Concert hommage à Gabriel Fauré : un dialogue raffiné entre Keigo Mukawa et Cristian de Sá
À l’occasion du centenaire de la disparition de Gabriel Fauré, le pianiste Keigo Mukawa et le violoniste Cristian de Sá s’unissent pour un concert-hommage à Paris, dans le cadre intime et raffiné de la Salle Cortot. Ce programme, centré autour des deux Sonates pour violon et piano de Fauré, explore un demi-siècle de créativité musicale à travers deux œuvres contrastées par leur style et leur approche harmonique.
Si Keigo Mukawa est connu des mélomanes français et belges grâce à ses deuxième et troisième prix respectivement aux concours international Long-Thibaud (2019) et Reine Elisabeth (2021), Cristian de Sá, d’origine italo-portugaise et de nationalité anglo-portugaise, n’est pas encore familier de nos publics. Pourtant, il est nommé « Jeune star classique » par Classic FM, il mène une carrière internationale à Amsterdam, Londres, Salzbourg, Bucarest, Lisbonne, Madrid et tant d’autres villes.
Les deux sonates pour violon et piano de Fauré, composées à près de quarante ans d’intervalle, témoignent de l’évolution stylistique du compositeur et des bouleversements artistiques de son époque. La Première Sonate op. 13, écrite en 1876, est empreinte d’un lyrisme post-romantique et d’une grande richesse mélodique. En revanche, la Seconde Sonate, op. 108, composée en 1917, s’inscrit dans une esthétique personnelle, marquée par un langage plus introspectif. À travers ces deux œuvres, Mukawa et de Sá dévoilent non seulement la continuité dans l’écriture fauréenne mais aussi les nuances, plus raffinées et délicates, qui émergent avec le temps.
Pour compléter ce programme, les deux musiciens interprètent également la Sonate posthume de Maurice Ravel, une œuvre rare du répertoire. Bien que distincte des sonates de Fauré, cette pièce révèle un hommage discret au maître par Ravel, son ancien élève. Dès les premières notes, Mukawa et de Sá instaurent une atmosphère d’une grande sensibilité, mettant en valeur les subtilités harmoniques et les variations d’intensité de l’œuvre. Les deux interprètes, par leur approche à la fois précise et poétique, font vibrer la richesse de cette sonate méconnue avec une sensibilité proprement ravélienne.
Dans la Première Sonate pour violon et piano de Gabriel Fauré, c’est le violon de Cristian de Sá qui marque le premier mouvement par une ligne mélodique élégante et pleine de retenue. Cette approche, à la fois sensible et objective, permet de maintenir une distance raffinée, évitant tout excès d’émotion ou de pathos. Keigo Mukawa, quant à lui, révèle tout son talent de coloriste : il façonne chaque phrasé et chaque nuance avec une finesse remarquable, ses doigts offrant à chaque note une justesse d’expression qui captive l’écoute.
Cependant, au fil de l’œuvre, un léger déséquilibre sonore se fait sentir entre le violon et le piano. Ce contraste semble en partie lié à l’acoustique spécifique de la Salle Cortot, où la perception varie nettement en fonction de la position dans la salle. Durant la première partie du concert, placés au centre du parterre, nous avons constaté que le couvercle du piano projetait le son de manière assez directe, affectant l’homogénéité entre les instruments. Nous avons alors décidé de nous déplacer vers une place légèrement excentrée, où la distance permettait de mieux saisir la finesse du jeu des deux musiciens.
Dans cette nouvelle position, le duo s’est révélé sous un jour harmonieux, notamment dans les deux pièces de Claude Debussy, Le Plus que Lent et La Fille aux cheveux de lin. Ici, Mukawa et de Sá s’expriment avec une souplesse douce et apaisante, parfaite pour ces miniatures musicales aux inflexions « impressionnistes ». L’équilibre sonore rehaussait alors la clarté de chaque ligne mélodique, permettant à l’auditoire de pleinement apprécier la délicatesse du dialogue.
Vient enfin le clou du programme, la Deuxième Sonate de Fauré. Dès les premières mesures du premier mouvement, s’installe une énergie irrésistible, qui progresse en crescendo. Les deux musiciens s’entrelacent dans un jeu complexe et délicat, telle une arabesque fluide où la linéarité de la mélodie prend une ampleur presque hypnotique. Le finale, notamment, séduit par ses longues phrases soutenues, emportant le public dans un élan de passion partagée par Mukawa et de Sá, qui affirment « adorer cette sonate ». Leur interprétation est radieuse, empreinte de chaleur sans jamais verser dans un éclat trop éblouissant, préservant ainsi la subtilité et l’équilibre propres à Fauré.
En guise de bis, les deux artistes reviennent aux débuts de Fauré avec sa Berceuse op. 10, une pièce d’une simplicité étincelante, interprétée avec tendresse et retenue. Cette conclusion douce et lumineuse, presque suspendue dans l’air, laisse une impression d’intimité parfaite, comme un dernier hommage à l'élégance fauréenne.
Les deux interprètes partagent ainsi une même finesse coloriste et un grand sens du détail, créent une alchimie délicate tout au long de la soirée. Leur interprétation se distingue par une écoute réciproque qui transcende la technique : chaque nuance est finement travaillée, chaque transition soigneusement pensée, tout en demeurant d’une fluidité naturelle. Les deux artistes parviennent ainsi à livrer une interprétation épurée, dépourvue de tout maniérisme, qui laisse s’épanouir la beauté intrinsèque des œuvres. Et c’est avec un tel soin et une interprétation aussi élégante que Keigo Mukawa et Cristiande Sá ont célébré le centenaire de la disparition de Fauré.
Paris, Salle Cortot, le 24 octobre 2024
Victoria Okada
Crédits photographiques : DR