Recueillement pascal dans le répertoire baroque d’Allemagne du nord
A German Passion, 17th Century Music for the Time of Lent and Easter. Œuvres de Dieterich Buxtehude (1637-1707), Johann Christoph Demantius (1567-1643), Heinrich Schütz (1585-1672), Hans Leo Hassler (1564-1612), Jacob Handl (1550-1591), Dieterich Becker (c1623-1679), Johann Michael Bach (1648-1694), Andreas Hammerschmidt (1611-1675), Matthias Weckmann (1616-1674), Heinrich Scheidemann (1595-1663), Samuel Scheidt (1587-1654), Johann Crüger (1598-1662). Margreet Rietveld, Marjon Strijk, soprano. Helena Poczykowska, alto. Kevin Skelton, ténor, co-direction. Gunther Vandeven, baryton. David McCune, basse. Marit Broekroelofs, viole, direction. Margaretha Consort. Sietze de Vries, orgue. Livret en anglais et allemand ; paroles en allemand et traduction en néerlandais, présentation détaillée des pièces en néerlandais sur le website de l’ensemble. Février 2023. TT 75’11. Naxos 8.55148
Après un album consacré à l’Avent et Noël, le Margaretha Consort se penche sur un autre temps liturgique, celui du Carême et de Pâques. Son anthologie s’alimente au répertoire baroque de la protestante Allemagne du nord. Recueillement, douleur et réconfort structurent ce riche programme, planté dans le décor de l’église Helenakerk d’Aalten (Pays-Bas, province de Gelderland), dont la large acoustique est captée avec autant de naturel que de réalisme. On se croirait assis sur un banc de la nef : la prise de son nous associe, auditeur ému, au cœur de cette célébration. D’autant qu’un sentiment de simplicité, de bienveillante humilité préside à cette interprétation, rejointe par la communauté de fidèles pour de touchants effets de chœur congrégatif, rappelant certaines reconstitutions de Paul McCreesh et ses Gabrieli Consort & Players (on pense à leur superbe Christmette à Roskilde chez Archiv Produktion).
Le parcours débute par le Jesu, meines Lebens Leben de Buxtehude, dans sa première rédaction, mais où la chaconne se termine non par un Amen mais sur le vaillant orgue du lieu (Blank, 1976, 30 jeux / III & pédalier). Les tuyaux de tribune se mêlent à un positif pour le Weissagung des Leidens und Sterbens Jesu Christi de Demantius, avec six chanteurs et cordes colla parte. La tendresse piétiste d’O süsser, o freundlicher, tiré des Kleine Geistliche Konzerte de Schütz, précède O Haupt voll Blut und Wunden de Hassler, où la congrégation se joint aux solistes et ensemble vocaux selon l’alternance des versets. Suit une séquence autour de Jesu meine Freude, avec improvisation par Sietze de Vries et motet à deux chœurs de Johann Michael Bach.
L’ombre de la Passion se noircit avec le motet Ach Jesus stirbt d’Hammerschmidt, et inscrit une dialectique d’affliction et de triomphe dans le Weine nicht de Matthias Weckmann. Victimae Paschali Laudes en chant grégorien introduit ensuite une séquence sur Christ lag in Todesbanden, invitant Scheidemann (quintette pour violes, verset d’orgue), Hassler et Scheidt. L’heureuse perspective de la résurrection se dessine enfin par la cantate Heute triumphieret Gottes Sohn de Buxtehude, puis culmine sur des couplets pour orgue et le chant d’assemblée. Hormis un vibrato un brin compassé dans Weine nicht (4’55-5’55), l’équipe contourne tout effet superflu, évite toute monotonie, et réussit à nous faire partager un authentique et serein climat de spiritualité. Les recettes les plus simples sont parfois les meilleures, en l’occurrence ce disque convainc constamment par sa sincère et pudique ferveur, en totale empathie avec son sujet.
Christophe Steyne
Son : 9,5 – Livret : 8,5 – Répertoire : 7-9 – Interprétation : 10