A Genève, Philip Glass en ouverture de saison  

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A Genève, la saison 2019-2020 voit Aviel Cahn prendre la direction du Grand-Théâtre ; au lieu de présenter un grand ouvrage du répertoire, il opte pour une création scénique suisse, Einstein on the Beach, le premier ouvrage de Philip Glass écrit en collaboration avec le régisseur Bob Wilson et créé au Festival d’Avignon le 25 juillet 1976. Pour cette production genevoise, il fait appel au chef d’orchestre zurichois Titus Engel, spécialisé dans la musique contemporaine, et au metteur en scène tessinois Daniele Finzi Pasca dont le nom est sur toutes les lèvres car il vient de réaliser à Vevey le spectacle grandiose de la Fête des Vignerons. 

Le premier défi auquel tous deux sont confrontés est le fait que l’œuvre n’est dotée d’aucune narration, d’aucune intrigue ; et elle fait éclater le cadre formel en quatre actes pour livrer une succession de scènes qui sont déterminées par un lieu ou un espace temporel ; en cet happening qui dure près de quatre heures, le spectateur peut entrer ou sortir à sa guise, aubaine que saisit plus d’un abonné, ravi de faire lever toute une rangée du parterre ! Trêve d’ironie, il n’en demeure pas moins que la production est fascinante à tel point que je suis resté rivé à mon siège. Car dès le lever du rideau, deux orgues électroniques égrènent une musique répétitive nous faisant penser aux orgues de Barbarie, soutenant un chœur de seize chanteurs remarquablement fusionné, auquel répondra un ensemble de douze instrumentistes, de qualité toute aussi grande, constituant l’Einstein-Ensemble ; ces jeunes étudiants,issus des classes de la Haute Ecole de Musique de Genève (HEMU) forcent l’admiration par un enthousiasme qui devrait contaminer les formations officielles entretenues par l’Etat et Canton de Genève ! En tous les cas, tous ces musiciens se montrent d’une extrême ductilité et d’une rare efficacité sous la direction effervescente de Titus Engel qui réussit à maintenir un intérêt et une tension tout au long de la représentation.

Sur scène, comme le précise Daniele Finzi Pasca, l’impossibilité d’élaborer une pièce sur la théorie de la relativité selon Albert Einstein oblige la troupe à illustrer la relation de l’être humain avec le temps qui se déconstruit en séquences où les images s’inversent. Alors que, à tour de rôle, les acteurs débitent en anglais un monologue auquel l’on ne comprend rien, le décor d’Hugo Gargiulo consiste en un gigantesque tableau noir inséré entre deux bibliothèques et en un bureau d’où s’envolent des liasses de papiers ; sur un vélo descendant des cintre, apparaît un petit vieillard qui pourrait bien être notre physicien, tandis que se faufile un groupe de bourgeois que la costumière Giovanna Buzzi a habillé selon le style parisien des années vingt. Puis en un savant jeu de lumières orchestré par Alexis Bowles, flanqué du metteur en scène, un modèle réduit d’avion vrille au-dessus de tubulaires métalliques fixés sur socle à roulettes que l’on tire pour figurer un train. A l’instar d’une toile surréaliste d’Yves Tanguy prend forme une vaste plage où l’on se prélasse sur des transats pendant que deux ou trois baigneurs jouent au tennis ou se passent un énorme ballon et qu’un trapèze emporte dans les airs une adorable sirène sortie de l’onde. Un clown débite des propos absurdes édulcorés par les traits virtuoses qu’enchaîne la violoniste Madoka Sakitsu sur fond d’effets vidéo conçus par Roberto Vitalini, suggérant une mer en furie qui finit par se rigidifier en cerceaux de fer lorsqu’est évoquée une aciérie avec ses ouvriers déferlant sur patins à roulettes. Image infiniment poétique que celle du cheval blanc guidé par une jeune fille émergeant de nappes de fumée car, selon Daniele Finzi Pasca, il représente la vie au même titre que cette danseuse, vêtue d’une longue jaune, qui s’immergera dans un verre d’eau géant avant de remonter à la surface pour entrevoir Einstein en bicyclette s’envolant vers les nuées alors que, des hauteurs, tombent des papillotes par milliers, vous faisant écarquiller les yeux, comme si vous vous éveilliez d’un rêve. Et le public ne s’y trompe pas, en réservant un véritable triomphe à tous les artisans de cette incontestable réussite.

Paul-André Demierre

Crédits photographiques : Carole Parodi

Genève, Grand-Théâtre, le 13 septembre 2019

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