Chostakovitch : l'intimité angoissée du Quatuor

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Seconde étape de la mise en ligne d'un article du dossier Chostakovitch publié en 2007 dans une édition papier de Crescendo Magazine : les quatuors sous la plume de Bernadette Beyne, co-fondatrice de  notre média.

Il est des gens qui ont du génie, d'autres ont du métier. Lorsque les deux s'unissent, cela donne des chefs-d'œuvre comme ce fut parfois le cas chez Chostakovitch. Son métier, ses élèves et disciples l'attestent, ses 147 opus également -dont 15 Symphonies et 15 Quatuors à cordes-, quantités qui peuvent sembler dérisoires au regard des classiques mais qui, depuis que le musicien s'était émancipé de ses maîtres, constituent un énorme corpus. Pour les Quatuors, Chostakovitch vient juste en dessous des dix-sept de Beethoven mais dépasse de loin ses confrères en ce qui concerne les Symphonies dont peu osèrent se risquer à dépasser le chiffre fatidique de 9, celui du Grand Mongol. Contrairement à Beethoven qui composa son premier Quatuor (le n°3 en fait) en 1798, un an avant d'entamer sa première Symphonie, c'est assez tard que Chostakovitch "osa" le Quatuor à Cordes, "un des genres musicaux les plus difficiles" disait-il. Il avait 32 ans, treize années après la composition de sa Première Symphonie dont le succès l'a honoré toute sa vie, et il venait de mettre la dernière main à la Cinquième, Symphonie d'amendement composée un an après l'"affaire Lady Macbeth". Mais arrêtons ici la comparaison avec Beethoven qui n'avait pour but que de mettre en parallèle un point de vue quantitatif.

Il n'est peut-être pas innocent que Chostakovitch se soit penché sur le Quatuor après avoir renoncé à l'opéra qu'il savait trop dangereux pour sa survie, car le genre -sans paroles !- moins populaire et réservé davantage aux initiés suscitait moins la surveillance des sbires tout-puissants ; le Quatuor pouvait devenir alors son Journal Intime. Il est par exemple intéressant de constater que sur les quinze Quatuors, douze sont dédiés à des intimes ou à des membres du Quatuor Beethoven qui assura la création de treize d'entre eux (du 2e au 14e, l'état de santé du premier violon Dimitri Tzyganov ne lui permettant pas d'assurer la création de ce qui sera le dernier). 

Avant de tenter de suivre pas à pas la création pour seize cordes de Chostakovitch, jetons un petit coup d'œil sur le corpus total. Comme il l'a fait dès 1933 avec les 24 Préludes op. 34 et en 1950 avec les 24 Préludes et Fugues op. 87 pour le piano, en faisant suivre l'ordre des pièces selon celui des quintes et le relatif mineur correspondant, Chostakovitch se proposait d'écrire 24 Quatuors à cordes, mais dans un ordre plus aléatoire : les six premiers Quatuors sont tous composés en majeur, les neufs derniers mêlant les tonalités majeures et mineures. Mais à partir de 1938, année de la composition du 1er Quatuor que le célèbre pianiste et pédagogue Heinrich Neuhaus comparait à un poème de Pouchkine, et surtout à partir de 1944, année du 2e Quatuor, Chostakovitch n'abandonna plus le genre, soucieux d'exrpimer, d'expérimenter, d'apporter à chaque fois quelque chose de nouveau.    

En quatre mouvements, mais bousculant l'ordre habituel (deux moderatos suivis de deux allegros), le 1er Quatuor, que Chostakovitch qualifiait lui-même de "Printanier", est de la veine des Divertissements comme on les connaissait du temps de Mozart et de Haydn. Mais déjà, les marques de Chsotakovitch se posent : des glissandi des cordes, des fins de mouvement allant morendo, un usage fréquent de la sourdine, de larges accords martelés en fortissimo aux seize cordes, rythmes dactyles et, déjà, l'alto qui sera le confident de ses pensées les plus lourdes et les plus intimes. Ici, dans le second mouvement, c'est à lui qu'est confié un chant mélancolique, proche des chants populaires russes, qui sera traité sous forme de Passacaille, une écriture que l'on retrouve souvent dans son oeuvre, comme autant de couleurs de l'humeur portées sur une même trame. Et, terminant le dernier Allegro, finalement très allègre, on entend déjà la préfiguration de ce qui portera dix ans plus tard, la Passacaille du 1er Concerto pour violon

