Mahler conquérant avec Paavo Järvi à Zurich

Gustav Mahler (1860-1911) : Symphonie n°5 en do dièse mineur. Tonhalle-Orchester Zürich, direction : Paavo Järvi. 2024. Livret en allemand, anglais et français. 71’31. Alpha 1127.
N’y allons pas par quatre chemins, on tient ici la grande interprétation de référence des années 2020 en matière de Symphonie n°5 de Mahler. Paavo Järvi, qui connaît son Mahler pour déjà avoir laissé en vidéo, une intégrale complète avec le Hr-Sinfonieorchester de Francfort (C Major), atteint ici un absolu musical et instrumental.
Mais commençons tout d”abord par parler de l’orchestre de la Tonhalle, foncièrement génial dans sa cohésion d’ensemble et ses individualités. La qualité de jeu et la finesse des pupitres est épatante avec de grands solos à commencer par l’impeccable Philippe Litzler à la trompette dans la “Trauermarsch” introductive ou Ivo Gass, magistral corniste dans le “Scherzo”. La discipline des cuivres est ici grandiose et rarement égalée dans la palette des nuances. La qualité de son, superbement restituée, est la fois claire et tranchante, permettant au chef d’imposer sa lecture.
Paavo Järvi propose un Mahler ciselé à la minéralité translucide. Sous sa direction, la Symphonie n°5 est un diamant qui scintille de mille couleurs. Le chef estonien ne cherche pas imposer une hyper narration ou un analytisme excessif, son Mahler, buriné à la pointe sèche, avance, dans un esprit dégraissé d’un Mahler des origines : la musique, rien que la musique. La “Trauermarsch” se déploie ainsi avec une force et une évidence que l’on entend trop rarement, portée par la morotique implacable des pupitres zurichois. Paavo Järvi garde cette logique claire tout son des cinq mouvements, parvenant à créer une tension de cette direction qui sait écouter les pupitres au milieu de la puissance orchestrale.
Ce Mahler nerveux mais jamais sanguin ou brutal sonne avec ce que l’on entend trop rarement : la fluidité parfaite et une attention spéciale portée aux équilibres. Les symphonies de Mahler et cette cinquième en particulier se prêtent à de multiples approches possibles, mais on tient ici une proposition marquante qui fait date tant par sa qualité intrinsèque que par la forme olympique du tandem entre Paavo Järvi et son orchestre, l’une des alliances artistiques majeures de notre temps ! Bienheureux Zurichois de les avoir à demeure !
Son : 10 – Livret : 9 – Répertoire : 10 – Interprétation : 10
Pierre-Jean Tribot