Reprise du Lear de Reimann au Palais Garnier 

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Créée en 2016, cette production de Lear d’Aribert Reimann se voit proposée en reprise sur la scène de l’Opéra de Paris. Tout a été dit sur cette oeuvre presque mythique d’un compositeur qui a osé s’attaquer à une adaptation opératique de la pièce de Shakespeare, pièce qui avait rebuté autant Verdi que Debussy ! Longtemps marquée par la prestation du créateur du rôle Dietrich Fischer-Dieskau, l’oeuvre se faisait assez timide sur la scène avant d’être frappée par un revival tant dans la sphère germanique qu’à travers les scènes lyriques mondiales comme en témoignent cette reprise parisienne puis le voyage de cette production sur la scène du Teatro Real madrilène. Les errances du vieux roi et les disputes fratricides et mortelles pour le pouvoir trouvent sans aucun doute un écho particulier en ces temps de “populismes” ou de “trumpitude”, la vraie folie n’est décidément pas si loin de cette mise en scène par le grand auteur ! 

Si l’oeuvre reste impressionnante par certains aspects, portée par la démesure du rôle-titre, force est de constater qu’elle a quand même vieilli ! Le traitement de la gigantesque masse orchestrale (il a fallu réquisitionner les corbeilles latérales à la fosse pour y loger les batteries de percussions), ses stridences répétitives, ses saturations sonores auxquelles répondent les chanteurs dans le registre fortissimo peuvent s’avérer éprouvantes. Pourtant certains passages, comme la scène dans la lande, sont fascinants par un mélange de tensions dramatiques exacerbées et de poésie ; dans ces errances dramatiques, une certaine douceur de la musique crée l’épouvante. Il faut dire que la mise en scène du trublion espagnol Calixto Bieto ne recule devant aucune facilité en surlignant les effets dramaturgiques de la folie et de la violence. Tout est noir, sombre et tendu à l’extrême, autant dans la mise en scène que dans les décors labyrinthiques de Rebecca Ringst ou les lumières blafardes et réfrigérantes de Franck Evin. Aucun détail narratif sordide n’est négligé à l’image du caleçon maculé d'excréments du Roi Lear ou les marées d'hémoglobine que déversent éborgnations et égorgements. Mais si cet univers glauque fonctionne dramaturgiquement, son addition à la violence inhérente de la musique présente tout de même des reflets d’un académisme de la modernité en dépit de l’engagement viscéral des artistes dans cette production qui lui donne une force et une cohésion même si cette dernière est unilatérale.  

La distribution est exceptionnelle et elle portée par l’incarnation phénoménale de Bo Skovus. Autant vocalement que théâtralement, le grand baryton habite ce rôle. Il rend ainsi toutes les facettes psychologiques du vieux roi et lui confère une forme d’humanité dans cet univers de violences. La distribution reprend en grande partie les mêmes chanteurs qu’en 2016. Ils sont tous excellents. Mention spéciale au contre-ténor Andrew Watts, phénoménal en Edgar et qui se joue des difficultés de la tessiture, à la Goneril d’Evelyn Herlitzius, à la Cordelia d’Annette Dash au Gloster de Lauri Vasar ou au roi de France de Gidon Saks. 

Dans la fosse, Fabio Luisi, qui dirigeait déjà en 2016, propose une direction concentrée et appliquée à la tête d’un solide orchestre de l’Opéra de Paris. On pourrait tout de même aller plus loin dans l’exploitation du matériau orchestral. À la différence de l’orchestre, moteur de la dramaturgie, le choeur est utilisé avec parcimonie, tel un contemplateur désabusé des violences et ses tensions. Les forces chorales de l’Opéra de Paris, préparées par Alessandro di Stefano, s’acquittent consciencieusement de cette tâche. 

Paris, Palais Garnier, 30 novembre 2019  

Pierre-Jean Tribot

Crédits photographiques : Elisa Haberer / ONP

 

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