C'est avec la création du 2e Quatuor que s'ébaucha l'amitié d'une vie du compositeur avec le Quatuor Beethoven fondé en 1923 et qui cessera d'exister en 1975, l'année de la mort de Chostakovitch. En effet, dans la salle Glinka de Leningrad, on créa le 14 novembre 1944 le 2e Quatuor en même temps que le 2e Trio où le compositeur tenait la partie de piano. Le Quatuor est dédié à son ami proche, le compositeur Vissarian Shebalin (1902-1963). Il se distingue déjà par son originalité formelle : quatre mouvements portant les noms de "Ouverture" (Moderato con moto), "Récitatif et Romance" (Adagio), "Valse" (Allegro) et "Thème et Variation" (Adagio). L'Ouverture s'ouvre sur une écriture serrée en trochées, portant la tension de f à fff, une discussion véhémente et sans répit entre les parties avant d'introduire dans le second mouvement un long récitatif de type kletzmer sur de longues tenues sombres, surtout lors de la reprise, avant de se résoudre comme une fatalité sur un simple accord parfait de tonique. Ces longs solos en forme de récitatifs ne sont pas sans rappeler des Quatuors de Haydn (Adagio de l'opus 76 n°6) et de Beethoven (allegro moderato de l'opus 131 et l'introduction du Finale de l'opus 132). Ou peut-être aussi tout simplement un hommage au premier violon de l'Ensemble, Dmitry Tziganov ? Ou les deux à la fois ? La Valse est jouée en sourdine, comme venant de loin, mais n'a de cesse de parcourir le mouvement malgré les sarcasmes criards du violon et de ses partenaires que le violoncelle parvient à ramener à plus de sérénité pour terminer le mouvement selon le morendo déjà coutumier. C'est dans le ton mineur que se clôt le Quatuor sous forme de Thème et Variations où le thème, dans le style de chant russe, est à nouveau confié à l'alto (p semplice) avant de passer aux autres instruments ; des variations aux multiples atmosphères, de l'émerveillement à l'exaspération marquée des rythmes et marcatissimo chostakoviens.     

Le 24 avril 1950, Chostakovitch annonçait à Denissov qu'il avait écrit une de ses meilleures compositions. C'était le 3e Quatuor créé à Moscou le 16 décembre 1946 et dédié au Quatuor Beethoven. On peut comprendre la raison pour laquelle le compositeur était heureux de ce quatuor composé de cinq mouvements qui réunit toute une variété d'expressions contrastées. Un allègre premier mouvement en fa majeur propose un thène naïf et assez joyeux qui se développera en double fugue. En contraste, le second mouvement débute en accords arpégés et martelés et développe trois thèmes sur un ostinato pour nous conduire sur une marche grotesque que Vasily Shirinski, le commentateur des premières éditions des partitions, qualifie de satire des "goose-stepping", les marches au pas de l'oie des soldats prussiens, tout cela ponctué d'anapestes typiques et de larges accords martelés fortissimo aux quatre instruments. A nouveau, contraste. Ici, dans le quatrième mouvement, nous trouvons le Beethoven le plus terrifiant, celui qui débute le second mouvement du 4e Concerto pour piano, lorsque l'orchestre impose une affirmation implacable à laquelle le piano ne peut que donner une réponse affligée. Cette phrase tellurique est jouée ff espressivo aux 2e violon, alto et violoncelle à laquelle répond l'affliction du premier violon ; armée de ses rythmes d'anapeste et de trochée, elle va parcourir tout le mouvement, le plus sombre jusqu'à présent, avant de proposer, sans interruption, un moderato en 6/8, une mesure qui porte en elle le lyrisme mais que le terrifiant motif du mouvement précédent ne laissera pas en paix. La fin s'apaise sur le thème lyrique en valeurs allongées, pp et jouant sur les harmoniques des cordes aiguës pour se dissoudre… morendo.  

Le 4e Quatuor fut composé en 1949 et avait rejoint le tiroir des "interdits à sortir": les Chansons juives, la Quatrième Symphonie, le Concerto n°1 pour violon. Suivant de peu la condamnation de 1948, il reprend les quatre mouvements traditionnels mais ne fut créé à Moscou, dans la petite salle du Conservatoire, que le 3 décembre 1953, neuf mois après la mort de Staline. Sur la partition autographe, il est dédicacé à la main à Peter Vladimirovich Whilliams, décorateur de théâtre dont celui du Bolchoï. L'Allegretto débute joyeusement sur un air de caractère populaire, une sorte de "folklore imaginaire" pensé dans les timbres d'une cornemuse ou d'un orchestre venu d'Orient. Ce sont les violons qui sont de la partie, les graves jouant essentiellement un rôle de pédale. L'Andantino qui suit propose une Romance de ton élégiaque qui traversera tout le morceau et ne sera déstabilisée que par quelques changements de mesure. Le thème sera repris au violoncelle con sordino et c'est la fin qui nous rappellera que, finalement, cet Andantino était d'une infinie tristesse avec les arpèges à vide du violon solo -une technique appréciée de Chostakovitch- qui vont s'éteindre morendo. Suit un Scherzo con sordino sur un rythme obsédant d'anapeste, et cette autre trouvaille sonore de Chostakovitch qui est de faire jouer les instruments à l'unisson à deux octaves d'intervalles, une technique que l'on retrouve par exemple magnifiquement exploitée dans le deuxième mouvement de sa Sonate pour violoncelle et piano (1934). L'Allegretto final laisse une belle part à l'alto qui fait entendre un thème de 24 mesures d'inspiration juive, poursuivant ainsi la tradition de Moussorgsky avec notamment La défaite de Sennachérib et Prokofiev (Ouverture sur des thèmes hébraïques) et osant le parcours de ses propres audaces au moment où l'antisémitisme était des plus virulents en utilisant des thèmes juifs dans son 2e Trio avec piano (1944), son Concerto pour violon (1947-48), son 8e Quatuor (1960), les Quatre monologues sur des vers de Pouchkine op. 91 pour basse et piano (la première mélodie, 1960), le cycle de Mélodies "Sur des poésies populaires juives" (1963) et, "plus incroyable encore", nous dit Frans Lemaire "une analyse détaillée des Préludes et Fugues (1950) faites par le professeur Joachim Braun de l'Université de Bar Ilan (Tel Aviv), montre également la présence de motifs juifs en particulier dans les Préludes portant les numéros 8, 14, 17 et les Fugues 8, 16, 19 et 24". Pour mieux laisser parler l'alto, la formule d'accompagnement en anapestes sur laquelle est basée le mouvement est assez simpliste ; on retrouve aussi les "marques" Chostakovitch déjà présentes dès son Premier Quatuor et qui, à partir de ce quatrième opus du genre, seront de plus en plus présentes -des glissandi, des motifs de quelques notes grinçants et persistants, l'usage de la sourdine…-, et, ici encore, comme dans le Premier Quatuor, le mouvement se clôt sur l'arpège de désespérance du premier violon (celle aussi du 1er Concerto pour violon) qui s'éteint et éteint le Quatuor sur un morendo. Une œuvre profondément marquée du seing de désespérance de l'auteur. 

