Mots-clé : Catherine Trottmann

A la Scala de Milan, Guillaume Tell dans… Metropolis  

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Depuis décembre 1988, donc depuis trente-six ans, la Scala de Milan n’a pas remis à l’affiche l’ultime chef-d’œuvre de Rossini, Guillaume Tell, représenté sept fois entre décembre 1836 et avril 1899, devenu plus rare entre mars 1930 et décembre 1988 avec quatre productions dont la dernière en date avait été mise en scène par Luca Ronconi et dirigée par Riccardo Muti. 

Et c’est sa fille, Chiara Muti, qui est appelée à réaliser cette nouvelle présentation qui se base, pour la première fois, sur la version originale française en quatre actes dans un théâtre qui s’est contenté frileusement des habituelles traductions italiennes pour Les Vêpres Siciliennes et Don Carlos au cours de ces derniers mois.

Pour Chiara Muti collaborant avec Alessandro Camera pour les décors, Ursula Patzak pour les costumes, Vincent Longuemare pour les lumières et Silvia Giordano pour la chorégraphie, Guillaume Tell est l’histoire d’un pur, d’un visionnaire qui n’admet pas le vice, d’un héros malgré lui qui veut préserver avant tout la morale et le respect de tout être humain. Qui sait pourquoi, elle le rapproche de Metropolis, le long métrage de Fritz Lang datant de 1927, en nous immergeant dans un univers carcéral d’une suffocante noirceur avec ce labyrinthe de murs et de niches modulables encerclant une multitude prostrée qu’à son habitude, Ursula Patzak se délecte à uniformiser en l’habillant de camisoles de bagnards et de blouses d’ouvrières d’usine. Comment imaginer que ces pauvres diables se munissent de tablettes d’ordinateur diffusant une lumière froide pour tenter d’aveugler ses tortionnaires ? Il est vrai que la violence est omniprésente, à commencer par les trois fiancées du premier acte, violentées puis violées par les sbires du pouvoir, le tableau de chasse de l’Acte II transformé en un massacre des innocents aboutissant à la scène charnière sur la grand place où Gessler se métamorphose en un démon paré de rouge, entouré par les incarnations des sept péchés capitaux. Cet hymne à la présomptueuse Babylone semant chaos, désordre et mort permet à la chorégraphe Silvia Giordano de mettre en branle une bacchanale dégénérée qui sombre dans le ridicule par ses outrances, au pied d’un gigantesque chêne de Herne oublié lors d’un Falstaff, arborant un suaire ensanglanté qui remplace le fameux chapeau de Gessler. Règle absurde que celle de s’incliner devant lui, alors que Tell doit accomplit un acte contre nature en faisant voler en éclats, sur la tête de son fils, cette pomme rouge qui a symbolisé la trahison de l’homme envers Dieu. Tandis que la tempête de l’acte IV démontre la lutte du bien contre le mal, la seconde flèche de l’arbalétrier fera crouler dans l’abîme la figure honnie du tyran et les murs de l’oppression. Finalement, après cinq heures de lassante obscurité, une triple arcade finit par s’élever vers les cintres, dégageant une toile de fond en cascade délavée qui permet aux réprouvés de se libérer des noires guenilles pour exhiber le blanc de la rédemption. Au rideau final de la première du 21 mars, une bordée de sifflets a accueilli vertement Chiara Muti et son team qui, dans leur for intérieur, ont dû imaginer qu’ils avaient écrit une page capitale dans l’histoire mouvementée de cet illustre théâtre.

À Rennes, le Couronnement de Poppée moderne et émouvant 

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L’Opéra de Rennes présente Le Couronnement de Poppée dans la mise en scène de Ted Huffmann. Cette production, créée au Festival d’Aix-en-Provence en 2022, a remporté un immense succès pour sa modernité qui fait écho à notre monde actuel. Damien Guillon est à la baguette pour diriger son ensemble Le Banquet céleste et un plateau vocal de luxe composé essentiellement de ses collaborateurs de longue date.

