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Les Concerts du Dimanche matin (CDM) rythment la vie musicale parisienne depuis un demi-siècle. En 1975, Jeanine Roze, en pionnière, quitte le milieu de la variété pour se lancer dans cette folle aventure aux caractéristiques bien connues : tarif unique, placement libre. Cela a commencé, d'abord à la Gare d’Orsay pendant quatre ans, puis au Théâtre du Rond-Point pendant dix ans, tout cela avec Jean-Louis Barrault. Une autre période s’est alors ouverte, sans lui cette fois : dix ans au Théâtre des Champs-Élysées, dix ans au Théâtre du Châtelet, puis retour au Théâtre des Champs-Élysées pour les seize dernières années d’une aventure musicale dont le succès qui n’a fait que croître.

En ce 29 juin, c’était le 1368e et dernier concert. Une demi-heure avant le début, l’orchestre et le premier balcons étaient déjà pleins à craquer. Le programme n’était dévoilé qu’au dernier moment. Seule indication : il y aurait « Bertrand Chamayou et les amis de Jeanine Roze ». Si l’on a pu entendre jouer Bertrand Chamayou, il a en réalité davantage été un maître de cérémonie que le principal artiste.

C’est lui qui a ouvert la matinée, par une séquence avec son collègue Roger Muraro. D'abord, seul, avec un poétique et engagé premier mouvement de la Sonatine de Ravel (la toute première œuvre qu’il ait jouée pour les CDM). Puis, à quatre mains (en souvenir d’un CDM où ils avaient audacieusement programmé les Visions de l’Amen de Messiaen), avec deux extraits de Ma Mère l’Oye (Les Entretiens de la Belle et de la Bête et Laideronnette, Impératrice des Pagodes) de Ravel à nouveau, pleins de couleurs et merveilleusement évocateurs. Et enfin, Roger Muraro, seul, pour un des moments les plus intenses de la soirée : la quatrième des Goyescas (Quejas o la Maja y el Ruiseñor, c'est-à-dire « Plaintes ou la jeune fille et le rossignol ») de Granados, dans lequel le pianiste a mis toute sa science des plans sonores, et surtout une expression particulièrement aboutie.

Philippe Jaroussky était programmé, mais il venait de perdre sa maman et n’avait pu venir. C’est Jean-Claude Pennetier, fidèle des CDM de la toute première heure, qui a alors pris la scène pour la séquence suivante. Elle commençait avec un Prélude N° 7 (Opus 103) de Fauré tout en sensibilité mais débarrassé de tout maniérisme. Puis il a été rejoint par Christian Ivaldi avec lequel, pour les CDM, il avait joué l’intégrale de l’œuvre à quatre mains de Schubert ; ils nous en ont donné un aperçu avec un premier mouvement de la Sonate en si bémol majeur (D. 617) puissant et contrasté.

Jusque-là, il n’y avait eu que du piano. Il était alors proposé de lui adjoindre des instruments à cordes. D'abord le violoncelle, avec les Fantasiestücke Opus 73 (initialement écrits pour clarinette, mais que le compositeur a indiqué pouvoir être joués au violon ou au violoncelle) de Schumann, jouées avec lyrisme et pudeur par Victor Julien-Laferrière au violoncelle et Adam Laloum au piano (en représentants de la jeune génération). Puis le violon et le violoncelle, avec le célèbre Andante du Trio en mi bémol majeur (D. 929) de Schubert, par le bien nommé (en hommage au compositeur) Trio Wanderer (Vincent Coq au piano, Jean-Marc Phillips-Varjabédian au violon et Raphaël Pidoux au violoncelle), qui, cela ne fait pas de doute, est à l’aise avec ce Trio.

Roger Muraro et les Années de pèlerinage de Franz Liszt 

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Le pianiste Roger Muraro fait paraître chez Alpha une intégrale du cycle les Années de pèlerinage de Liszt. Toute nouvelle parution de cette somme, monument du répertoire pianistique, est un événement d’autant plus qu’ici, elle se déploie sous les doigts de l'un des artistes les plus considérables de notre temps qui a déjà marqué la discographie par ses intégrales Ravel et Messiaen.  

