Hopper plays Slinckx : ovation pour une musique jubilatoire

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Pierre Slinckx, ce soir joué par l’Ensemble Hopper pour la release party de son nouvel album, h#1|2|3|4, invité par Ictus (qui lui-même squatte) chez une copine, au Rosas’ headquarters, la salle de danse de la compagnie d’Anne Teresa De Keersmaeker à Bruxelles, a un peu le trac (« je préfère l’avoir avant plutôt que pendant ») en regardant les rangées de chaises, alignées sur le revêtement qui protège le plancher de la salle de répétition, se remplir rapidement, dans le joyeux brouhaha de ceux qui se retrouvent, encore appuyé par les conversations des fumeurs ou de ceux qui profitent de l’air frais (les uns n’empêchent pas les autres) de l’autre côté de la porte-fenêtre, sur la pelouse au-delà de laquelle on aperçoit les caténaires de la ligne de chemin de fer. Peut-être sont-ce les auditeurs habitués des « Ictus Invites », peut-être est-ce l’âge du compositeur (34 ans), sa musique mixte qui flirte ouvertement avec l’ambient décliné dans ses années charnières chez Obscure Records, le minimalisme américain et l’électronique, ou alors la présence du bar dans la salle, en tout cas le public est plus jeune que celui des habituels lieux qui accueillent la musique écrite -et c’est un plaisir de ressentir la vie vibrer dans ce rectangle de béton et de bois, dont je me demande un instant comment il va résonner avant de me concentrer sur ce drôle d’instrument qui, avec l’ordinateur de Slinckx, fait le duo de la première partie.

Organiste titulaire à la Basilique Nationale du Sacré-Cœur, Cindy Castillo manipule, au long des trente minutes et quatre mouvements de c#2, l’organetto, mécanique portative au cœur de son projet-laboratoire personnel, curieuse miniature de tuyaux et de soufflet, qui rend accessible l’approche, à l’écriture et en concert, d'un dispositif aux dimensions autrement monstrueuses. Musicien à part entière, Pierre Slinckx joue de son ordi, pour cette pièce, comme d’autres utilisent le synthétiseur (il débute à 17 ans avec les sonorités, limitées, de la Game Boy, qu’il entreprend rapidement de manipuler) : il s’agit moins de transformer ou de spatialiser le son que de le générer, en strates qui peu à peu gagnent en densité, imposent leur épaisseur, saturent l’atmosphère de la salle, nappes de synthèse et colonnes d’air de l’organetto dissertant comme des charlatans -fin de la question sur la résonnance et accueil exalté du public (seule une petite fille au premier rang s’est laissée un moment dépasser).

Après l’entracte (brouhaha, bière ou vin, gazon et cigarette, un train dans le fond du jardin), l’ensemble Hopper, dirigé par François Deppe, est à l’œuvre pour h#1|2|3|4 (qui paraît chez Cypres, et dont vous comprendrez la logique du titrage si je vous dis que le Quatuor MP4 est l’interprète de m#1) : cette fois, pas d’électronique en tant que telle, mais un ghettoblaster (h#1) qu’enclenche le percussionniste (Remi Lafosse), le temps du premier accord de The Unanswered Question de Charles Ives ; une ascension infinie (h#2) à la Risset-Shepard (ou à la Lionel Penrose pour les plus visuels qui préfèrent son escalier sans fin), dans un mouvement d’où sourd cette façon à lui qu’a le compositeur de sculpter le son comme le burin du tailleur la pierre bleue ; le wah-wah tube (h#3), ce cylindre d’aluminium fendu, frappé d’un maillet et au son modulé du pouce obturant l’orifice, que s’approprie chaque musicien à son tour avant de revenir à son propre instrument, et le martèlement intense (h#4) impulsé par le couple violoncelle (Ian-Elfin Rossiu) et clarinette (Rudy Mathey) mais qu’on attribuerait volontiers à une guitare metal -autant d’éléments d’une construction sonore à laquelle réagit le public par une ovation soutenue et passionnée, une envie de rester encore (chez Pierre, chez Ictus, chez Rosas) pour commenter, en parler, questionner, voir de près, s’exalter de cette musique qu’Ictus, au fond, ne peut qu’accueillir dans sa programmation, cette voix, personnelle et créative, d’un compositeur qui doit un peu au Fausto Romitelli auquel l’ensemble fondé par Georges-Elie Octors consacre deux disques entiers (Professor Bad Trip et An Index Of Metals).

Quelle belle soirée.

Bernard Vincken

Bruxelles, Rosas’ headquarters, le 10 juin 2022

 

Crédits photographiques : Ensemble Hopper / DR

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