Mise en scène d’une modernité renversante

Un immense cylindre bicolore, noir d’un côté et blanc de l’autre, est suspendu au plafond et domine la scène tout du long. Il change de hauteur, tourne sur lui-même, et certains personnages le font pivoter. Est-ce le clair-obscur de la nature humaine ? Ou le téléscopage du caractère de Néron ou de Poppée ? Chacun peut interpréter à sa façon, et c’est l’enjeu de cette mise en scène à la fois ambiguë et précise. Dans un décor dépouillé de Johannes Schütz (tous les accessoires sont sur les côtés de la scène, légèrement hors champ des spectateurs) et les costumes « banals » (chemise-costume pour les rôles masculins, robe et tailleurs pour les rôles féminins) dessinés par Astrid Klein, les personnages évoluent sous le regard des autres. En effet, tous sont présents sur scène en permanence, assis au fond, ou en train de se changer dans les « réserves » d’accessoires, ou encore tout simplement debout, immobiles, contre le cadre de la scène. Ils observent ce qui se passe, accoudés ou les bras ou jambes croisés. Hormis les moments où ils sont protagonistes d’une action donnée, ils n’ont pas l’air d’être concernés par l’intrigue, mais sont-ils vraiment indifférents ? Les éclairages (Bertrand Couderc) semblent mettre en lumière la pensée de personnage, à l’instar de la teinte jaune-orangé tamisée -chaleureuse et sombre en même temps- qui montre Othon citant le nom de Drusilla alors qu’il a Poppée dans le cœur. Ted Huffman laisse à plusieurs reprises (notamment dans l’acte III) un long silence entre deux séquences ou scènes, pour exprimer l’hésitation ou la réflexion du personnage concerné, laissant ainsi une suspension… de pensée ? de temps ? de moral ? Une fois de plus, l’ambiguïté joue et influe sur notre perception.

A Lausanne une pétillante My Fair Lady  

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Pour célébrer les fêtes de fin d’année, l’Opéra de Lausanne reprend la production de My Fair Lady que Jean Liermier avait conçue pour cette même scène en décembre 2015 en faisant appel à Christophe de la Harpe pour les décors, à Coralie Sanvoisin pour les costumes, à Jean-Philippe Roy pour les lumières et à Jean-Philippe Guilois pour la chorégraphie. 

D’emblée, il faut relever que le spectacle n’a pas pris la moindre ride et que l’on s’amuse toujours autant avec ce boulevard devant Covent Garden enneigé et cette colonne Morris dans laquelle s’est faufilé le professeur Henry Higgins, afin de transcrire en phonétique le redoutable jargon cockney asséné par la bouquetière Eliza Doolittle. Que sont cocasses les apartés du personnel de maison ponctuant les interminables séances de formation où, lovée dans un énorme fauteuil surmonté d’un pavillon acoustique, la pauvre fille tente de modeler des voyelles sous le regard compatissant du Colonel Pickering et les hochements réprobateurs de Mrs Pearce, la gouvernante ! Comment ne pas s’esclaffer de rire alors que, devant la tribune d’Ascot, passent, ventre à terre, les coursiers, suivis d’une Mary Poppins égarée et que la pauvre Eliza profère un gros mot en suscitant le mépris de la gentry huppée mais en éveillant un tendre émoi chez le fringant Freddy Eynsford-Hill ! Haut en couleurs, le pub des bas quartiers où Alfred Doolitlle, son père, noie dans l’alcool la crainte de convoler en justes noces avec sa ‘bourgeoise’, sous les quolibets de ses compagnons de beuverie ! En demi-teintes où se faufile une indicible tendresse, l’héroïne finira par considérer Freddy, l’amoureux transi, le Colonel Pickering, masquant son inclination sous la bonhommie, avant de rejoindre, sans mot dire, son Pygmalion en lui apportant ses pantoufles…