Les saveurs shakespeariennes de la musique de scène de Sir Arthur Sullivan

par

Sir Arthur Sullivan (1842-1900) : Mascarade du Marchand de Venise, musique de scène ; Henry VIII, musique de scène ; Ouverture de The Sapphire Necklace ; Ouverture en do. In Memoriam. RTÉ Concert Orchestra, direction Andrew Penny. 1992. Notice en anglais. 64.33. Naxos 8.555181.

La collaboration entre Sir Arthur Sullivan et le librettiste humoriste William S. Gilbert (1836-1911) a produit quatorze opéras entre 1871 et 1896, dont les plus célèbres sont H.M.S. Pinafore (1878), The Pirates of Penzance (1880), et surtout The Mikado (1885), qui connut en deux ans une avalanche de représentations dans le monde. Ces œuvres parodiaient l’univers de la période victorienne ; l’ironie et la satire en formaient souvent l’ossature. Mais avant cette fabuleuse aventure, Sir Arthur Sullivan avait déjà fait largement les preuves de ses qualités de compositeur. Les mélomanes passionnés de musique anglaise se souviendront sans doute d’un CD EMI de 1993, dans la collection « British Composers », qui proposait son séduisant Concerto pour violoncelle, donné en première audition publique en 1866, dont le manuscrit disparut dans un incendie et que reconstitua Sir Charles Mackerras au milieu des années 1980. Sur le même disque, on trouvait aussi la Symphonie en mi ‘Irish’, créée cette même année 1866, aux remarquables accents lyriques et dramatiques. Le label Naxos réédite aujourd’hui un album paru chez Marco Polo (8.223461) en 1992. Il s’agit de pages de musique de scène qui ont connu une grande popularité au XIXe siècle. 

Né à Londres dans une famille dont le père est chef de musique militaire, le jeune Arthur manifeste très vite des dons que l’on encourage. Il reçoit une bourse qui lui permet de se perfectionner à la Royal Academy of Music avec, parmi ses professeurs, Sir William Sterndale Bennett (1816-1875), fondateur de la Bach Society et ami de Mendelssohn. Sa formation se poursuit au Conservatoire de Leipzig qu’il fréquente de 1858 à 1861, où il travaille notamment avec Ignaz Moscheles (1794-1870) pour le piano et Ferdinand David (1810-1873) pour la direction d’orchestre. Dès ses 13 ans, Sullivan compose de la musique sacrée. Bientôt, ce sera de la musique symphonique, de la musique de scène (Shakespeare, déjà, pour La Tempête en 1861), une cantate et d’autres pages diverses qui l’inscrivent en bonne place dans la génération des compositeurs qui s’imposent alors. 

Retour à Shakespeare en 1871 avec la mascarade du Marchand de Venise, centrée sur une scène de l’acte II au cours de laquelle Jessica, la fille de l’usurier juif Shylock qui s’est convertie, s’enfuit de la maison paternelle pour rejoindre le jeune homme qu’elle aime, le chrétien Lorenzo. En six séquences, dont une sérénade chantée par un ténor, une danse grotesque, une valse et un mélodrame, Sullivan installe une atmosphère racée et attractive. La musique, légère et enlevée, s’inscrit dans un style qui oscille entre la finesse viennoise et les subtilités françaises. Six ans plus tard, c’est au drame historique Henry VIII que s’attarde Sullivan, et plus exactement au contexte de l’Acte V. Les quatre séquences débutent par une Marche solennelle, avant un air dévolu à un ténor, Youth will needs have dalliance, dont le texte badin n’est pas de Shakespear, mais est tiré de manuscrits où figurent des mots qui auraient été destinés à être mis en musique par Henry VIII, ce que rien ne vient confirmer de façon certaine. On trouve encore une danse pleine de grâce et une Water Music qui évoque le baptême de la fille d’Anne Boleyn, la future Elizabeth Ière. Les airs des deux musiques de scène sont très bien servis par un élève de Carlo Bergonzi, le ténor irlandais Emmanuel Lawler. Ce chanteur, qui s’est souvent produit au Royal Albert Hall ou au Carnegie Hall, exprime avec sensibilité la sérénade et le côté galant, avec une voix harmonieusement posée.

Le programme de ces attrayantes musiques de scène est complété par deux ouvertures. La première date de 1864 ; Sullivan n’a que 22 ans. The Sapphire Necklace (Le Collier de saphir) est le premier opéra du compositeur, sur un livret du critique musical Henry Chorley (1808-1872), une collaboration établie dès le retour de Sullivan de ses études à Leipzig. Cette œuvre lyrique en quatre actes, où il est question d’amour et de beauté sur fond de nature et d’intrigues sentimentales, n’a jamais été représentée, et le livret, médiocre, a disparu. On n’en connaît que deux airs publiés, en plus de l’ouverture dans un arrangement pour musique militaire, dont Charles Dickens se serait déclaré perfectly enchanted par le thème du menuet initial. Mais l’écrivain ajoutait que cela ne justifiait pas l’existence d’un opéra complet. Pour le présent CD, une orchestration a été effectuée dans le style de Sullivan par Roderick Spencer ; elle se révèle brillante, avec des élans généreux et fortement cuivrés. Quant à l’Ouverture en do. In Memoriam de 1866, année de la superbe Symphony ‘Irsih, elle a été écrite par Sullivan suite au décès soudain de son père. C’est sans doute la page la plus émouvante de cet album, empreinte de tristesse, avec une mélodie pour le hautbois pleine de mélancolie. Les couleurs orchestrales sont chaudes, le développement est animé pour aboutir à un hommage sous la forme d’une majestueuse apothéose, dans laquelle intervient un orgue, pour la première fois dans une page de musique orchestrale anglaise. Le respect et l’admiration que Sullivan éprouvait pour son père sont noblement exaltés.

A la tête de la formation irlandaise RTÉ Concert Orchestra, fondée en 1948, Andrew Penny (°1952) se révèle un fidèle interprète de Sullivan, auquel il a consacré plusieurs CD pour Naxos, avec la même formation ou avec d’autres phalanges. Toujours pour Naxos, Penny a signé une superbe intégrale des symphonies de Malcolm Arnold, ainsi que des gravures d’œuvres d’Havergal Brian, Castelnuovo-Tedesco, Coates, Holbrooke ou Parry. Il soigne les détails pour souligner l’inspiration de Sullivan, auquel il accorde la place qu’il occupe méritoirement dans la musique britannique. Rappelons qu’il s’agit de la réédition d’un CD Marco Polo enregistré au National Concert Hall de Dublin du 13 au 16 avril 1992.

Son : 9  Notice : 8  Répertoire : 8,5  Interprétation : 9

Jean Lacroix  

 

 

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