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Hommage au Requiem de Mozart : quand Occident et Orient ne font qu’un

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Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1792) : Requiem en ré mineur, K.626 ; Fazil Say (1970*) : Mozart ve Mevlana, Op. 110. Fatma Said, soprano - Marianne Crebassa, mezzo-soprano - Pene Pati, ténor - Alexandros Stavrakakis, basse - Burcu Karadağ, ney - Aykut Köselerli, kudüm - Rundfunkchor Berlin, Klaas-Jan de Groot, chef de choeur - Luzerner Sinfonieorchester, Michael Sanderling, direction. 2025. Livret en anglais, français, allemand. 67’. Werner Classics. 5021732754738

Festival de Menton 2025 : une mosaïque musicale entre mer et étoiles

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Le Festival de Menton s’ouvre généreusement avec deux concerts gratuits sur l’Esplanade des Sablettes, qui attirent un public nombreux et varié. En arrière-plan, la cathédrale Saint-Michel se détache dans la lumière du soir, tandis que des projections animent les façades colorées de la Vieille Ville – un véritable tableau vivant. Près de 600 spectateurs sont installés face à la scène, concentrés, curieux, attentifs. À cela s’ajoutent les promeneurs qui s’arrêtent, attirés par l’énergie et l’originalité du programme. On remarque des mélomanes fidèles mais aussi un public jeune, pour qui ces concerts sont peut-être une première rencontre avec la musique dite "classique". Une initiative aussi accessible que généreuse.

Le parcours commence avec la Nuit Fantastique de Romain Leleu et de son Sextet, qui fait voyager de Schubert à Milhaud, d’Arban — le Paganini de la trompette — aux musiques de films et standards de jazz. Virtuosité éblouissante, swing et lyrisme, la trompette se fait tour à tour tendre, spectaculaire et populaire. Une soirée festive qui lance la 76ᵉ édition sous le signe du partage.

Quelques jours plus tard, c'est le Quatuor Janoska  qui fait danser Menton.   Bach revisité à la Grappelli, Carmen de Waxman, Vivaldi métissé de jazz et de rumba… Leurs improvisations malicieuses électrisent le public, qui reprend en chœur L’Hymne à l’Amour d'Edith Piaf en guise de final. La ville entière semble vibrer : musique classique, humour et convivialité s’y marient sans frontières.

Au cœur de la ville, les concerts de 18h offrent une respiration singulière. Dans les Salons Grande-Bretagne du Palais de l’Europe, 250 auditeurs entourent les artistes dans une disposition circulaire : proximité, acoustique limpide, prix doux — une formule idéale pour la découverte.

La pianiste Célia Oneto Bensaid captive avec son programme Miroirs liquides, consacré à cinq compositrices françaises. Son jeu limpide éclaire Jeanne Leleu, Marie Jaëll, Camille Pépin, Rita Strohl… Le récital se termine sur un Ravel et un Philip Glass hypnotique. Une expérience sensorielle et poétique saluée par un public conquis.

Les Arènes de Vérone entre modernisme futuriste et tradition

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Pour sa 102e édition depuis 1913, l’Arena di Verona Opera Festival affiche cinq opéras, les Carmina burana de Carl Orff, un Viva Vivaldi en concert immersif, le ballet Zorba le Grec, un gala Jonas Kaufmann et le Roberto Bolle and friends pour deux soirées.

Au niveau lyrique, la seule nouvelle production est consacrée à Nabucco, troisième ouvrage le plus fréquemment joué aux Arènes avec 239 représentations en 26 saisons. En cette année 2025, Cecilia Gasdia, la surintendante, en confie la réalisation à Stefano Poda qui conçoit à la fois la mise en scène, les décors, costumes, lumières et chorégraphie. Dans ses ‘Notes de régie’, l’homme-orchestre explicite son point de vue : « "Nabucco, c’est comme l’affrontement et la réunification entre deux polarités. Deux moitiés de sphère représentent non seulement la polarisation Hébreux-Babyloniens, mais aussi la spiritualité-rationalité sur un plateau scénique épuré dans une dimension spatiale post-moderne qui combine un labyrinthe de lumières futuristes avec la nudité des gradins de l’Arène. Les deux polarités s’attirent et se repoussent durant toute l’action jusqu’à un point extrême de scission pour parvenir à la synthèse du finale où les deux oppositions se réconcilient ».      

