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A Genève, une surprenante Maria de Buenos Aires 

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Un gigantesque columbarium où s’étagent les niches funéraires éclairées de lumignons rouges, permettant à un adolescent agile de l’escalader pour se glisser dans les espaces vides, telle est la première image que nous donne cette Maria de Buenos Aires que le Grand-Théâtre de Genève aurait voulu programmer en 2021 afin de commémorer le centième anniversaire de la naissance d’Astor Piazzolla, mais que la pandémie a contraint à reporter en cette fin octobre 2023. Créé à la Sala Planeta de Buenos Aires le 8 mai 1968, cet opéra, écrit pour un petit bar, comportait un effectif modeste incluant une chanteuse, deux récitants et un ensemble de tango avec bandonéon, guitare, un violon, une flûte, un violoncelle et une contrebasse, un piano et une percussion légère. Mais la première exécution fut désastreuse, car le livret du poète uruguayen Horacio Ferrer parut abscons avec ce mélange de religiosité et de magie noire qui dépassait les attentes d’un public friand de mélodies faciles.

Présenter un tel ouvrage sur une scène lyrique de vaste dimension suppose donc une amplification du canevas orchestral que réalise le chef argentin Facundo Agudin en utilisant une basse de cordes comprenant huit premiers violons, deux ou trois contrebasses disposée en une fosse surélevée. La sonorisation du plateau permet d’équilibrer les voix avec le bandonéon de Marcelo Nisinman et la guitare électrique de Quito Gato. A l’instar de l’ensemble instrumental, le chœur, réunissant une vingtaine d’étudiants, provient de la Haute Ecole de Musique de Genève, tout en incorporant les membres du Cercle Bach préparé minutieusement par Natacha Casagrande. Et ses interventions, souvent parlées, rappellent celles de la foule en colère dans les Passions de Bach. Et c’est bien à une ‘passion’ qu’il faut rattacher l’évocation de cette Maria née dans un quartier pauvre de Buenos Aires, « un jour où Dieu était ivre », comme le déclarera El Duende, le narrateur-esprit de la grande ville. Fascinée par le tango, devenue travailleuse du sexe pour survivre, elle est assassinée par ses congénères, se promène comme une ombre dans l’enfer qu’est la mégapole et régénérée par les paroles du Duende, donne naissance à une petite Maria qui est peut-être elle-même. 

A Genève, Philip Glass en ouverture de saison  

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A Genève, la saison 2019-2020 voit Aviel Cahn prendre la direction du Grand-Théâtre ; au lieu de présenter un grand ouvrage du répertoire, il opte pour une création scénique suisse, Einstein on the Beach, le premier ouvrage de Philip Glass écrit en collaboration avec le régisseur Bob Wilson et créé au Festival d’Avignon le 25 juillet 1976. Pour cette production genevoise, il fait appel au chef d’orchestre zurichois Titus Engel, spécialisé dans la musique contemporaine, et au metteur en scène tessinois Daniele Finzi Pasca dont le nom est sur toutes les lèvres car il vient de réaliser à Vevey le spectacle grandiose de la Fête des Vignerons. 

Le premier défi auquel tous deux sont confrontés est le fait que l’œuvre n’est dotée d’aucune narration, d’aucune intrigue ; et elle fait éclater le cadre formel en quatre actes pour livrer une succession de scènes qui sont déterminées par un lieu ou un espace temporel ; en cet happening qui dure près de quatre heures, le spectateur peut entrer ou sortir à sa guise, aubaine que saisit plus d’un abonné, ravi de faire lever toute une rangée du parterre ! Trêve d’ironie, il n’en demeure pas moins que la production est fascinante à tel point que je suis resté rivé à mon siège. Car dès le lever du rideau, deux orgues électroniques égrènent une musique répétitive nous faisant penser aux orgues de Barbarie, soutenant un chœur de seize chanteurs remarquablement fusionné, auquel répondra un ensemble de douze instrumentistes, de qualité toute aussi grande, constituant l’Einstein-Ensemble ; ces jeunes étudiants,issus des classes de la Haute Ecole de Musique de Genève (HEMU) forcent l’admiration par un enthousiasme qui devrait contaminer les formations officielles entretenues par l’Etat et Canton de Genève ! En tous les cas, tous ces musiciens se montrent d’une extrême ductilité et d’une rare efficacité sous la direction effervescente de Titus Engel qui réussit à maintenir un intérêt et une tension tout au long de la représentation.