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Cyril Huvé, à propos de Beethoven 

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Le pianiste Cyril Huvé fait paraître chez Calliope un album consacré à des sonates de Beethoven qu’il interprète sur 3 pianoforte différents. Cet album aussi personnel que réfléchi est un grand moment de musique. Crescendo Magazine a voulu en savoir plus sur sa démarche. 

Votre nouvel enregistrement est consacré à cinq des plus célèbres sonates de Beethoven. Qu’est-ce qui vous a orienté vers ce choix ? 

D’abord ce sont des Sonates que j’avais envie de jouer, elles appartiennent à mon répertoire depuis longtemps. Ensuite, si elles sont célèbres, c’est justement parce qu’il y a une raison, ce sont de grands chefs d'œuvre : pourquoi leur enregistrement serait-il réservé aux interprètes les plus célèbres ? Plus profondément, je m’intéresse depuis longtemps aux valeurs du discours musical, je veux dire que la perception que nous avons aujourd’hui de la fonction des oeuvres musicales a considérablement changé : il suffit de lire un moment les textes des amis de Beethoven, les lettres que celui-ci envoyait à ses éditeurs, les fragments de dialogue sur lesquels ses Cahiers de conversation lèvent le voile, le premier 'traité d’exécution’ de son oeuvre pour piano rédigé par Czerny, pour être frappé par le caractère oratoire de cette musique. Non pas au sens vague que nous pourrions lui donner aujourd’hui mais, très précisément et dans le détail de l’écriture, un parallèle constant entre l’éloquence de la voix humaine et sa traduction par le truchement instrumental. Cela se retrouve tout autant dans le Traité de l’Art du violon de Baillot au moment où, à Paris, Habeneck créait les Symphonies. On peut dire que Beethoven ‘parle’ en musique pour communiquer une réaction émotionnelle, à l’instar d’un orateur. Ses Sonates ‘à titre’ en sont très représentatives, à commencer par la « Pathétique », qui pose comme un cadre dans lequel il s’exprimera tout au long de sa production. La musique n’est pas faite pour divertir, encore moins pour mettre en valeur l’exécutant. J’ai été frappé par le fait que Beethoven n’a guère joué ses Sonates en public, alors qu’il était très célèbre comme improvisateur -justement c’est un peu le côté ‘orateur’ qui soulève les foules. Cela lui a permis d’expérimenter un langage musical qu’il a ensuite mis en forme, pour la postérité, dans des Sonates très élaborées et réfléchies où il livre la quintessence d’un discours. Lorsqu’on entend un grand orateur -comment ne pas évoquer Bossuet bien sûr, mais pensons, plus près de nous, à André Malraux ou même au Général de Gaulle, ou à de grands comédiens ou prédicateurs dont nous avons des témoignages sonores-, la pensée consciente est submergée par la vertu d’une alchimie mystérieuse du son et du sens. C’est la fonction que très délibérément Beethoven assigne à la composition, tout particulièrement dans les Sonates que j’ai choisies, je pense que cela a une certaine cohérence.