La métaphore est celle de la répulsion des particules atomiques. L’homme a réussi à découvrir comment scinder en deux parties un atome, pour se rendre compte ensuite qu’une telle science peut avoir des conséquences désastreuses. Ainsi le Finale de l’Acte II impliquant le moment où Nabucco prétend être Dieu provoque une explosion atomique avec effets spéciaux représentant la destruction de la raison séparée de la spiritualité.  La guerre est le bruit de fond de la trame concrétisée par des guerriers futuristes dotés de cuirasses lumineuses et d’armes blanches. Le monde naturel et détérioré des Hébreux arborant un jaune délavé symbolise la partie de l’intelligence humaine qui recherche la spiritualité, exprimant dans le célèbre « Va, pensiero » la tentative de fuir cette logique de l’affrontement.  Et la gigantesque clepsydre comportant le mot « Vanitas » juchée au centre symbolise le passage du temps qui efface inexorablement tout effort humain. Mais lorsqu’elle se rompra à l’Acte IV, elle obligera l’humanité à choisir entre le bien et le mal.                                                                

A Genève, le premier Werther de Pene Pati 

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"WERTHER"
Victoria Hall Genève 31 janvier 2025

Dans le cadre de sa saison 2024-2025, l’Orchestre de Chambre de Genève revient à une formule qui avait fait le succès du Roméo et Juliette de Gounod en janvier 2023, celle de présenter un grand opéra français en version de concert. Pour le 31 janvier 2025, le choix s’est porté sur Werther de Jules Massenet. S’adjoignant une vingtaine d’étudiants de la Haute Ecole de Musique de Genève-Neuchâtel, l’Orchestre de Chambre de Genève investit la scène du Victoria Hall sous la direction de Marc Leroy-Calatayud. Mais dès les premières mesures du Prélude, le son produit par la formation comportant plus de soixante instrumentistes paraît bombastisch (comme le diraient nos collègues d’outre-Rhin), tant il paraît démesuré par rapport à la dimension du plateau et à l’acoustique si particulière de cette salle.    Mais heureusement, le chef, soucieux d’équilibrer l’intervention des solistes et le discours orchestral, sait alléger le canevas au moment où, dans l’intelligente mise en espace conçue par Loïc Richard, paraît Pierre-Yves Pruvot campant le Bailli. Il est flanqué de six enfants de la Maîtrise du Conservatoire Populaire (préparés par Fruszina Suromi et Magali Dami), tandis qu’une dizaine d’autres les renforcent en fond de scène. Leur innocence enjouée à vouloir chanter Noël en juillet fait sourire au même titre que la venue des comparses dégingandés Johann et Schmidt personnifiés par les jeunes Sebastia Peris et Alix Varenne qui exsudent une joie de vivre qu’arrosera la dive bouteille à l’Acte II.       

Mais tout change lorsque se profile le Werther de Pene Pati, ténor de 38 ans natif des îles Samoa. Il suffit de la phrase « Alors, c’est bien ici la maison du Bailli ? » et de son premier air « Je ne sais si je veille ou si je rêve encore » pour percevoir la consistance d’un timbre clair régi par une musicalité hors norme, une diction châtiée et un art du phrasé irisé d’une palette de nuances raffinées. L’on prête dès lors peu d’attention aux seconds plans (la Kätchen d’Elise Lefebvre, le Brühlmann d’Hugo Fabrion) et même à Adèle Charvet qui semble un peu retrait avec une Charlotte quelque peu distante.  La même impression est produite par Florian Sempey, notoire comme Figaro du Barbiere, Dandini ou Malatesta, qui paraît un peu égaré dans ce répertoire mais qui trouvera meilleure assise au tableau suivant dans le dialogue avec Charlotte qui, elle aussi, assure ses moyens.  « Un autre est son époux ! » impose la dimension tragique d’un Werther qui se mure dans le silence face aux élans primesautiers de la pimpante Sophie de Magali Simard-Galdès mais qui touche la corde sensible dans le duo avec Charlotte « Ah ! Qu’il est loin ce jour plein d’intime douceur » puis dans la scène « Oui, ce qu’elle m’ordonne… Lorsque l’enfant revient d’un voyage avant l’heure ».                                                                                       

Clôture du Printemps des arts 2024

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Le Festival du Printemps des Arts s'achève par deux concerts de grande qualité. On a le plaisir de retrouver le Quatuor Parisii, à 18h dans le cadre magique de la Salle de Conférences du Musée Océanographique pour un Concert aux bougies (électriques) dans une semi-pénombre renforçant le caractère intimiste des œuvres de Haydn, Alvarado et Mozart. L'acoustique de la salle convient parfaitement aux instruments à cordes.