Composé au début de l'automne 1952, le 5e Quatuor, opus 92, ne fut créé qu'un an plus tard dans la petite salle du Conservatoire de Moscou, peu après la mort de Staline. Composé peu de temps avant la 10e Symphonie, il compte trois mouvements qui s'enchaînent sans interruption (procédé utilisé occasionnellement jusqu'ici, on  le retrouvera ensuite fréquemment dans les Quatuors). De son premier mouvement, on parlera de "Quatuor symphonique" ou de "Symphonie de Chambre" tant on sent ici un souffle puissant qui fait de ce 5e Quatuor un des grands de cette période médiane. Sa forme est un Allegro de Sonate qui demande la reprise de l'exposition et, très tendu dès le départ, il est porté par une préfiguration variée du DSCH (ici DSHC), signature de Chostakovitch, repris cinq fois à l'alto durant les douze premières mesures. Le second thème est une valse jouant en contrepoint avec d'autres thèmes, et les valeurs rythmiques vont aller s'accélérant pour conduire à l'insoutenable qui se poursuivra dans un long chant de déréliction du violon dans l'aigu con sordino ; seul viendra l'interrompre l'alto avec sa variante du DSCH pour nous conduire à un Andante qui s'ouvre sur un contre fa aigu, prolongeant ainsi l'atmosphère du premier mouvement, sur un temps immobile, lisse, et sur lequel viendront se greffer l'alto et le violoncelle con sordino. Un Andante totalement tourné dans l'introspection, visionnaire par ce temps qui se meut sur de petits intervalles. Quand au Moderato final, le violon suraigu poursuit son chemin tandis que rentre, au second violon, un thème simple qui ne livrera sa signification poignante qu'à la fin du mouvement (qui dure quand même quelque dix minutes), quand il ne sera plus que timidement évoqué par les cordes graves sur de longues tenues des trois autres instruments, pendant près de soixante mesures, préfiguration de l'émergence d'un néant ? Mais Chostakovitch ne serait pas signé s'il n'introduisait dans ce climat lourd de sens une allègre valse à l'alto, mais dont l'intensité va croître jusqu'au feroce, et dès lors l'angoisse ne nous lâchera plus, rappelant qu'elle nous tenait dès le départ de l'opus par la reprise des thèmes des deux premiers mouvements. Mais la crise n'est pas irrémédiable. Meno mosso, se dit un épisode récitatif de caractère religieux qui se glisse peu à peu vers un morendo terminal. Une résignation, on cherche encore vainement à croire en une vie meilleure. Un grand Quatuor qui nous tient en haleine d'un bout à l'autre ; peut-être, pour moi, le plus grand des premiers Quatuors. 

Avec le Sixième Quatuor daté d'août 1956, Chostakovitch semble vouloir se faire plaisir ; il se l'est d'ailleurs offert pour son 50e anniversaire. L'Allegretto en sol majeur nous raconte deux thèmes sans histoires et qui se plaisent ; le second mouvement est entièrement placé sous le signe de la valse, tant en écriture qu'en esprit, et c'est le premier violon qui tient la partie pour un premier pas, l'alto et le violoncelle pour le second ; pour corser le tout, un petit thème chromatique à l'orientale. Simple et sans histoire ! Lui qui affectionne tant la Passacaille, il ne va pas s'en priver ici ; les trois premières périodes sont présentées en polyphonie, les trois dernières à l'unisson. De quoi se rassurer, le métier est toujours bien là ! Le dernier mouvement est un Lento suivi d'un Moderato con moto. Le premier violon expose en soliste une très longue phrase de 18 mesures qui se prolongera sur une pédale des autres instruments. Le second thème (moderato) sera joué en pizzicati de violoncelle d'allure assez grotesque et puis, à nouveau, monnaie courante chez le compositeur, réminiscence de la première Valse du premier mouvement et le thème de la Passacaille du troisième qui revient en ff  à l'apogée du développement, garantissant la signature cyclique qui se clôturera morendo. 

