Récital vocal de compositrices contemporaines : la lumière, presque à tous les étages

par

La Lumière. Ig Henneman (*1945) : Beweis zu nichts. Annelies van Parys (*1975) : Medea. Lili Boulanger (1893-1918) : Pie Jesu. Monique Krüs (*1959) : Je vis, je meurs. Bauwien van der Meer, soprano. Gerrie Meijers, orgue. Doriene Marselje, harpe. Stella Zake, Pieternel Tils, violon. Lotus de Vries, alto. Renate Apperloo, violoncelle. Mai-juin 2022. Livret en anglais, allemand, néerlandais ; paroles en langue originale non traduite. TT 45’20. Et’Cetera KTC 1782

Une équipe entièrement féminine, quatre compositrices, trois poétesses comme librettistes, la figure mythologique de Médée revue sous un angle maternaliste : pas très inclusif, mais peut-être un contrepoids à la « millénaire domination patriarcale » qu’évoque le premier paragraphe de la notice. Et une séminale nomenclature, pour voix, orgue, harpe et cordes, ce qui n’est pas fortuit puisque les trois œuvres contemporaines rendent hommage au furtif et célèbre Pie Jesu de Lili Boulanger écrit pour un tel effectif. L’amour, la mort : illustrant trois textes de Louise Labé (1524-1566), Je vis, je meurs répond à une commande passée à Monique Krüs. Les deux autres cycles vocaux ne sont pas des créations mais des arrangements, de la propre main des auteures. 

Avec Beweis zu nichts, sur des vers de l’écrivaine autrichienne Ingeborg Bachmann (1926-1972), Ig Henneman décline une œuvre antérieure (Hinter der Wand), rédigée il y a une trentaine d’années pour soprano, violoncelle et accordéon. La souffrance comme appel vers le monde, incitation à l’action, s’exprime dans une langue brute, héritée du Sprechgesang, que la soliste, à défaut d’âpreté, traite ici avec une secrète posologie de déréliction et de perverse volupté. Les archets de l’Helikon Quartet, admirable de raffinement sur tout le disque, perfusent ces tableaux avec un venin homéopathique des plus insidieux.

A contrario d’une tradition qui l’hystérise comme mégère, dans le livret de Gaea Schoeters, la férocité de l’infanticide Médée est revue comme celle d’une mère meurtrie par l’inconstance de Jason, et soucieuse d’épargner la progéniture, ce qui se traduit par des accents dolents et l’impondérable balancement d’une berceuse, étirée comme un thrène innombrable. Commissionnée par le festival de plein air Wonderfeel, la partition originale date de 2021 ; pour la version remaniée ici enregistrée, Bauwien van der Meer a demandé à Annelies van Parys de remplacer la clarinette par l’orgue (les tuyaux sont ceux du Sauer baroque de l’Orgelpark d’Amsterdam), tout en conservant le quatuor à cordes.

L’intense émotion du Pie Jesu, au fond plus romantique qu’expressionniste, condensée à l’extrême, échappe quelque peu aux interprètes. Les camées pseudo-fauréens de Monique Krüs, surpiqués de quelques coutures Belle-Époque comme empruntées à Reynaldo Hahn, éprouvent une voix de crête pas toujours compréhensible, qui manque de pulpe et d’abandon. Mais pour la première partie du programme (Van Parys, et surtout Henneman), il serait difficile de surpasser les éclairages millimétrés, les infimes frémissements, les nuances infinitésimales, les philtres tantôt amers tantôt corrosifs distillés par le présent gynécée, décidément à l’aise dans le malaise.

Son : 8,5 – Livret : 7,5 – Répertoire : 7-9 – Interprétation : 6,5-9,5

Christophe Steyne

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