Un premier récital enthousiasmant du ténor samoan Pene Pati

par

Airs d’opéras de Giuseppe Verdi (1813-1901) : Rigoletto et La Battaglia di Legnano ; Charles Gounod (1818-1893) : Roméo et Juliette et Polyeucte ; Gioacchino Rossini (1792-1868) : Guillaume Tell et Moïse et Pharaon ; Gaetano Donizetti (1792-1848) : L’Elisir d’amore et Roberto Devereux ; Giacomo Meyerbeer (1791-1864) : Les Huguenots et L’Etoile du nord ; Jules Massenet (1842-1912) : Manon ; Benjamin Godard (1849-1895) : Jocelyn. Pene Pati, ténor ; Mirco Palazzi, baryton-basse (pour Moïse et Pharaon) ; Chœurs de l’Opéra national de Bordeaux ; Orchestre national Bordeaux Aquitaine, direction Emmanuel Villaume. 2021. Notice en anglais, en français et en allemand. Textes des airs en langue originale, avec traductions. 79.10. Warner 0190296348631.

Bienvenue dans mon monde de folie ! s’exclame le ténor Pene Pati en guise de titre à un texte de présentation où il précise : vous allez trouver un florilège d’airs qui ont joué un rôle essentiel dans mon parcours. Chaque morceau que vous entendrez soit m’émeut au plan dramatique, soit a une forte résonance en moi, musicalement, ou vocalement -chacun d’eux est trop sublime pour qu’on le laisse passer ! Pour convaincre l’auditeur qui le découvrirait, c’est avec quatre extraits de Rigoletto que le chanteur entame son récital. Cet opéra verdien est celui avec lequel il a fait ses débuts à San Francisco en 2017 dans le rôle du Duc de Mantoue, qui a lancé sa carrière de soliste. Un éblouissant et solaire La donna è mobile, dont l’élan est irrésistible (on ne peut s’empêcher de penser au jeune Pavarotti), est précédé de trois autres extraits, dont un mélancolique Parmi veder le lagrime… et un vaillant Possente amor. La séduction est immédiate car la voix est bien placée, le souffle est contrôlé (ailleurs, il sera infatigable), le phrasé est généreux et les aigus sont d’une agilité parfois insolente. Tout le programme va confirmer un talent polyvalent et magistral.

La famille de Pene Pati (°1988), né aux îles Samoa, situées dans l’Océan Pacifique, s’est installée en Nouvelle-Zélande, à Auckland, alors qu’il n’avait que deux ans. Il a chanté dans diverses chorales pendant son enfance avant d’être remarqué par le ténor gallois Dennis O’Neill et d’étudier à Cardiff ; il a été soutenu dans sa formation par Kiri te Kanawa. Il a participé à divers concours, dont Operalia en 2015, où il a obtenu le deuxième prix ainsi que celui du public. Après des débuts à San Francisco déjà évoqués, il s’est produit à Vienne, à Bordeaux ou à Paris dans Gounod, Massenet ou Donizetti. Ce dernier compositeur semble lui convenir au plus haut point. Una furtiva lagrima de L’Elisir d’amore est une absolue réussite, tout autant que les trois airs de Roberto Devereux, servis avec un charme profond et d’habiles nuances, la ligne de chant se révélant élégante dans Ed ancor la tremenda parta… ou dans Come uno spirto angelico…, et surtout, dans Bagnato il sen di lagrime. Une élégance à laquelle s’ajoutent de la noblesse et de la vaillance pour un retour à Verdi, avec deux moments de La Battaglia di Legnano. Rossini n’est pas en reste, ce qui nous vaut deux extraits splendides de Moïse et Pharaon (avec le baryton-basse Mirco Palazzi). Si la diction italienne de Pati est impeccable, la française l’est tout autant ; on s’en réjouit dans Guillaume Tell, pour l’air Asile héréditaire…, suivi d’un éblouissant Amis, amis, au cœur duquel le panache se donne libre cours.

Ce programme, dont on soulignera l’intelligence de construction, trouve dans l’opéra français une confirmation qui entraîne, elle aussi, l’enthousiasme. Car la haute qualité de la prononciation ne serait rien sans la sensibilité (Source délicieuse du Polyeucte de Gounod), le raffinement amoureux (Roméo et Juliette du même), la capacité émotionnelle (la berceuse Cachés dans cet asile… Oh ! ne t’éveille pas encore du rare Jocelyn de Godard) ou l’incarnation, justement fraîche, de Raoul des Huguenots de Meyerbeer dans Plus blanche que la blanche hermine. Un sommet est sans doute atteint dans un autre Meyerbeer, L’Etoile du nord, lorsque le ténor distille Quel trouble affreux en évitant les effets inutiles mais avec un bel équilibre de l’émission vocale. Un équilibre qui se manifeste tout autant dans le Des Grieux de Manon de Massenet, dont Pene Pati a compris, dans En fermant les yeux, toute la portée romanesque.

Cet album copieux au son chaleureux est un véritable régal qui confirme que le ténor samoan a devant lui une carrière qui s’annonce prestigieuse. Il est superbement soutenu ici par les chœurs de l’Opéra de Bordeaux et l’Orchestre Bordeaux Aquitaine, qu’Emmanuel Villaume dirige avec une idéale complicité, offrant au chanteur l’écrin que sa voix mérite. On signalera que, si ce récital est bien le premier enregistrement de studio en solo de Pene Pati, ce dernier a fondé, avec son frère Amital, qui est ténor, et un cousin, le baryton Moses Mackay, le trio Sole Mio, dont il existe quatre témoignages sous le label Universal Music Group.  

Son : 10  Notice : 10  Répertoire : 10  Interprétation : 10

Jean Lacroix      

 

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