Interviews
Le chef d’orchestre Félix Benati vient d’être primé à la Jorma Panula Conducting Competition 2024. Cette victoire est une grande étape dans la carrière de ce jeune musicien passionné par les répertoires des XXe et XXIe siècle. Diplômé de la classe d’Alain Altinoglu au CNSMD de Paris et actuellement assistant à l’Orchestre français des jeunes et à l’ORchestre national de Lille, Félix Benati répond aux questions de Crescendo Magazine.
Vous venez d’être primé à la Jorma Panula Conducting Competition 2024. Qu’est-ce qui vous a amené à participer à cette compétition ?
J'ai vu l'annonce d'ouvertures des inscriptions en ligne, le programme et le jury m'ont inspiré, j'ai présenté ma candidature et elle a été retenue. Dans le même temps j'ai obtenu une bourse d'aide au projet de l'ADAMI qui a couvert les frais d'inscriptions et mon voyage vers Vaasa (Finlande).
Jorma Panula est l’une des légendes vivantes de l’enseignement de la direction d’orchestre. Qu’est ce que ressent un jeune chef quand il reçoit un prix de ses mains ? Est-ce qu’il vous a prodigué des conseils ?
Un mélange de gratitude et de fierté ; je connaissais sa réputation, et sa reconnaissance de mon travail musical me donne foi dans le chemin que j'emprunte. Cela dit, il est resté laconique et bourru - c'est son caractère ! Le seul conseil auquel j'ai eu droit concernant mon geste est : "Secco !"
Qu’est-ce qui vous a amené à vous orienter vers la direction d’orchestre ?
Les Tableaux d'une Exposition de Moussorgski, orchestrés par Ravel. J'avais 8 ans ; tous ces épisodes, les couleurs et les dynamiques de l'orchestre m'ont immédiatement raconté une histoire et donné envie de diriger les livres de l'étagère en écoutant le CD. Mais je n'ai battu la mesure pour de vrais musiciens que 8 ans encore plus tard. Depuis, c'est surtout l'amour du répertoire et du travail musical en collectif qui m'ont fait persévérer.
Sur votre site, vous témoignez de votre passion pour "la voix et le répertoire des XXe et XXIe siècle", qu’est ce qui vous conduit vers ces répertoires ?
Mes premiers et plus nombreux coups de foudre sont du XXe siècle : Debussy, Ravel, Stravinsky, Poulenc, Britten... Les œuvres de ces compositeurs me sont très proches. Et puis c'est un répertoire où il y a tellement d'inventions, de pluralité de styles... ! Cela va sans doute de paire avec les nombreuses innovations mécaniques, techniques et la possibilité grandissante de faire voyager la musique à cette époque... En tout cas, c'est un véritable vivier sonore et musical que j'aime beaucoup. Quant à la musique d'aujourd'hui elle m'est essentielle, j'ai pris goût à son exploration et ses multiples surprises grâce à Benoît Menut, qui était mon professeur de composition il y a 12 ans.
La voix c'est autre chose. C'est de mon parcours d'ancien choriste et de chef de chœur que vient cette prédilection. Cet instrument-muscle m'est familier, j'y suis attaché, à lui et au sens qu'il porte par le texte. C'est notre instrument commun à tou.te.s, musiciens d'orchestre compris, il est à l'origine de toute mélodie. Je me sens particulièrement à ma place dans une fosse d'orchestre, à mi-chemin entre les chanteurs et les instrumentistes ; quel que soit le répertoire auquel je m'attelle, mon travail de la partition passe par le chant.
Depuis une quarantaine d'années, on observe une ultra-spécialisation des chefs et cheffes vers des tranches de répertoire. J’ai l’impression que vous vous revendiquez comme un chef plus généraliste un peu, comme les grands anciens ?
C'est vrai. J'ai la chance d'avoir un parcours qui m'a fait découvrir assez tôt un peu de tout : symphonique, opéra, chœur, musique ancienne, contemporaine, théâtre musical... Si j'en avais le temps, j'aimerais me spécialiser partout et tout faire ! Mais il faut dormir malheureusement...
