Sir Arthur Bliss et les plaisirs du brass band
Sir Arthur Bliss (1891-1975) : Œuvres pour brass band : Welcome the Queen, marche ; Kenilwoth ; Suite tirée du ballet ’Adam Zero’ ; Things To Come, suite tirée d’une musique de film ; The Belmont Variations ; ‘The Royal Palaces’, extraits ; Quatre Danses pour le ballet ‘Checkmate’. Black Dyke Band, direction John Wilson. 2024. Notice en anglais, en allemand et en français. 69’ 50’’. Chandos CHSA 5344.
En 1953, Sir Arthur Bliss prenait, à la mort de Sir Arnold Bax, la succession de ce dernier à la fonction enviée de Master of the Queen’s Music auprès d’Elizabeth II, couronnée l’année précédente. Né à Londres, Bliss avait étudié à Cambridge, puis au Royal College of Music, où il côtoya notamment Vaughan Williams et Holst. Ses études furent interrompues par la guerre, où il fut blessé dans les tranchées. Attiré d’abord par le modernisme, mais séduit aussi par le romantisme et les œuvres de Sir Edward Elgar, il connut un vif succès avec sa Colour Symphony de 1922, et opéra un retour vers une écriture plus inscrite dans la tradition. Son catalogue est abondant, où voisinent musique orchestrale, dont plusieurs ballets, pages pour le cinéma, œuvres vocales et partitions pour le piano ou pour des ensembles de chambre.
En 1935, chargé de rédiger une série d’articles pour le magazine de la BBC, Bliss découvrit dans le Lancashire une formation de 24 musiciens de brass band qui l’enthousiasma. Dès l’année suivante, il écrivit pour un concours la suite Kenilworth, dont le titre s’inspire d’un château immortalisé par un roman de Walter Scott, que le compositeur avait visité avec son épouse. Les trois mouvements, deux marches rapides qui encadrent une sérénade, étaient déjà un hommage solennel et royal, évoquant la gloire d’une autre reine, Elisabeth I, qui avait offert le lieu à son favori Robert Dudley et y avait séjourné en 1575.
Près de trente ans plus tard, Bliss composa The Belmont Variations, autre morceau de concours pour le championnat national de brass band de 1963. Il en confia l’instrumentation à un spécialiste, Frank Wright. Le titre évoque la cité de Belmont, dans le Massachusetts, qui fait partie du grand Boston, d’où sa femme était originaire, mais aussi les années où il enseigna en Californie. La notice très documentée d’Andrew Burn signale que le compositeur, qui se trouvait là-bas en 1939, au moment de la déclaration des hostilités en Europe, hésita à rentrer, mais y renonça sur les conseils de Sir Adrian Boult. À son retour, il fut nommé directeur musical de la BBC. Ces six Variations mettent en évidence les trombones, le cornet, l’euphonium (solo dans la Variation III), le bugle ou les cors, dans une alternance de rythmes variés très accrocheurs, mais aussi de moments nostalgiquement colorés. En 1978, Eric Ball, autre arrangeur célèbre, utilisa quatre extraits du ballet Checkmate, qui date de 1937 et connut un énorme succès qui s’est prolongé jusqu’à nos jours. Inspirée par le jeu d’échecs, dont le compositeur était un adepte, l’action, tendue et dramatique jusqu’à la violence, se joue entre l’Amour et la Mort, à une période où le nazisme étendait son ombre sur l’Europe. L’atmosphère est fascinante et cérémoniale, mais comporte aussi des côtés menaçants
Quatre autres pages pour brass band sont à l’affiche. Il s’agit à chaque fois d’arrangements d’œuvres de Bliss, en 2016 par Philipp Littlemore (°1967) pour une suite tirée du film de science-fiction Things To Come (1934/35), en 2023 par Robert Childs pour la suite tirée du ballet Adam Zero et, la même année, par Michael Halstenson (°1956) pour des extraits de The Royal Palaces (1966) et pour la marche Welcome the Queen (1954), qui ouvre le programme et était destinée à un documentaire présentant un voyage dans les pays du Commonwealth d’Elisabeth II et de son mari. Une musique de circonstance, menée avec un panache qui met en joie. Autre musique de circonstance, très évocatrice, The Royal Palaces rappelle le courage de la reine Victoria, les fastes des lieux liés à la couronne, dont le palais de Buckingham, ou une joute de chevaliers. La suite tirée d’Adam Zero est centrée sur la figure mythique du personnage et sur les saisons de l’homme, à l’image de celles de la nature. Ce ballet connut lui aussi un réel succès.
Tout cela est très distrayant et divertissant, les sonorités des œuvres originales de Bliss ou des arrangements procurant un bonheur d’écoute qui diffère quelque peu des schémas classiques habituels. L’interprétation du Black Dyke Band, dont l’existence remonte au milieu du XIXe siècle, est enthousiasmante. Cet ensemble renommé a remporté de multiples concours internationaux, tout spécialement en Angleterre. Il est dirigé avec un charisme euphorique par John Wilson. Le chef offre aux mélomanes un album des plus plaisants et des plus réjouissants.
Son : 9 Notice : 10 Répertoire : 8,5 Interprétation : 10
Jean Lacroix
Chronique réalisée sur la base de l’édition SACD