Découvertes posthumes

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La récente découverte d’une sérénade de Mozart et d’une valse de Chopin, toutes deux inconnues jusqu’alors mais authentifiées, m’incite à revenir sur l’éternel débat sur les dernières volontés de nos chers compositeurs. Dukas ou Duparc nous ont rendu un grand service en détruisant tout ce qu’ils ne voulaient pas voir exhumé après leur mort. Mais ce sont des exceptions. Tous les grands compositeurs font l’objet de cette chasse à l’exhumation, souvent malsaine quand elle devient trop inquisitrice. Périodiquement, quelques feuillets beethovéniens inédits passent dans des ventes prestigieuses. On en trouvera encore dans un siècle ou deux. Même chose pour Debussy, grâce (ou à cause) de la générosité de sa veuve qui distribua aux fans de son défunt mari des pages inédites, souvent sans discernement. On a déjà pu reconstituer une bonne partie de La Chute de la Maison Usher, le trio et la symphonie pour piano à quatre mains, sans compter de nombreuses mélodies ou des pièces pour piano. Le cas de Rodrigue et Chimène est plus compliqué. La Symphonie inachevée de Schubert n’est toujours pas terminée, malgré plusieurs tentatives très sérieuses mais peu convaincantes de Brian Newbould. À l’écoute de la Fantaisie pour piano et orchestre de Schumann, on comprend pourquoi il l’a remaniée pour en faire le premier mouvement de son concerto. Mahler n’a pas terminé sa Dixième Symphonie dont l’orchestration d’Ernst Krenek et Franz Schalk pour l’Adagio ou les différentes versions “terminées” de Deryck Cooke ou de Yoel Gamzou pour l’ensemble de l’œuvre me semblent parler une autre langue que celle de l’auteur du Chant de la terre. On sait quels dommages (bien intentionnés) Rimski-Korsakov a causés à l’œuvre de Moussorgski. Quant au Concert à quatre de Messiaen, il se chuchote qu’il serait davantage de la plume d’Yvonne Loriod que de celle de Messiaen. Dois-je poursuivre? Tchaïkovski et sa Septième Symphonie, Bartók et son Concerto pour alto, sans compter les fantasmes autour d’œuvres dont l’existence ne tient qu’à des témoignages ou à une lecture entre les lignes de lettres et écrits divers (Dixième Symphonie de Beethoven dont Barry Cooper a recréé un premier mouvement assez laborieux, Huitième Symphonie de Sibelius, Huitième Symphonie également de Prokofiev). Sans parler de l’intelligence artificielle…

Le cas de Fauré m’intéresse particulièrement car je me souviens avoir dirigé un concert avec l’Orchestre de Paris pour le cinquantenaire de sa mort au programme duquel nous avions exhumé la musique de scène de Jules César (dont Fauré a repris l’essentiel du matériel dans Caligula). Deux charmantes vieilles dames, les héritières de Fauré, étaient venues me voir à l’issue du concert, hésitant entre me féliciter et me faire les gros yeux car j’avais tiré des archives de l’éditeur une œuvre que leur beau-père n’avait pas fait éditer. À l’époque, elles faisaient la chasse à toutes les tentatives d’exhumation, dont le Concerto pour violon et la Symphonie faisaient l’objet. Finalement, ces œuvres ont été tirées de l’oubli, on a constaté qu’elles ne manquaient pas d’intérêt sans être du meilleur Fauré; point à la ligne. Mais l'impossibilité d’y accéder pendant des années avait créé un inutile fantasme. 

Laisser couler un peu d’eau sous les ponts permet parfois à une nouvelle génération d’avoir un regard indépendant. C’est seulement après la disparition de Marguerite Long que des pianistes ont osé se démarquer d’une tradition figée considérée comme parole d’évangile, alors que l’on sait que les compositeurs français qu’elle a servis, Fauré et Ravel en tête, la trouvaient un peu trop exclusive. La composition qu’en a faite Emmanuelle Devos dans le film d’Anne Fontaine n’aurait jamais été envisageable il y a quelques dizaines d’années. 

Que de chemin parcouru depuis un demi-siècle avec surtout la nouvelle édition urtext des œuvres de Fauré entreprise par Bärenreiter sous la houlette de Jean-Michel Nectoux qui a su s’entourer d’une pléiade de musicologues français. Notre musique s’exporte bien. Dommage qu’elle ne contribue pas à combler notre déficit commercial.

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