La récente disparition de Bernard Pivot a fait revivre des souvenirs qui n’étaient pas nécessairement littéraires : chaque vendredi soir, le Concerto pour piano n°1 de Rachmaninov servait d’introduction à Apostrophes, qui restera l’une des plus belles émissions culturelles à la télévision. Ce générique que nous avons entendu plusieurs centaines de fois a donné au « petit frère » des concertos de Rachmaninov une notoriété que seuls le deuxième et le troisième avaient acquises. Notoriété différente, basée sur un court extrait, notoriété dans les mémoires, chacun reconnaissant d’emblée cette musique, généralement sans en connaître l’identité. Ce qui est le sort de la plupart des génériques, à commencer par celui de l’UER, le Te Deum de Marc-Antoine Charpentier (pour être plus précis l’un de ses six Te Deum) dont la brillante carrière internationale de générique à la télévision publique débuta en 1953 avec le couronnement de la reine Elizabeth II. Plus tard, il allait connaître la gloire comme prélude à la plupart des retransmissions des grands évènements européens. Mais qui en connaissait alors l’identité ? Carl de Nys venait juste de l’exhumer et il n’y avait qu’un seul enregistrement sur le marché.
On peut se demander ce qui fait le succès d’un générique. Il doit en principe être en relation avec le sujet de l’émission, une sorte de mise en condition. Mais pas toujours. En dehors du goût personnel du producteur, quel lien trouver entre LaFileuse de Mendelssohn et Le Masque et la plume ? ou entre la Symphonie du Nouveau monde et Santé à la une ? Dans un cas comme dans l’autre, c’est la notoriété de la musique qui est mise au service de l’émission. Inversement, le générique des Dossiers de l’écran (Spirituals for orchestra de Morton Gould) aurait pu sortir son compositeur de l’anonymat. Mais c’était davantage un effet qui était recherché et non la mémorisation d’une musique associée à l’émission. On retrouve la même démarche avec Ainsi parlait Zarathoustra de Richard Strauss, autrefois générique du journal de La Cinq. À l’époque, cette musique était indissociable du film de Stanley Kubrick et, pour la majorité des téléspectateurs, ce n’était pas une œuvre de Richard Strauss mais simplement la musique de 2001 Odyssée de l’espace. Robert Hersant, alors actionnaire majoritaire de la chaîne, avait lui-même imposé ce générique. Peut-être voulait-il suggérer que ce journal allait évoluer dans un univers différent ? L’espace a toujours fait rêver.
Dans les années 1960-70, le vendredi soir, François Serrette avait à cœur de démontrer aux auditeurs de France Musique que Les Jeunes Français sont musiciens. Et pour préluder à chacune de ses émissions, un extrait de L’Enfant et les sortilèges de Ravel, « L’Arithmétique ». Rarement un générique suscita autant de curiosité. Seuls quelques connaisseurs l’avaient identifié et, à chaque écoute, un « qu’est-ce que ça peut-être ? » récurent trottait dans la tête de tout un chacun. Interrogé par le biais du courrier des auditeurs (impensable mais vrai, internet n’existait pas !), François Serrette donnait parfois la réponse à l’antenne, ce qui incita alors les plus curieux à vouloir connaître le chef d’œuvre ravélien dans son intégralité. Un bon générique bien ciblé peut donc avoir des vertus pédagogiques.
Stanley Kubrick ne nous a laissé que treize films dont le montage du dernier, Eyes Wide Shut, n'a été terminé que le mois de sa mort en mars 1997. Ces treize films sont autant de chefs d'œuvre comme Spartacus, Oranges mécaniques, Docteur Folamour, Barry Lyndon, Shining, Full Metal jacket … ou encore 2001 ou l'odyssée de l'espace dont la bande-son est l'objet de ces quelques lignes et qui est encore le film de référence de l'exploration spatiale.
Ce film est une immense réflexion nietzschéenne sur l'évolution de l'homme et de l'intelligence qu'elle soit naturelle ou artificielle. On peut le résumer en quatre parties :
L'aube de l'humanité : Une tribu d'hommes singes vit dans la terreur du noir, des prédateurs, de la famine ou des clans ennemis. Un jour, ces hommes primitifs découvrent un étrange objet dans leur grotte : un immense bloc parfaitement rectangulaire et d'un noir brillant. Intrigués, ils s'en approchent pendant que le chef de la tribu saisit le tibia d'un squelette de tapir. Kubrick montre l'évolution instantanée de son intelligence qui réalise que l'os est un outil qui peut servir à briser les autres os, à tuer les animaux, mais qui peut aussi être une arme contre les autres tribus. A la fin de la scène, l'os est lancé en l'air et dans une superbe ellipse cinématographique qui englobe toute la préhistoire et l'histoire de l'humanité, il va se fondre dans le satellite qui ouvre la seconde partie.