Le 7e Quatuor, en fa dièse mineur -le premier Quatuor en mineur de Chostakovitch- est écrit à la mémoire de Nina, sa première femme, éminente physicienne disparue en 1954. L'œuvre ne fut cependant composée qu'en 1960 et créée peu après à Leningrad. Il s'agit de son Quatuor le plus court (entre 12 et 13 minutes, les autres tournant généralement autour de 25 à 30 minutes). Ici, Chostakovitch semble tourner les pages d'un livre de souvenirs. L'Allegretto prend le caractère insouciant et léger du Premier Quatuor au violon, tandis que le violoncelle prend la relève dans un long solo d'allure grotesque et ironique. Le Lento s'enchaîne sans transition con sordino, entièrement dans le p et le pp. Au violon, une réminiscence du thème du premier mouvement de la Cinquième Symphonie qui passe ensuite au violoncelle. Les seize cordes prennent part au déroulement du récit -technique assez rare chez Chostakovitch- et, sur un rythme de trochée, les second violon, alto et violoncelle entament à l'unisson le début de la plainte funèbre de Boris Godounov dans sa cellule (Moussorgsky est encore bien présent). L'allegro final est écrit sans armure à la clé (le second ne l'était pas non plus d'ailleurs) mais termine bien en fa dièse mineur, tonalité principale du morceau. Les deux mouvement précédents semblent n'avoir fait que préparer ce dernier, truffé d'idées, de mouvance rythmique, de passages fugués et regorgent des "marques" Chostakovitch, comme un condensé de ses moyens : le DSCH pas toujours abouti mais suggéré et sa variante DSHC du 5e Quatuor, les trochées, les anapestes, les rythmes pointés, les larges accords en fortissimo, la reprise du premier thème du premier mouvement dans sa forme originale puis variée, des ébauches de valses… Et puis, sans doute évocation des moments les plus heureux avec Nina, une tendre phrase emplie de charme, la seule peut-être de tout le corpus des Quatuors, qui s'éteindra, bien sûr morendo… tout cela n'était que souvenirs. 

Avec le 8e Quatuor, nous attaquons le gros morceau, le Quatuor le plus joué sans doute, le plus énigmatique aussi, celui qui débutera et terminera au bout de cinq mouvements joués sans interruption et sans jamais quitter la signature DSCH bien affirmée. Les jeux de lettres, on les connaissait déjà, notamment avec BACH -que Chostakovitch utilisait de temps à autres-, avec Schumann aussi, ses Variations ABEGG et l'énigmatique ASCH du Carnaval et les compositeurs de l'école de Rimsky qui  y faisaient de temps à autre appel. Mais ici, il ne s'agit pas d'un jeu : c'est un sceau imprimé avec toute la douleur du monde, une signature qui va parcourir les pages de l'avenir sous formes bien affirmées mais aussi déguisées, à deviner dans les lignes de la polyphonie, soulignée par tel ou tel instrument dans le magma symphonique. De son humour grinçant, Chostakovitch s'était dédicacé l'œuvre : "si je meurs un jour, il est peu probable que quelqu'un écrira une œuvre à ma mémoire. Je m'en suis donc chargé". L'imagination politique avait dédié ce Quatuor à la mémoire des victimes de la guerre et du fascisme ; ce sont les Mémoires recueillies par Solomon Volkov (Testimony, 1979) -contestées mais porteuse quand même de renseignements précieux qui confirment le caractère autobiographique de la partition. Comme la précédente, elle est faite de nombreuses auto-citations et d'emprunts. A son ami Isaac Glikman il écrit: "voici mes thèmes : ils sont tirés de la 1ère Symphonie, de la 8e Symphonie, du Trio, du Concerto pour violoncelle, de Lady Macbeth ; on trouve aussi des allusions à Wagner (la Marche Funèbre du Crépuscule des dieux) et à Tchaikovski (le deuxième thème du premier mouvement de la 6e Symphonie) sans oublier ma 10e Symphonie. Bref, un joli meli-melo". Pour ma part, j'y trouve aussi une évocation, toujours la même, de la 5e Symphonie. Il avouera aussi à Glikman son admiration pour la merveilleuse clarté de la forme. Mais quel retour sur son passé ! On est en 1960, l'année où commence l'instruction de son dossier d'admission au parti communiste, épisode qui lui tire des torrents de larmes. Les thèmes des 1ère, 8e et 5e Symphonies, on les retrouvera dans le premier mouvement, le thème juif du 2e Trio dans le second ainsi que 49 fois le DSCH (Frans Lemaire le compte 87 fois dans les cinq mouvements de l'œuvre !), le Scherzo du troisième mouvement traitera le motif en valse ironique, un peu sinistre, comme on pouvait les entendre dans les salles des fêtes du Parti, le premier violon et l'alto le traitera de façon grotesque et l'enchaînera au thème du Concerto pour violoncelle qui débutait le mouvement sur des battements d'anapestes ; et finalement, c'est la version ironique de la valse qui gagnera la partie con sordino et pianissimo. Après trois croches pesantes jouées aux cordes graves, le thème du Concerto pour violoncelle revient en pp crescendo sur un la dièse grave longuement tenu au premier violon, qui enchaîne sur la tête du thème du Dies Irae suivi d'un chant funèbre aux second violon et cordes graves, entrecoupé du thème du Concerto pour violoncelle. Vladimir Shirinsky, commentateur de la première édition des Quatuors rapproche ce chant funèbre de la mélodie d'un chant révolutionnaire russe : "écrasé par le poids du servage"!… Le "double langage"… et cette mélodie se transforme pour évoquer le motif de l'air "Serocha (diminutif de Sergueï) mon bien aimé" du dernier acte de Lady Macbeth.  DSCH clôt le mouvement en valeurs longues et sur un point d'orgue avant d'attaquer l'entrée fuguée du sempiternel motif joué ensuite con sordino par un procédé de tuilage aux quatre instruments. Comme conclusion à cette vie de terreurs et de révoltes, Chostakovitch conclut pp morendo aux quatre instruments sur une réponse de déréliction, un simple cadence sur do mineur en quintes à vide, sans tierce consolatrice, un vide habité de vacuité.  

