Joseph Elsner, le professeur de Chopin, a lui aussi composé des Polonaises

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Joseph Elsner (1769-1854) : Polonaises pour quatre mains. Jerzy Michał Wardęski et Magdalena Bąk, clavecin. 2022. Notice en anglais et en polonais. 50.05. Dux 1885. 

Même si quelques labels (Profil Hänssler, Pro Musica Camerata, Accord, Acte Préalable ou Dux à plusieurs reprises) ont révélé une partie de l’importante production de Joseph Elsner, le plus grand titre de gloire que l’on accorde à ce compositeur est d’avoir été le professeur de Chopin à Varsovie. Né en Silésie et élevé en langue allemande, Elsner, qui a appris le chant dans un chœur de sa cité de Grottkau, étudie la médecine et la théologie chez les jésuites à Breslau (l’actuelle Wroclaw), apprend le violon et commence à composer. Il complète sa formation à Vienne grâce à une bourse, est engagé dans des orchestres de théâtre à Brno, puis à Lemberg. Après un passage par Lviv, on le retrouve à Varsovie en 1799, où il sera chef d’orchestre de l’Opéra pendant vingt-cinq ans et deviendra directeur de l’Ecole de musique et de déclamation, futur Conservatoire. Très vite, il prendra conscience du génie de Chopin, auquel il donnera des leçons particulières, avant que le jeune virtuose ne suivre ses cours d’harmonie, de contrepoint et de composition. Chopin, qui lui dédiera sa Sonate en ut mineur op. 4, aura toujours de la gratitude pour l’enseignement prodigué par Elsner.

Ce n’est pas le pédagogue qui retient aujourd’hui notre attention, mais bien le compositeur. Élevé en langue allemande, Elsner apprend le polonais à l’âge adulte et s’intéresse, dès son arrivée à Lviv, à la musique populaire de son nouvel environnement. Installé à Varsovie, il ouvre un magasin de musique, qui publie des partitions de compositeurs locaux. C’est ce que nous apprend la notice non signée du présent album, qui précise qu’il a aussi écrit des ouvrages sur la musique polonaise. Auteur prolifique d’une trentaine d’opéras, dont la grande majorité a été créée à Varsovie sous sa direction, Elsner compte aussi à son actif huit symphonies, deux ballets, de la musique de chambre (six quatuors), une trentaine de messes, une cinquantaine de cantates profanes et de la musique pour clavier. C’est un éventail de Polonaises que nous propose le label Dux, en première discographique mondiale. 

Datées des années 1803/05, ces pages figurent parmi les plus anciennes de la musique polonaise pour clavecin à quatre mains. Aucune comparaison n’est bien sûr possible avec les futures Polonaises de l’élève Chopin : c’est un autre monde ! Elsner s’inscrit dans une tradition classique qui respecte la texture de l’instrument et la collaboration des deux interprètes. On retrouve dans les trois Polonaises, en do majeur, en sol majeur et en fa mineur, l’intérêt d’Elsner pour la musique folklorique et l’imitation d’éléments polyphoniques. L’écoute montre un travail certes bien fait, presque didactique, mais sans originalité très marquée. Cela traîne quelque peu en longueur, et la sonorité du clavecin, peu avantageuse, crée des effets souvent mécaniques. La Polonaise sur un thème de l’ouverture de l’opéra ‘Lodoïska » de Rudolph Kreutzer et la Polonaise sur un thème de marche de l’opéra ‘Les deux journées’ de Luigi Cherubini apparaissent comme plus intéressantes. Nourri de sa propre expérience opératique, Elsner retrouve, dans la première, l’humour de la comédie de 1791 du compositeur et violoniste français auquel Beethoven dédia sa fameuse sonate en 1803. Pour Cherubini et la marche de l’opéra-comique Les Deux Journées ou Le Porteur d’eau (1800), la verve d’Elsner se déploie dans un style rythmé italianisant et montre que la culture musicale européenne faisait partie de son univers. 

Le duo formé par Magdalena Bąk, qui a étudié à Lodz et à Leipzig, et Jerzy Michał Wardęski, formé à l’Académie de Bydgoszcz, se consacre beaucoup à la promotion de la musique polonaise de toutes les époques. Ces jeunes artistes, mis ici en valeur par de belles photographies en couleurs, jouent à quatre mains aussi bien sur des pianos contemporains que sur des clavecins historiques. La notice explique que pour Elsner, le choix du clavecin, au lieu du piano, relève des caractéristiques du style classique polonais et de la frontière qui existe entre son œuvre et la musique à venir des romantiques. Le souci, c’est que l’ensemble présente en fin de compte peu de variété et que l’on se prend à évoquer de temps à autre l’effet d’un orgue de Barbarie. Ce n’est pas déplaisant, mais cela surprend. Si la mise à disposition de ces pages du professeur de Chopin est un apport à la connaissance de la musique polonaise, on la verra plutôt comme une valeur ajoutée avant tout documentaire.

Son : 8  Notice : 8  Répertoire : 7  Interprétation : 8

Jean Lacroix    

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