Les Années de pèlerinage de Liszt, c’est une sorte d’Everest du répertoire pianistique. Une partition à la fois magistrale, mais certainement intimidante pour le pianiste. Qu’est-ce qui vous a poussé à enregistrer, à ce stade de votre développement artistique, ce monument ?

Je n'ai jamais eu le sentiment d'une performance en travaillant, en jouant les Années de pèlerinage. Ce n'est pas une sorte d'Everest. Le pianiste s'installe pour raconter l'histoire d'une vie, la description et le ressenti face à la nature splendide, la quête de soi-même, les amours, les  découvertes littéraires et picturales. Voilà ce que nous dit l'œuvre : c'est la vie tout entière de Franz Liszt ; 50 années d'aventures, de recherches, un parcours qui n'a pas d'équivalent sous cette forme. En jouant cette œuvre, c'est un peu le parcours de ma vie que je refais ; peut-être suis-je plus réceptif aux beautés et aux tourments qu'a traversés Franz Liszt ?

Je présume qu’un tel enregistrement, c’est une longue préparation en amont avec des concerts. Comment avez-vous préparé cet enregistrement ?  

La difficulté majeure réside dans l'organisation du travail de cette œuvre qui dure environ 2 h 45'. La première chose est de lire les poètes, Senancour, Byron, Pétrarque, Dante, pour les réflexions qu'ils provoquent avec leurs images parfois simples ou sombres, parfois complexes ; la peinture des Italiens nous révèle la beauté, le calme et l'effroi..., toutes ces œuvres osent poser de grandes questions qui ont inspiré Franz Liszt. Cela nous rappelle que le compositeur a toujours eu besoin d'un support littéraire, pictural ou d'une nature orageuse ou bucolique qui provoquaient chez lui le désir de les évoquer, de les traduire en sons, en émotions, en trouvailles pianistiques. Sa musique est tout un programme, celui de sa vie.

 Est-ce que d’avoir enregistré et interprété à de nombreuses reprises les grands cycles pianistiques de Messiaen vous a aidé à aborder ces Années de pèlerinage

Il n'est pas facile de répondre à cette question. La musique de Messiaen constitue un univers à part. Dès la première note de ses Préludes tout est dit. La croyance est à la source de sa foi. Le mystère est lumière pour lui, les miracles existent. J'ai toujours joué Messiaen à la manière d'un tableau vivant, mais avec une foi s'appuyant sur d'autres mystères. J'entre dans le langage de Messiaen, je me sens un personnage de son tableau, sauf peut-être pour le premier des Vingt regards sur l'Enfant Jésus... Comment être le Père ?? Heureusement, il y a plusieurs manières d'approcher l'œuvre. Messiaen lui-même jouait sa musique très librement, comme un romantique parfois ! Avec Franz Liszt, le message est plus mystique, ésotérique, plus libre peut-être, d'une spiritualité différente.  Liszt est plus interrogatif, mais je n'écarte pas sa séduction, son désir de livrer sa générosité. Sa virtuosité ? C'est sa générosité, certainement pas une démonstration assez vulgaire. Il livre son cœur avec ses débordements.

Il me semble que l’un des défis majeurs de ce cycle est de conserver une cohérence à travers des morceaux bigarrés, contrastés de ton et souvent très narratifs dans leur programme et leurs développements musicaux ? Partagez-vous cet avis ? Quels ont été pour vous les défis musicaux à relever ? 

Quand vous marchez dans la campagne, quand vous parlez à bâtons rompus avec un être aimé, quand vous contemplez une œuvre qui inspire un commentaire, qui révèle une émotion, vous ne faites rien de plus que vivre, vous épanouir. C'est cela les Années de pèlerinage ; je ne me pose pas la question d'une cohérence fictive, c'est la vie voilà tout. Quant aux défis de ces Années, ils ne résident pas plus dans les difficultés techniques que dans la plus petite des pièces, celle qui semble anodine et qu'il faut rendre avec son parfum particulier ; cette petite fleur entre 2 abîmes est essentielle.