Le Quatuor Parisii propose en ouverture le Quatuor en si bémol majeur  “Lever du soleil” op.76 n°4 de Joseph Haydn L'interprétation des Parisii est caractérisée par la perfection, une complicité étonnante, pleine d'assurance et d'inventivité. Ils ont une sonorité ample avec des alternances entre chant et élans dramatiques. Le fabuleux adagio est particulièrement poignant.

Pour leur quarantième anniversaire, les Parisii ont commandé un quatuor au jeune compositeur Francisco Alvarado. Le Konsonanzenquartett, un clin d'œil au Quatuor "Les dissonances" de Mozart. Les Parisii alternent les mouvements des deux quatuors et c'est une sublime conversation à travers les siècles. L'oreille est constamment surprise, une expérience très enrichissante.

La Bohème tout simplement au Théâtre des Champs-Elysées

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Le metteur en scène Eric Ruf place les quatre tableaux de cette Bohème à l’intérieur d’un Théâtre dans le Théâtre, celui des Champs-Elysées. Magnifié par le rideau rouge qu’achève de peindre Marcello, l’espace devient tour à tour mansarde, Quartier latin ou Barrière d’Enfer, englobant même toute la salle un moment éclairée face à Mimi.

Les cages sont propices à la fluidité de déplacements bien réglés tandis que le café Momus évoque quelque conte d’Andersen où se mêlent cris d’enfants, tambours, filles légères au grand cœur et amis désargentés.

La lumière (Bertrand Couderc) définit chaque lieu d’une simple rampe ou d’un lever de lune. Sa discrète poésie s’harmonise au jeu des costumes (Christian Lacroix) plus percutant qu’il n’y paraît à première vue. Ainsi la robe orange de Musetta et celle, rouge vif, de Mimi au moment de sa mort, s’harmonisent-elles avec cette sensualité si particulière propre aux héroïnes sacrificielles de Puccini -féminité candide, ardente et blessée. 

Cet éclat est renforcé par le contraste avec une tonalité d’ensemble aux teintes sourdes. La palette des gris et des bruns, la variation des textures -fourrures, drap de laine, tricots- affine inconsciemment le regard. Merveilleusement terne, le raffinement ne se perçoit que peu à peu si bien qu’il faudra attendre les saluts pour en savourer les détails. Mais, surtout, par l’aisance de leur coupe, paletots, pelisses puis redingotes virevoltantes suscitent le geste vif, enlevé, dramatiquement juste.

Sur ce fond de grisaille, le moindre frémissement de vie, de chaleur humaine, de tendresse prend toute la place dans le courant d’une musique en constante métamorphose.

Le jeune chef lombard Lorenzo Passerini s’en empare avec un enthousiasme communicatif et un sens dramatique aiguisé. Fondateur de l’orchestre Antonio Vivaldi, tromboniste de formation, il galvanise l’Orchestre national de France comme les chœurs Unikanti-Maîtrise des Hauts de Seine. Sa vivacité sait se tempérer, soutenir des contrastes énergiques ou se mettre en retrait à l’écoute de ces accents de simplicité souriante et mélancolique caractéristiques du musicien. Chaque pupitre est mis en valeur et le génie orchestral du compositeur de Manon Lescaut peut se déployer dans toute son envergure. Au point que des réminiscences rares, habituellement fondues dans la masse, surprennent l’oreille : Moussorgski, entre autres, dont l’influence aura été finalement bien au-delà de Ravel, orchestrateur des Tableaux d’une exposition qui citait volontiers Puccini comme modèle d’orchestration, de Claude Debussy dont l’aversion pour le vérisme cohabitait avec une admiration éperdue pour Boris Godounov -« Tout Boris est dans Pélléas » confiait- t-il ! Ou de Stravinski, lui aussi, imprégné des trouvailles de la Khovantchina.

