Mots-clé : François Deppe

The Line #3 : un certain art de la programmation

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Troisième de sa propre saison, le concert de l’Ensemble Hopper, ce soir au Mom, dont la scène est fendue de lignes vertes fluorescentes qui, tels les néons mauves de discothèque soulignant de leur fantasmagorie obscure dents blanchies et pellicules sur vestes noires, accentuent l’éclat des bretelles jaunes de Rudy Mathey (clarinettes) ou des lacets de Roxane Leuridan (violon), prend le nom de la pièce-phare du programme, Lichtbogen, réservée au final, alors que l’ouverture du bal (et plus puisqu’il apporte trois oeuvres) est aux mains de Zeno Baldi (1988-), jeune compositeur italien invité par l’ensemble.

Décalage, commande de l’ensemble créée en 2019, pour laquelle un décompte sur écran guide François Deppe qui guide Hopper, est tendue sur une électronique pulsatile, irréelle et ferroviaire, sur laquelle se greffent, comme par attouchements incertains, les 8 instrumentistes : le ton est métallique, résonne comme dans l' espace clos et démesuré d’un atelier de maintenance. Du même Baldi, pour une durée similaire, Bonsaï, tout aussi accrocheur mais replié sur une dimension restreinte, s’intéresse, son titre lève toute ambiguïté, au soin, patient et précis, que requiert un arbre petit pour un temps infini : tremblements comme sur ressorts, frottements des balais sur la timbale, les sons naissent, croissent, ploient et se replient, contraints par un volume avare. Après la pause (le bar est ouvert), l’émouvant Principio di Archimede, troisième pièce de Zeno Baldi, succède au Wasserklavier de 1965 de Luciano Berio (1925-2003) -dont le piano accole modernité et nostalgie, et cotoie, dans le cycle Six Encores, les éléments frères, air, feu et terre-, aborde aussi le concept de l’eau, de la mémoire submergée, mais avec cinq instruments et sous l’angle tragique du noyé en passe d’immigrer, dont l’absence de vie se brouille du flux infini de la haute mer.

Hopper plays Slinckx : ovation pour une musique jubilatoire

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Pierre Slinckx, ce soir joué par l’Ensemble Hopper pour la release party de son nouvel album, h#1|2|3|4, invité par Ictus (qui lui-même squatte) chez une copine, au Rosas’ headquarters, la salle de danse de la compagnie d’Anne Teresa De Keersmaeker à Bruxelles, a un peu le trac (« je préfère l’avoir avant plutôt que pendant ») en regardant les rangées de chaises, alignées sur le revêtement qui protège le plancher de la salle de répétition, se remplir rapidement, dans le joyeux brouhaha de ceux qui se retrouvent, encore appuyé par les conversations des fumeurs ou de ceux qui profitent de l’air frais (les uns n’empêchent pas les autres) de l’autre côté de la porte-fenêtre, sur la pelouse au-delà de laquelle on aperçoit les caténaires de la ligne de chemin de fer. Peut-être sont-ce les auditeurs habitués des « Ictus Invites », peut-être est-ce l’âge du compositeur (34 ans), sa musique mixte qui flirte ouvertement avec l’ambient décliné dans ses années charnières chez Obscure Records, le minimalisme américain et l’électronique, ou alors la présence du bar dans la salle, en tout cas le public est plus jeune que celui des habituels lieux qui accueillent la musique écrite -et c’est un plaisir de ressentir la vie vibrer dans ce rectangle de béton et de bois, dont je me demande un instant comment il va résonner avant de me concentrer sur ce drôle d’instrument qui, avec l’ordinateur de Slinckx, fait le duo de la première partie.

Ars Musica : Surprise your ears! 

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Le Festival Ars Musica bat son plein ! Crescendo Magazine vous propose un premier compte rendu de ce début de festival 2021.

Ligeti(s) - Concert d’ouverture - Bozar salle Henry Le Boeuf (Bruxelles), mardi 9 novembre 2021

L’air est frais et la curiosité éveillée à cette heure obscure où l’on se dirige vers l’entrée C de Bozar (l’escalier à gauche après le café Victor), téléphone à la main pour présenter billet et laisser-passer sanitaire, masque au visage pour respirer filtré. Ce soir est celui de l’ouverture d’un Ars Musica chahuté (comme d’autres) en 2020, ce que résume Bruno Letort (son directeur) en parlant de trois programmations : au premier confinement on allège, au second on adapte la thématique et on se met en ligne, en 2021 on reprogramme - sur le thème de la voix - dans l’espace et dans le temps. Une ouverture en forme de doublé, Ligeti père et fils, deux pièces du premier, une Suite en cinq mouvements du second.

S’il estime, après-coup, que l’atmosphère du morceau se réfère finalement bien plus à Vienne (où plane l’ombre d’Alban Berg) qu’à San Francisco, György Ligeti écrit San Francisco Polyphony après un séjour de six mois à la Stanford University et en réponse à une commande pour le soixantième anniversaire de l’orchestre californien. Il y porte à un point culminant sa technique micro-polyphonique, où l’évolution des voix est lente et peu perceptible -quasiment camouflée dans Lontano, qui s’écoule comme la coulée continue d’une métallurgie domptée-, même si San Francisco Polyphony soulève le voile sur ses structures internes et leurs mouvements.