Mots-clé : Vassily Shirinski

Chostakovitch : l'intimité angoissée du Quatuor

par

Seconde étape de la mise en ligne d'un article du dossier Chostakovitch publié en 2007 dans une édition papier de Crescendo Magazine : les quatuors sous la plume de Bernadette Beyne, co-fondatrice de  notre média.

Il est des gens qui ont du génie, d'autres ont du métier. Lorsque les deux s'unissent, cela donne des chefs-d'œuvre comme ce fut parfois le cas chez Chostakovitch. Son métier, ses élèves et disciples l'attestent, ses 147 opus également -dont 15 Symphonies et 15 Quatuors à cordes-, quantités qui peuvent sembler dérisoires au regard des classiques mais qui, depuis que le musicien s'était émancipé de ses maîtres, constituent un énorme corpus. Pour les Quatuors, Chostakovitch vient juste en dessous des dix-sept de Beethoven mais dépasse de loin ses confrères en ce qui concerne les Symphonies dont peu osèrent se risquer à dépasser le chiffre fatidique de 9, celui du Grand Mongol. Contrairement à Beethoven qui composa son premier Quatuor (le n°3 en fait) en 1798, un an avant d'entamer sa première Symphonie, c'est assez tard que Chostakovitch "osa" le Quatuor à Cordes, "un des genres musicaux les plus difficiles" disait-il. Il avait 32 ans, treize années après la composition de sa Première Symphonie dont le succès l'a honoré toute sa vie, et il venait de mettre la dernière main à la Cinquième, Symphonie d'amendement composée un an après l'"affaire Lady Macbeth". Mais arrêtons ici la comparaison avec Beethoven qui n'avait pour but que de mettre en parallèle un point de vue quantitatif.

Il n'est peut-être pas innocent que Chostakovitch se soit penché sur le Quatuor après avoir renoncé à l'opéra qu'il savait trop dangereux pour sa survie, car le genre -sans paroles !- moins populaire et réservé davantage aux initiés suscitait moins la surveillance des sbires tout-puissants ; le Quatuor pouvait devenir alors son Journal Intime. Il est par exemple intéressant de constater que sur les quinze Quatuors, douze sont dédiés à des intimes ou à des membres du Quatuor Beethoven qui assura la création de treize d'entre eux (du 2e au 14e, l'état de santé du premier violon Dimitri Tzyganov ne lui permettant pas d'assurer la création de ce qui sera le dernier). 

Avant de tenter de suivre pas à pas la création pour seize cordes de Chostakovitch, jetons un petit coup d'œil sur le corpus total. Comme il l'a fait dès 1933 avec les 24 Préludes op. 34 et en 1950 avec les 24 Préludes et Fugues op. 87 pour le piano, en faisant suivre l'ordre des pièces selon celui des quintes et le relatif mineur correspondant, Chostakovitch se proposait d'écrire 24 Quatuors à cordes, mais dans un ordre plus aléatoire : les six premiers Quatuors sont tous composés en majeur, les neufs derniers mêlant les tonalités majeures et mineures. Mais à partir de 1938, année de la composition du 1er Quatuor que le célèbre pianiste et pédagogue Heinrich Neuhaus comparait à un poème de Pouchkine, et surtout à partir de 1944, année du 2e Quatuor, Chostakovitch n'abandonna plus le genre, soucieux d'exrpimer, d'expérimenter, d'apporter à chaque fois quelque chose de nouveau.