Un plateau de haut vol offre une interprétation équilibrée et bien caractérisée. Très attendu pour sa prise de rôle, le ténor Pene Pati (Rodolfo) fait preuve d’une belle sensibilité (« Che gelida manina ») qui s’affirme au fil de la représentation. Emouvant dans l’échange du quatrième tableau avec Marcello, sa puissance parfois démonstrative n’exclut pas de belles demi-teintes.

Alexandre Duhamel incarne un peintre chaleureux, truculent, très juste dans sa relation avec Musetta (Amina Edris).

Un premier récital enthousiasmant du ténor samoan Pene Pati

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Airs d’opéras de Giuseppe Verdi (1813-1901) : Rigoletto et La Battaglia di Legnano ; Charles Gounod (1818-1893) : Roméo et Juliette et Polyeucte ; Gioacchino Rossini (1792-1868) : Guillaume Tell et Moïse et Pharaon ; Gaetano Donizetti (1792-1848) : L’Elisir d’amore et Roberto Devereux ; Giacomo Meyerbeer (1791-1864) : Les Huguenots et L’Etoile du nord ; Jules Massenet (1842-1912) : Manon ; Benjamin Godard (1849-1895) : Jocelyn. Pene Pati, ténor ; Mirco Palazzi, baryton-basse (pour Moïse et Pharaon) ; Chœurs de l’Opéra national de Bordeaux ; Orchestre national Bordeaux Aquitaine, direction Emmanuel Villaume. 2021. Notice en anglais, en français et en allemand. Textes des airs en langue originale, avec traductions. 79.10. Warner 0190296348631.

Moïse oui, Rossini non : « Moïse et Pharaon » de Gioacchino Rossini 

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Si Moïse a finalement réussi à sauver son peuple en lui ouvrant les eaux de la mer Rouge, en revanche, il n’y a eu aucun miracle pour sauver le Rossini de Tobias Kratzer.

Moïse et Pharaon, un opéra créé à Paris en 1827, est la refonte radicale d’un précédent Mosè in Egitto créé à Naples en 1818. La version parisienne est typique du « grand opéra à la française » : grand orchestre, distribution abondante, décors monumentaux, effets scéniques, sujet historique, et l’indispensable ballet. 

Moïse et Pharaon est le conflit à rebondissements entre le terrible prophète et le souverain égyptien, ponctué par des emprisonnements, des malédictions concrétisées et le miracle d’une mer traversée. On y ajoutera une histoire d’amour entre Anaï, la nièce de Moïse, et Aménophis, le fils du Pharaon. 

Cela aurait pu être grandiose, spectaculaire, exaltant. Il n’en est rien. Tobias Kratzer, le metteur en scène, a –évidemment- voulu actualiser le propos. Les Hébreux sont devenus des migrants confrontés à des occidentaux technocratisés sans âme. Au premier acte, le plateau est divisé en deux : à gauche, les tentes misérables d’un camp de migrants, à droite les bureaux high tech d’un pharaon moderne. Voilà qui réduit l’espace de jeu : on s’agite chez les migrants, on reste figé chez les nantis. Ajoutons que dans cet univers aux apparences très réalistes, Moïse apparaît tel que Charlton Heston l’a immortalisé dans le film de Cecil B. DeMille. Anachronisme « significatif » bien sûr. On ne se parle pas en direct entre les deux camps : si Moïse a une ligne directe avec Dieu, les autres le contactent par Zoom ou autre Skype. On imagine ce qui en résulte pour la tension dramatique. L’épouse convenable proposée à Aménophis lui apparaît sur la page d’un site de rencontres. Faisons bref : une vidéo déroule des catastrophes naturelles d’aujourd’hui, bien métaphoriques, n’est-ce pas, des fléaux qui s’abattent sur l’Egypte, et on n’échappe pas aux canots pneumatiques et gilets de sauvetage pour la traversée des « migrants ». Quant à la direction d’acteurs, elle est inexistante ou tristement littérale. Le ballet est un long moment à passer. La vidéo est dispensable.