Renverser la table : Mahler par Paavo Järvi et Brahms par Kirill Petrenko

Gustav Mahler (1860-1911) : Symphonie n°1 en Ré majeur “Titan”. Tonhalle-Orchester Zürich, Direction : Paavo Järvi. 2025. Livret en anglais, allemand et français. 56’26’’. Alpha 1166.
Johannes Brahms (1833-1897) : Ouverture tragique, op. 81 ; Symphonie n°1 en Ut mineur, op. 68. Berliner Philharmoniker, Direction : Kirill Petrenko. 2024 et 2025. Livret en anglais et allemand. 56’33’’ Berliner Philharmoniker Recordings. BPHR 250561
Deux disques symphoniques, parus simultanément, nous proposent deux interprétations qui renouvellent l’approche des partitions.
On commence avec la suite de l'intégrale des symphonies de Mahler avec la Tonhalle de Zürich sous la direction de Paavo Järvi. Nous avions adoré la Symphonie n°5 et nous aimons tout autant la Symphonie n°1 car le chef estonien et ses musiciens sont renversants !
Paavo Järvi impose un Mahler mobile et particulièrement vivant. Le premier mouvement est l’éveil d’un homme nouveau qui s’affirme dans cette symphonie en rupture avec les conventions. Le chef d’orchestre en souligne particulièrement les fractures et les césures, emportant ses musiciens dans un tourbillon musical, presque berliozien par la folie qu’il dégage : Mahler a rarement sonné autant révolutionnaire ! Paavo Järvi ne semble pas chercher à soigner la gradation, ni à jouer de nuances et il impose un Mahler abrasif, parfois acide et brut, mais qui va de l’avant, loin, des mondes romantiques auxquels on associe souvent le compositeur. Ce dernier doit avoir la tête qui explose des images fantomatiques et presque cauchemardesques que son imagination lui suggèrent et que le chef fait ressortir. Le fini instrumental est de haute volée et les pupitres, qui adhèrent complètement à la vision du chef, font bloc pour imposer cette lecture qui décape le matériau comme jamais.

On passe de Zürich à Berlin avec Kirill Petrenko au pupitre du Philharmonique de Berlin pour un album Brahms complètement renversant. On a toujours salué dans ces colonnes la fabuleuse capacité du directeur musical des Berlinois à électriser ses interprétations faisant passer au travers des pupitres une énergie colossale. Dès les premières mesures de l’Ouverture tragique, l’oreille est happée par la puissance et la tension qui découlent de cette lecture. La Symphonie n°1 poursuit cet élan avec, comme toujours avec ce chef, cette aptitude à légèrement jouer avec le tempo dans des micro-accélérations qui renforcent la puissance dramatique de ses lectures. La mécanique berlinoise, galvanisée et chauffée à blanc est impériale. On parie qu’avec d'autres orchestres, moins virtuoses et solides techniquement, un tel art de la direction mènerait à la sortie de piste. Mais ici la machine fait bloc, fusionnant avec l’interprétation. Brahms est évidemment chez lui à Berlin et les sonorités de la phalange sont fabuleuses : que ce soit les cordes, les vents ou les cuivres (quels cors ! ) tout est admirable. Cette Symphonie n°1 de Brahms est sans doute l’un des plus grands accomplissements interprétatifs du chef et de son orchestre pour une lecture qui s’inscrit au panthéon, bien chargé, des rendez-vous entre les Berliner Philharmoniker et Brahms.
Superbement enregsitrés, ces deux albums sont évidement de nouvelles références à thésauriser.
Note globale : 10