Réédition des Brandebourgeois de La Petite Bande (2009), à l’instrumentarium repensé

par

Johann Sebastian Bach (1685-1750) : Concertos Brandebourgeois no 1-6 BWV 1046-1051. Sigiswald Kuijken,  La Petite Bande. Octobre 2009, réédition 2021. Livret en anglais, français, allemand, italien. TT 51’31 + 45’05. Accent ACC 24379

Retour d’un enregistrement paru voilà quelque dix ans en SACD (ACC 24224), et déjà réédité dans un coffret de 10 CDs (ACC 24352). Dans le livret, Sigiswald Kuijken évoque l’évolution des conceptions et pratiques baroques, par le prisme des trois versions des Brandebourgeois auxquelles il participa : avec Gustav Leonhardt et Frans Brüggen pour Seon (1976-77), puis à la tête de La Petite Bande en 1993-1994 pour DHM, et enfin ce disque de 2009. La question de l’instrumentarium fait débat, par exemple pour le Concerto no 2. Dans sa copie de la partition en son état primitif, Christian Friedrich Penzel, un élève de Bach, avait indiqué « tromba o vero Corno da Caccia ». Ce qui autorisa Sigiswald Kuijken à substituer le cor (Claude Maury) à la trompette dans son précédent enregistrement, à l’instar de Barry Tuckwell chez Neville Marriner en 1971, suivant les thèses de Thurston Dart. Jusqu’aux années 1950, d’autres expédients furent utilisés pour pallier la tessiture suraiguë, notamment le saxophone chez Arturo Toscanini, solution également empruntée par Pablo Casals à Prades (Sony) ou Otto Klemperer (1946 à Paris, avec le Pro Musica). Dans cette mouture de 2009 a été choisie l’option la plus probable : la trompette naturelle en fa (copie d’un spécimen de Nuremberg, début XVIIIe siècle). Ce sont aussi des cors naturels (à force de souffle, sans palette) que l’on entend dans le premier Brandebourgeois, joué non avec le large effectif d’un concerto grosso mais à un par partie, gage de transparence. Le trait le plus singulier est toutefois de recourir à trois exemplaires de violoncello da spalla, en bandoulière autour du cou : un rare instrument que Sigiswald Kuijken avait déjà remis au goût du jour dans les Cantates et aussi dans les six Suites BWV 1007-1012 (Accent, 2007). Pour répondre à l’indication violone, la famille des cordes a établi une basse de violon à cinq cordes, tenue par Ronan Kernoa.

Esthétiquement, l’interprétation affirme un enviable compromis entre l’articulation et la souplesse (allegros du BWV 1048), la clarté et l’ornementation, la sagesse et l’expressivité. Même si les mouvements lents restent plus diserts que poétiques. Dans le BWV 1049, la suavité des deux flûtistes paie tribut à l’Empfindsamkeit en contraste avec la franchise des cordes, le tout emporté d’un geste sûr quoique serein. Le BWV 1051 paraît moins opaque qu’à l’ordinaire, l’approche mesurée et arachnéenne en scrute la polyphonie lumineuse, prodigue un adagio calme et moelleux, aux humeurs saturniennes, voire proche du statisme ; dommage que la troisième partie manque un peu de vigueur. Les cors de Jean-François et Pierre-Yves Madeuf affichent leur caractère dans le BWV 1046, abordé à un tempo prudent, pour un résultat un peu lourd et surexposé, y compris dans le délicat adagio dont la déambulation en devient étrangement pompeuse. La robustesse s’accompagne d’une rigidité et d’un certain manque de tonus dans les deux allegros, ce qui n’empêche pas la polonaise de se déhancher au gré d’une danse bourrue. On admire la virtuosité du soliste dans le BWV 1047, qui achève le programme avec brio. On placera toutefois au sommet le BWV 1050 où le traverso de Barthold Kuijken et le clavecin d’Ewald Demeyere nous valent une délicieuse et élégante promenade en terre galante, tout en subtilité. Au sein d’une discographie particulièrement abondante, voilà une science du discours qui intéresse, et justifie cette réédition.

Son : 8,5 – Livret : 8 – Répertoire : 10 – Interprétation : 9

Christophe Steyne

 

 

 

 

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