Sur la piste des toutes premières œuvres pour violoncelle solo

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CelloEvolution. Johann Sebastian Bach (1685-1750) : Prélude BWV 1008, Allemande BWV 1012, Courante BWV 1007, Sarabande BWV 1011, Bourrées BWV 1010, Gigue BWV 1009 [Suites pour violoncelle]. Domenico Galli (1649-1697) : Sonata IX. Giuseppe Maria Dall’Abaco (1710-1805) : Capriccio Quarto. Domenico Gabrielli (1651-1690) : Ricercar Sesto ; Ricercar Primo. Giulio De Ruvo (fl. XVII-XVIIIe) : Romanella VI ; Romanella VIII. Francesco Paolo Supriano (1678-1753) : Toccata V ; Toccata X. Giovanni Battista Vitali (1632-1692) : Capritio. Giuseppe Colombi (1635-1694) : [Gigue]. Josetxu Obregón, violoncelle baroque, violoncelle piccolo. Livret en anglais, français, allemand, espagnol. Novembre 2020. TT 55’53. Glossa GCD 923109

 « Ce n'est que dans la seconde moitié du dix-septième siècle qu’émergèrent des œuvres spécifiquement écrites pour le violoncelle solo. Ce phénomène peut être observé dans une région d'Italie, débutant dans une décennie précise, et relève d’une poignée de compositeurs. La culture florissante de la musique instrumentale dans l’Italie de la fin du XVIIe connut deux de ses plus prestigieux et florissants exemples dans les villes émiliennes de Modène et Bologne » indiquait (nous traduisons) Gregory R. Hamilton dans sa thèse de doctorat The origins of solo cello literature and performance (2005). Le livret du disque ne fait pas mention des travaux de l’universitaire américain, mais il en suit les mêmes pistes, ab incunabulis. Cet album part ainsi en quête des premières pages solistes écrites pour le violoncelle (du moins celui qu’on peut considérer comme tel à l’époque, nonobstant le débat organologique), avant le monument BWV 1007-1012 de Johann Sebastian Bach dont il échantillonne un panel de chaque type de danse empruntée aux six Suites. Ces spécimens de Prélude, Allemande, Courante, Sarabande, Bourrées, Gigue s’entretoisent à un florilège de pièces nord-italiennes, berceau de l’émancipation du violoncelle soustrait de son rôle d’accompagnateur associé à la basse continue. Un affranchissement, en lien avec les progrès de la facture locale des cordes, ainsi que le souligna Stephen Bonta (cf l’article From Violone to Violoncello: A Question of Strings?, in Journal of the American Musical Instrument Society, 1977).

Au sein de la cappella musicale de la basilique San Petronio de Bologne, la présence de virtuoses comme Domenico Gabrielli ou Giovanni Battista Vitali favorisa l’émergence d’un répertoire conséquent qui en retour stimula le rayonnement de l’instrument dans l’Europe musicale. De ces compositeurs, le programme inclut respectivement deux des sept Ricercari (1688) et le Capritio tiré des Partite sopra diverse Sonate (c1680), tout cela conservé à la Biblioteca Estense de Modène. Le CD invite aussi une des douze Sonates de Domenico Galli, tirée du recueil dédié au duc Francesco pour lequel travailla Giuseppe Colombi, maître de chapelle du Duomo di Modena. La cité napolitaine est représentée par Giulio De Ruvo dont nous entendons deux Romanelle, et par Francesco Paolo Supriano qui rejoignit la chapelle royale en 1730 : on lui doit douze Toccatas précédées d’une fondamentale préface didactique sur le jeu de l’instrument. Le parcours s’étend chronologiquement jusqu’aux Ricercari de Dall’Abaco, encore imprégnés du langage baroque bien que datés de c1770.

Le récital se partage entre deux instruments : un Sebastian Klotz historique de 1740 et un violoncelle piccolo, montés en boyau. Les quatre types d’accords, respectant l’esthétique des œuvres, sont précisés pour chacune d’elles. L’anthologie « Das violoncello im 17. Jahrhundert » d’Anner Bylsma (Harmonia Mundi, mai 1988) offrait en large part les Ricercari de Gabrielli, mais aussi deux de Giovanni Battista Degli Antonii, des Canzone de Girolamo Frescobaldi, des Sonates avec basse continue de Giuseppe Maria Jacchini. Depuis ce magistral CD, ces captivantes partitions restent trop rarement enregistrées. On apprécie qu’elles fassent ici non seulement l’objet d’un disque, mais qu’elles profitent d’une interprétation aussi habile. On saisit la dextérité et la puissante inspiration de Josetxu Obregón dès la Sonate de Galli qui semble s’improviser dans le flux. L’interprète espagnol excelle à restituer le relief de telles pièces, et leur caractère presque rhapsodique, jusqu’à la rage (la foudroyante Toccata X de Supriano !).

On pourra bien sûr discuter le choix des œuvres, regretter par exemple que le Ricercar primo de Gabrielli fût préféré au cinquième et ses redoutables saut de registres en style brisé. On pourrait aussi se demander si le parcours n’aurait pu faire l’impasse sur Bach (horribile dictu), pour nous offrir plutôt un éventaire élargi du versant italien, moins attendu. Mais l’on se priverait alors de la farouche énergie inculquée à la Bourrée (même si quelques notes se bousculent un peu dans l’ardeur…), et l’on manquerait la Gigue taquinée de si sulfureuse manière ! Alors ne touchons à rien, et prime au risque : en l’état, une petite heure qui ravit et émoustille, superbement captée par les micros de Federico Prieto, au cœur de Madrid.

Son : 9,5 – Livret : 9,5 – Répertoire : 8-10 – Interprétation : 9,5

Christophe Steyne

 

 



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