David Fanning, auteur du livret de l'intégrale des Quatuors par le Quatuor Danel (Fuga Libera) nous dit qu'un premier 9e Quatuor avait été écrit puis abandonné. Redécouvert, il fut créé à Moscou par le Quatuor Borodine en janvier 2005 et par le Quatuor Danel en février 2006. Malheureusement, il ne figure pas sur l'enregistrement et c'est donc du "vrai" Quatuor n°9 op. 117 en mi bémol majeur que nous parlerons ici. Il fut composé en mai 1964 et dédié à sa troisième épouse, Irina Chostakovitch, la fidèle gardienne de l'héritage Chostakovitch. Lors de sa création à Moscou dans la petite salle du Conservatoire en même temps que la 10e Symphonie, le 20 novembre 1964, c'est Fedor Druyinin qui prendra à l'alto la relève de Vadim Borisovski, malade. Les défunts inspireraient-ils plus que les vivants ? Toujours est-il que ce 9e Quatuor en 5 mouvements qui s'enchaînent sans interruption ne connaît pas le même bonheur que le 7e. C'est l'homme de métier que l'on rencontre ici, utilisant ses procédés d'écriture bien connus, des ostinatos de secondes, des pizzicati grotesques, des dialogues entre deux instruments, laissant les autres à vide, le con sordino, les anapestes, les dactyles, les trochées, les pizzicati en contretemps, des récitatifs de violon, des glissandi des cordes, au passage un DSCH varié, des récitatifs de violon… le plus beau moment sera le quatrième mouvement, le Largo, déroulant sur des oscillations de secondes une sorte de choral rappelant les musiques psalmodiques de Moussorgski et enchaînant sur un Finale de grande ampleur (10 minutes sur les 27 totales) qui reprend dans un grand maelström les mouvements précédents, une grande ronde finale où les instruments n'ont de cesse de se joindre, sauf pour un récitatif de violoncelle, procédé que l'on retrouvait déjà dans le 3e mouvement et, au passage, la réminiscence d'une petite Polka. Tous les thèmes ne reviennent pas dans ce Quatuor cyclique, mais ici, on se perd dans ce grand tourbillon qui n'a de cesse de nous étourdir.   