Cela dit, je pense qu'en étant curieux, ouvert d'esprit et méticuleux dans le travail de préparation d'une partition, quelle qu'elle soit, on peut la servir avec justesse et sincérité. Mais j'admire énormément les musiciens qui se spécialisent, j'ai même besoin d'eux, d'apprendre en les écoutant, en discutant avec eux, en lisant leurs ouvrages... Leur travail est absolument nécessaire.
En cette année anniversaire Fauré, le pianiste Laurent Wagschal est la cheville ouvrière d’une intégrale dédiée au compositeur (Indésens Caliope Records), pas seulement une intégrale purement pianistique, mais aussi avec de la musique de chambre où il accompagne le violon et le violoncelle pour enregistrer les partitions que Fauré leur a réservé en duo avec le piano. Crescendo Magazine est heureux de s’entretenir avec ce musicien dont on suit avec fidélité les développements discographiques toujours impactants.
Cette année marque les célébrations du Centenaire de la disparition de Gabriel Fauré. Mais qu’est-ce qui vous a poussé à enregistrer une intégrale de sa musique pour piano, mais aussi d’accompagner au piano des enregistrements de sa musique avec violon et violoncelle ?
J'avoue que dans un premier temps j'avais pensé enregistrer un album avec « seulement » une sélection de pièces. C'est Benoît d'Hau, producteur du label Indésens Calliope Records, qui m'a proposé (et convaincu) de réaliser cette intégrale de piano. La musique de Fauré m'est très chère et m'accompagne depuis mon enfance, après un temps de réflexion quant à l'ampleur de la tâche (il s'agit quand même de près de 5h de musique !), j'ai finalement accepté avec beaucoup d'excitation et d'enthousiasme, c'est toujours fascinant et un peu vertigineux de jouer l’œuvre intégrale d'un compositeur.
Quant aux intégrales des duos avec violon et violoncelle, ce sont des œuvres que je connais très bien depuis longtemps et que je joue régulièrement dans le cadre de mon ensemble le Déluge, c'était donc pour moi une évidence de les enregistrer cette année à l'occasion du centenaire de Fauré.
Quelles sont les qualités de sa musique pour piano ? Comment s’intègre-t-elle dans son temps ?
Chez Fauré, la mélodie et l'harmonie sont évidemment d'une qualité exceptionnelle ; elles sont d'ailleurs en corrélation et indissociables. Pour le thème extraordinaire du 6e Nocturne, par exemple, on ne sait finalement pas très bien si c'est cette mélodie magnifique qui génère l'harmonie, ou bien si c'est la mélodie qui émane de ces harmonies somptueuses.
L’œuvre pour piano de Fauré est indéniablement un jalon essentiel, un sommet du répertoire français, mais elle n'est pourtant pas reconnue à sa juste valeur et jouée autant qu'elle le mériterait. Ce sont des partitions ardues, souvent difficiles de lecture et exigeantes pour l'interprète. Il est à noter également que malgré leurs difficultés, ce ne sont pas des pièces impressionnantes et spectaculaires de virtuosité. Dans les rares pièces où l'on trouve de la virtuosité chez Fauré, comme par exemple dans les Impromptus ou les Valses-Caprices, elle n'est jamais démonstrative, elle demeure toute en finesse, en dentelle.
La musique de Fauré s'inscrit à la fois dans le XIXe siècle dans la lignée des grands compositeurs romantiques, mais aussi dans le XXe siècle pour les œuvres de la dernière période, très modernes d'une certaine manière par la singularité de leur harmonie, absolument unique dans l'histoire de la musique.
Vous êtes un très grand connaisseur de la musique française, ce dont témoigne votre discographie. Quelle est l'influence de Fauré sur les compositeurs qui l'ont suivi. En effet, on parle souvent de l'influence de Debussy et Ravel, mais rarement de celle de Fauré ?
Même s'il a été pendant près de dix ans professeur de composition au Conservatoire de Paris, et qu'il a eu dans sa classe un certain nombre d'élèves devenus compositeurs de premier plan (Ravel, Enesco, Florent Schmitt), Fauré n'a pas créé d'école ou de courant comme ont pu le faire Franck ou Debussy. Il a eu cependant une influence sur de très nombreux musiciens : assez marquée chez André Messager, plus ponctuelle et que l'on observe essentiellement dans les œuvres de jeunesse chez Georges Enesco, Charles Koechlin, Mel Bonis, Philippe Gaubert, Gabriel Dupont...