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Hommage à Eduardo del Pueyo

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Eduardo del Pueyo est né le 29 août 1905 à Saragosse où il entreprend ses études musicales. A 12 ans, il donne son premier concert public, engagé par le Cercle des Beaux-Arts de Madrid où il poursuivra ses études avec José Balsa. A l'âge de 15 ans, il reçoit une bourse pour se perfectionner à l'étranger. Il choisit Paris où il s'installe avec sa mère. Paris, 1921, capitale mondiale des arts. Il y rencontre Stravinsky, Ravel, suit assidûment les conférences du philosophe Alain, joue pour Madame Debussy, côtoie les peintres et les hommes de lettres. Une anecdote montre bien la détermination de l'adolescent : alors que Marguerite Long régnait en maître dans la capitale, le peintre espagnol Zuloaga lui présente le jeune pianiste à qui elle propose de devenir son élève. Le jeune pianiste ayant répondu négativement, Zuloaga, fort embarrassé, bredouille que le jeune homme ne parle qu'imparfaitement le français et n'a pas saisi le sens de la question. Mais l'intéressé confirme : "En espagnol ou en français, c'est non !". C'est avec Raoul Lapara qu'il travaillera le piano, et l'écriture avec Montrichard. "Je pose en principe que pour réaliser une bonne interprétation, il faut savoir composer" dira-t-il. La renommée de Del Pueyo fait très vite florès à Paris où il joue dans les plus grandes salles et réunit les critiques les plus enthousiastes. 

Mais ce ne sont pas les honneurs que recherche del Pueyo. A 22 ans, il se retire du monde des concerts pour approfondir son art. Cette parenthèse durera dix années, passées à la maîtrise des Sonates de Beethoven, des grands cycles de Granados et d'Albeniz, les Tableaux d'une exposition de Moussorgsky, l'œuvre pianistique de Debussy et un répertoire concertant réduit mais parfaitement maîtrisé. Jean-Claude Vanden Eynden, un de ses disciples les plus renommés, nous rapporte aujourd'hui des propos de son Maître: Bartok, je ne connais pas ce langage et après, pour moi, il n'y a plus de musique. […] A Bartok, il préférait Prokofiev, un de ses préférés du XXe siècle avec Debussy -dont il réalisa d'ailleurs une intégrale. Mais son répertoire favori restait le grand piano romantique associé à Beethoven, Haydn, Mozart, Bach, poursuit Jean-Claude Vanden Eynden. L'intégrale des Sonates de Beethoven, c'était comme la "marque" d'Eduardo del Pueyo et à plusieurs reprises il la donna en cinq ou six soirées. A ma connaissance, il était le premier à relever cette gageure. 

Approfondir son art, c'était aussi pour del Pueyo élaborer une méthode, une philosophie de l'instrument. Il a l'heureuse opportunité de rencontrer, peu après son dernier concert parisien, Jeanne Bosch Van's Gravemoer, une disciple de Marie Jaëll, elle-même élève de Liszt dont elle avait patiemment analysé le geste pianistique. Alsacienne, amie de Saint-Saëns, Marie Jaëll avait élaboré une méthode, une philosophie qui dépassait largement le piano, cherchant, avec l'aide de psychophysiologistes, à mettre en évidence l'influence du mouvement sur le cerveau et le développement de celui-ci à travers les sensations subtiles éprouvées par les papilles de la pulpe des doigts. J'avoue que cette définition de la "méthode Jaëll" est assez réductrice, mais la développer prendrait des pages et des pages ! Signalons, pour ceux que la méthode intéresserait, que l'ouvrage de Jeanne Bosch à propos de la méthode Jaëll est actuellement en cours de réédition et sera bientôt à nouveau disponible, tout en considérant que c'est avant tout par la pratique que ses adeptes en réalisent les bienfaits.