Chostakovitch fut-il un musicien atonal, dodécaphoniste ou encore sériel ? Pour s'intéresser aux nouveautés de ses contemporains, il ne semble toutefois pas y avoir trouvé matière à tasse de thé. Voici que l'on découvre dans le 10e Quatuor (1964) dédié à son ami Moïse Weinberg, un premier violon qui installe les douze sons de la gamme mais sans souci de non répétition ; il oscille franchement entre le la bémol majeur et le mi mineur, annonçant d'ailleurs à la clé les quatre bémols de la gamme. Utiliser les douze sons dans une même phrase semblait surtout être pour Chostakovitch une recherche pour tenter de traduire d'une nouvelle manière les tensions qui habitaient sa pensée. Dans cet Andante qui ouvre ce quatuor de forme classique en quatre mouvements, un climat détendu entre les quatre instruments avec, par-ci, par-là, de brefs solos et un long épisode central sul ponticello suscitant de belles plages de timbres. Le mouvement se termine morendo pour attaquer, en violent contraste, un Allegretto furioso qui multiplie les déchaînements et accents violents, les rythmes typiques, les longs accords en ff, les dissonances que l'on trouvait déjà dix ans plus tôt dans le Scherzo de la 10e Symphonie. Suit un Adagio, une sombre Passacaille de neuf mesures au violoncelle présentée huit fois -à la cinquième, dans le grave de tous les instruments et enfin, la dernière fois au violon- pour amener une lueur d'éclaircie à l'Allegretto qui suit sans interruption, dominé par un thème dansant qui rappelle, par son esprit léger, le rythme du premier mouvement du 7e Quatuor. Le timbre du "folklore imaginaire"  du 4e Quatuor se retrouve ici avec le deuxième thème ainsi que le jeu sur deux octaves des cordes dans ce même 4e Quatuor. Et enfin, marques fréquentes de Chostakovitch, le caractère cyclique de l'œuvre qui reprend le thème de douze sons du premier mouvement, rappel de la Passacaille, en fff espressivo au violoncelle sur le rythme dactyle avant que le violon solo ne termine morendo. Ebloui par ce 10e Quatuor, Rudolf Barschaï en donna une version pour orchestre à corde (opus 188a)

Terminé le 30 janvier 1966, le 11e Quatuor en fa mineur (opus 122) est dédié à la mémoire du second violon du Quatuor Beethoven, Vassily Shirinski décédé au mois d'août précédent. Cette fois, sept mouvements sont enchaînés sans interruption, et cependant la durée totale de la pièce ne fera pas plus d'une quinzaine de minutes. Les sept mouvements aux dénominations variées s'enchaînent donc tous "Attaca" (encore un procédé fréquent dans les Quatuors de Chostakovitch). Le Quatuor s'ouvre sur une longue coulée de neuf mesures, une mélodie simple jouée au premier violon porté par les anapestes des trois autres instruments. Quand le violoncelle entre avec son second thème, les autres accompagnent par de tristes quintes à vide, et tout se passe dans les nuances p et pp. Le Scherzo qui suit pourrait bien rejoindre un certain courant minimaliste mais il est simple, bien ficelé et amusant : les instruments entrent chacun avec un thème de seize mesures ponctuées par des pizzicati et des glissandi des autres. Un petit divertissement rythmé et des glissandi pour la partie centrale, et Chostakovitch nous conduit ex abrupto, par un changement d'atmosphère total, au "Recitative" attaqué ff en traits rapides de sextolets de doubles croches aux cordes graves et au 2e violon, auxquels répondent des accords marqués de croches en sixtes et en quartes. Un bref passage choral, puis retour à l'entrée de jeu avant d'attaquer l'"Etude" (4e mouvement) ff qui porte bien son nom. Hommage aussi à la virtuosité ? L"Humoresque" (5e mouvement) le porte également bien avec le second violon qui tient toute sa partie sur les mêmes tierces en pizzicati, une sorte de coucou mécanique (petit clin d'œil au cher disparu ?) tandis que les violoncelles énoncent leurs graves accords de quartes et de sixtes et que le violon joue une partie tendue à l'octave. L'"Elégie" a pour fil conducteur la Marche Funèbre de l'Héroïque de Beethoven et tient une pédale de dominante sur les deux-tiers de la pièce de plus de quatre minutes pour arriver enfin à la tonique pour un bref moment de lumière, le tout joué dans les nuances p et pp con sordino. Le Finale, moderato, est lui aussi joué avec sourdine et reprend dans un tempo lent des thèmes du Scherzo puis de l'Introduction, comme c'était déjà le cas dans le 7e Quatuor. Cette Elégie, portrait sans doute du violoniste dans ses moments de rire et de peine, se termine morendo sur un Do suraigu du violon. Avec les deux derniers mouvements, c'est la peine qui s'est dite.   

