’est sans doute une question délicate tant le personnage a eu une carrière riche et internationale. Mais qu’est ce qui fait la spécificité de Désiré Pâque dans l’Histoire de la musique belge ? 

Guillaume Lagravière : malgré une carrière internationale, Désiré Pâque, est un compositeur assez mystérieux qui n’a pas laissé beaucoup de traces, et il nous a fallu enquêter un peu pour retrouver son parcours. 

Ce que l’on peut dire c’est que Pâque fait un peu figure de « marginal » dans l’Histoire de la musique belge, ne cherchant pas du tout à se faire connaître ; il mène plutôt une vie de bourlingueur, préférant voyager à travers l’Europe d’avant-guerre. 

Sa musique est d’abord inspirée, comme beaucoup de compositeurs de l’époque, par César Franck mais il s’en détachera et développera ensuite son style personnel et libre le conduisant jusqu’à l’atonalité et ce dès 1890, ce qui le rend même précurseur de Schoenberg ! 

Il puise son inspiration de ses voyages, sans jamais s’enfermer dans un système puisqu’il compose des pièces radicalement différentes sur une même période. Une de ses spécificités est qu’il rompt avec la tradition classique du principe de développement, en créant ce que lui-même appellera « l’adjonction-constante » de thèmes indépendants les uns des autres.

Toujours en quête de nouveautés, ce procédé nourrit son œuvre par l’ajout constant de nouvelles idées musicales qu’il juxtapose les unes après les autres. Ce que l’on peut retenir de Désiré Pâque enfin est définitivement l’image d’un homme libre, au tempérament passionné et visionnaire en son temps.

Les œuvres présentées sur cet album furent composées entre 1899 et 1930. Comment le style du compositeur a-t-il évolué sur cette période d'une trentaine d'années ? 

Guillaume Lagravière : En effet, la période de composition des trios est assez large : Désiré Pâque est âgé de 36 ans pour le premier, et 63 ans pour le dernier ! Nous observons bien une évolution dans son langage harmonique et sur le plan technique des procédés de composition, néanmoins ce qui nous frappe c’est l’omniprésence de son romantisme, et son lyrisme que l’on retrouve dans les trois trios.

Désiré Pâque a été un grand voyageur, chercheur de nouveautés, et dès son premier trio on retrouve le lyrisme, l’adjonction constante, la légèreté, le drame, le folklore… Ce qui ressort, c’est la forte personnalité de chacun des trois trios, fort différents les uns des autres au niveau du caractère ! 

Le premier trio est le plus long des trois, sans doute que le style de son écriture s’est condensé au fil des ans, il nous montre un caractère romantique et folklorique.  Le trio de 1923 est clairement dans un style impressionniste. Beaucoup plus compact que le précédent, Il a comme originalité d’être à l’opposé de la tradition, à savoir : un premier mouvement rapide, un deuxième lent puis un final rapide. Ici Pâque prend cette coutume à contrepied en insérant un mouvement rapide entre deux mouvements lents.

La mer est indéniablement liée à ce trio et sans doute que le compositeur aura puisé son inspiration lors d’un de ses voyages en bateau.

Son dernier trio de 1930 est la démonstration d’un compositeur expérimenté, qui maîtrise la forme classique tout en gardant une originalité, avec une grande indépendance harmonique et une liberté thématique sur le plan des instruments. On y retrouve l’atonalité ainsi que l’adjonction constante. C’est également le plus court des trois.

La défense du patrimoine musical belge semble vous tenir très à cœur ? 

Gauvain de Morant : Cela remonte à nos années d’études aux Conservatoires royaux de Bruxelles, nous avons été impressionnés par les qualités musicales que nous percevions chez les musiciens et les compositeurs belges et nous avons été très étonnés de voir que ce répertoire était souvent inconnu en dehors de Belgique. C’est finalement à cette époque que cette pensée s’est matérialisée : avec d’une part la création de l’ASBL Musicabel dont l’objet est la promotion du patrimoine musical belge et d’autre part la formation du Trio Spilliaert qui, en plus de partager les grandes œuvres du répertoire, proposent à chaque concert au moins une œuvre belge. 

Le trio Spilliaert s’est également posé la question suivante : l’histoire n’oublie-t-elle pas des compositeurs dignes d’intérêt ? Pour nous la réponse est claire : il y a des compositeurs belges qui méritent d’enrichir le grand répertoire. C’est le cas de Désiré Pâque, mais il y en a également beaucoup d’autres... 

Le nom du Trio renvoie à un autre grand artiste belge. Pourquoi avez-vous choisi le nom du peintre Spilliaert ? 

Gauvain de Morant  :  le trio existe maintenant depuis une dizaine d’années. L’un des premiers compositeurs belges que nous avons rencontré et joué était Jean-Luc Fafchamps. Son trio  Neurosuite  était basé sur un livret d’une poétesse italienne : Margherita Guidacci. Jean-Luc avait fait un rapprochement entre la sensation d’enfermement qui se dégageait de ses textes et la période tourmentée de Léon Spilliaert. Cela nous a poussés à approfondir nos connaissances sur ce peintre que nous aimons et admirons. 

Lorsque l’ensemble s’est stabilisé, nous avons souhaité choisir un nom représentant les Arts, la Belgique, et pouvant mettre en avant notre volonté de promouvoir le patrimoine belge. Le nom Spilliaert s’est imposé à nous telle une évidence. 

Propos recueillis par Pierre-Jean Tribot 

  • A écouter : 

Désiré Pâque : les Trois à clavier. Trio Spilliaert. 1 CD Cyprès. CYP8609

 

 

Crédits photographiques : Alexandre Mhiri

 

Vos commentaires

Vous devriez utiliser le HTML:
<a href="" title=""> <abbr title=""> <acronym title=""> <b> <blockquote cite=""> <cite> <code> <del datetime=""> <em> <i> <q cite=""> <s> <strike> <strong>

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.