Pas facile de porter l'opus 133, celui de la Grande Fugue, emblème de tous les Quatuors ! Et pourtant, il l'a fait ! Avec son 12e Quatuor, Chostakovitch va plus loin dans l'expérience dodécaphonique en utilisant 12 sons qui ne se répètent pas, ce qui l'amène à la loi de la musique sérielle. Mais qu'on ne s'y trompe pas, ce souci ne se porte que sur le premier thème; dès la sixième mesure, on est fixé, et l'armure à la clé le confirme, on est bien en Ré bémol majeur ! Cette idée dodécaphonique, on l'avait déjà rencontrée dans le 10e Quatuor mais elle se retrouve aussi dans le mouvement lent du 2e Concerto pour violon (1967), dans le 6e Romance sur des poèmes d'Alexandre Blok (1967) ou encore dans la Sonate pour violon et piano (1968) sans toutefois lui donner un rôle thématique majeur. De quoi troubler un peu plus les éventuelles certitudes de l'auditeur : il fait alterner des passages que l'on imaginerait sériels avec de simples traits en notes conjointes ou en arpèges bien tonales. Peu de "traits" Chostakovitch dans ce mouvement qui oeuvre plutôt sur l'expérimentation.  L'Allegretto qui suit et occupe les deux tiers du Quatuor est constitué de trois épisodes dont le premier fait penser au début du Recitative du 11e Quatuor et dont la formule rythmique acerbe gèrera tout le mouvement truffé encore des "marques" Chostakovitch : larges accords en pizzicati, appels solitaires du premier violon, jeu sul ponticello en fortissimo en alternance entre le violon et le violoncelle, suivis de toutes les cordes dans un grand maelström. A nouveau, des relents de la fameuse 5e Symphonie du "rachat" terminent ce premier épisode qui enchaîne en Adagio sur une longue phrase en ff du violoncelle à laquelle répondent les trois instruments con sordino et pp, comme une réponse angoissée, celle du 3e Quatuor où nous voyions une allusion au 4e Concerto de Beethoven, un "accès de désespoir" selon les mots d'Assafiev. Le Moderato qui suit fait entendre un long épisode en pizzicato du violon, les reprises du mouvement mélodique de secondes qui ouvrait le Quatuor, de larges accords, et l'agogique de quatre double croches. Le troisième épisode reprend con sordino les intervalles de secondes de l'entrée du premier mouvement et vite, on retourne à la tonalité d'origine et au changement radical d'atmosphère. Les douze sons sont repris et le tempo noté "Allegretto" retrouve des relents du 8e Quatuor et l'agogique des quatre double-croches, une agogique dynamique, un relent de vigueur, une victoire sur les forces du mal ? 

"Requiem pour quatuor à cordes", c'est la mort qui possède l'univers de Chostakovitch avec son 13e Quatuor. En témoigne d'emblée le début de l'œuvre : une citation empruntée aux passages choraux sur le chagrin et la mort de la musique de film de son Roi Lear. Dédié à Vadim Borisovski, l'altiste qui s'était définitivement retiré de l'Ensemble après quatre années de maladie, il fut composé en août 1970 entre deux longues hospitalisations. Vaste Elégie pour alto (l'œuvre a été transcrite par Alexandre Tchaïkovski sous le titre de Symphonie pour alto et cordes), elle est composée d'un seul mouvement où s'enchaînent cinq parties. C'est l'alto qui ouvre la première. On aura remarqué que l'alto était pour Chostakovitch le confident de ses plus grandes tristesses et, coup du sort, sa dernière œuvre achevée fut la Sonate pour alto et piano qu'il ne put entendre puisqu'elle fut créée le 1er octobre 1975, moins de deux mois après son décès, dans le climat de recueillement que l'on peut deviner. Le seul mouvement du Quatuor s'intitule Adagio, dans la sombre tonalité de si bémol mineur. L'alto déploie un long monologue sur un temps immobile ponctué par moments de longues dissonances. Cette même tonalité élégiaque sera déployée par les quatre voix dans la nuance pp et puis, soudain, le forte sur un rythme rageur et, doppi movimento, les pizzicati de violon s'imposent comme autant d'appels ironiques sur des graves tenues suivies de réponses terribles, comme des coups de gongs, glacés.  L'alto reprend sa ligne angoissée à laquelle répondent de larges accords dissonants aux quatre parties pendant douze mesures… et c'est long… Et comme Mozart qui aimait les pirouettes affectives après les douces larmes des mouvements lents, Chostakovitch arrive avec un épisode de jazz, ici plutôt danse macabre, où il reprend une technique éprouvée chez les avant-gardistes des années '60 et que son élève tant aimée et sans doute jamais oubliée, Galina Oustvolskaïa, avait déjà utilisée dans sa Sonate pour violon de 1952 : le jeu sur le corps du violon avec la baguette de l'archet qu'il combine à une écriture classique avant de retrouver l'atmosphère sombre des débuts, ses dissonances, ses épisodes terribles suivis de phrases esseulées dont celle de l'alto sur des accords de quintes à vide qui se glisse jusque dans le suprême aigu, allant du pp au sffff (nuance fréquente chez Chostakovitch) pour aboutir sur un si bémol suraigu à l'unisson des instruments, sur une gamme de nuances allant du p au sffff, une ouverture sur l'abîme qui s'ouvre, implacable.

Dédié à Sergueï Shirinski, membre fondateur du Quatuor Beethoven en 1923 -et qui mourut peu après Chostakovitch-, il était normal que les deux thèmes de l'Allegretto enjoué du 14e Quatuor soient confiés au violoncelle, l'instrument de Shirinski et puis, surprise, l'Adagio qui suit fait étrangement penser au thème d'ouverture de Tristan dépourvu de son énigmatique accord (un Wagner qui intriguait Chostakovitch) mais développé à cinq reprises en Passacaille ; dans ce deuxième mouvement où le violon est quand même le roi, le violoncelle va monter jusqu'à dépasser la tessiture du petit frère. Peu de polyphonie ici, tout au plus un dialogue dépouillé entre le violon et le violoncelle. Sans transition, on passe au troisième mouvement, un "Allegretto" énergique fait de passages anguleux  entre les instruments. Le violon se fait tendresse sur des harmoniques aiguës tandis que le violoncelle se fâche. L'alto intervient en sourdine, le violoncelle se détend, con sordino, et, dans ce climat de tendresse, il était attendu que Chostakovitch repense à nouveau au "Serezka, mon tendre ami" du Lady Macbeth, un épisode qui aura marqué au fer rouge le destin de cet homme que l'on savait angoissé, nerveux, perpétuellement sur le qui-vive, fumant cigarette sur cigarette, et à la voix aiguë que ponctuaient des mots un peu "valises", des répétitions,… Retour au début du premier mouvement, formule chère à Chostakovitch mais évoluant cette fois sur un climat d'angoisse débouchant sur un Adagio conclusif allant une fois de plus morendo.

"La mort tourne autour de moi" disait Chostakovitch au moment où il composait ce dernier et quinzième Quatuor alors qu'il en avait prévu vingt-quatre, comme ses propres Préludes et Préludes et Fugues et ceux de Chopin. Mais il savait que ce 15e serait le dernier. A Dmitri Tzyganov du Quatuor Beethoven, il dit: "Tu sais, je n'arriverai pas au bout des vingt-quatre Quatuors que je vous avais promis". La maladie l'avait tellement diminué que, sous la tempête d'applaudissement qui accueillit sa création le 15 novembre 1974 par le Quatuor Taneiev formé de solistes de la Philharmonie de Leningrad, Chostakovitch ne trouva plus la force de monter sur la scène. C'est sans nul doute qu'il sentait la Grande Faucheuse tourner à ses côtés en écrivant ces six Adagios joués d'un seul tenant, dans une même tonalité, un sombre mi bémol mineur, et dans un tempo unique d'un bout à l'autre : "80 à la noire". Le premier mouvement est intitulé "Elégie" et déploie une harmonie statique sur un temps immobile et lisse avec pour thème le rappel du deuxième mouvement de "La Jeune Fille et la Mort",  un des plus forts de Schubert.  Le second Adagio intitulé "Sérénade" débute comme se terminait le 13e Quatuor, un cri lancé successivement par les trois instruments les plus aigus menant sur deux mesures du ppp au fff. S'installe ensuite une bribe de Valse (Ah! ces valses qui faisaient la joie de Staline) pas du tout légère mais lente, sombre et sardonique, interrompue par les accords larges en pizzicato et puis, sur l'écriture ppp-sffff du début vient se poser le thème de l'Offrande Musicale de Jean-Sébastien Bach suivi de grands accords dissonants et accentués ff. Suit alors un Intermezzo vertigineux : traits de triples croches sur une pédale immuable du violoncelle qui ne se met à réagir que lorsque les autres instruments daignent répondre par des accords martelés. Une dernière phrase de violon à laquelle répond l'alto semble apaiser l'angoisse qui nous conduit au "Nocturne", con sordino, où l'alto (lui encore), sur arpèges des autres instruments, chante un sombre chant, relayé ensuite par le violoncelle qui, dans la foulée, va annoncer la Marche Funèbre qui suit à l'alto puis au violoncelle avant de revenir tout à la fin à l'alto. Et puis, et c'est la fin dont il est bien conscient,  l'"Epilogue", des bribes d'allusions aux mouvements précédents, notamment à la Marche Funèbre, sur des trémolos en triples croches du premier violon auxquelles succédera la citation de l'Epilogue des Sonnets de Michel Ange contemporains. De signifiantes réminiscences, des moments terribles parcourent ce dernier Quatuor, telle la frayeur produite par les quatre instruments en trémolos rapides interrompus par des pizzicati et des phrases de violoncelle, des trilles de l'alto sur lesquelles, dans la nuance pianissimo, les trois autres instruments n'ont plus que la force d'émettre de courts intervalles interrogateurs sur des quintes à vide, la tierce sonnant en trilles incessantes et finalement insoutenables à l'alto. Aux dernières mesures, le morendo rencontré dès les premiers Quatuors. Le silence s'ouvre… sur quoi ?  

Pour aimer classifier les choses, les hommes, leur création et leurs affects, peut-on voir comme chez d'autres des périodes dans la création de Chostakovitch ? Je ne le pense pas. Il était un homme d'un tel métier qu'il avait le don d'exprimer très directement les mouvances de son vécu qui avait pour trame l'angoisse, la terreur, l'ironie, la dérision. Les "marques" Chostakovitch, on les trouve dès son premier Quatuor et elles étaient déjà bien présentes dans les cinq Symphonies qui le précédaient ; ce premier Quatuor qu'il redoutait mais où il avait la conscience et la confiance de s'exprimer. Oui, certains lui reprocheront ses "tics", ses procédés qui reviennent à tour de bras, mais à chaque fois, il s'y en ajoutait et, à travers ceux-ci, il y avait cette recherche inlassable d'exprimer l'angoisse et son miroir, l'humour, cette "politesse du désespoir" que peu ont eu le génie d'exprimer de façon aussi directe, parlant droit au cœur et à l'esprit.   

Bernadette Beyne

Crédits photographiques : DR

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