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La grande traversée : William Kentridge à La Luma d’Arles pour le Festival d’Aix-en-Provence

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Le Festival d’Aix-en-Provence est un festival d’opéra. « The Great Yes, The Great No » est qualifié d’« opéra de chambre ». 

En fait, il s’agit d’une œuvre composite typique de son concepteur, le génial touche-à-tout William Kentridge. Oui, il y a de la musique en direct et des chants, mais il y a tout le reste aussi, qui n’est pas simple appareil scénographique subordonné, mais ensemble d’éléments significatifs essentiels.

De quoi s’agit-il ? D’un fait réel : en mars 1941, pendant la seconde guerre mondiale donc, un cargo quitte Marseille pour la Martinique. A son bord notamment, s’exilant, le surréaliste André Breton, l’anthropologue Claude Lévi-Strauss, l’artiste cubain Wifredo Lam, le romancier communiste Victor Serge et l’autrice Anna Seghers.

Mais Kentridge a décidé d’inviter d’autres passagers à cette traversée pour fuir l’enfer. On reconnaîtra donc Suzanne et Aimé Césaire (dont on entendra pas mal de pages de son « Cahier d’un retour au pays natal »), les sœurs Nardal (fondatrices du mouvement anticolonialiste de la négritude), Léopold Sédar Senghor, Frantz Fanon, Joséphine Baker et Joséphine Bonaparte, Trotsky, et même Staline dans une brève apparition.

Voilà qui nous vaut de belles et intenses prises de parole. Propos politiques, artistiques, sociétaux, décoloniaux, philosophiques, poétiques se succèdent, juxtaposant, combinant les atmosphères, les évocations, les thématiques.

Wozzeck magnifié au Liceu

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On conviendra aisément, sur le principe, que la réussite idéale d'un opéra dépend de la combinaison et de l'équilibre d'une série de facteurs-clés : des chanteurs talentueux et engagés, un travail musical d'envergure, un metteur en scène capable de rechercher dans l'âme du compositeur ou du dramaturge et même d'en magnifier le travail et, enfin, des décors et costumes à la hauteur des meilleures espérances... La production du Festival de Salzbourg 2017 présentée actuellement au Liceu réunit tous ces éléments à un degré absolument superlatif. Et l'oeuvre de Buchner, malgré ses deux-cents ans, reste d'une actualité malheureusement cuisante : violence envers les femmes, inégalités sociales, abus de pouvoir, misère et guerres continuent sans prendre une ride... Il est curieux de constater qu’à Valencia, la maison d'opéra la plus proche du Liceu, on programme aussi en ce moment un autre Wozzeck. Alban Berg avait été bouleversé par la pièce au théâtre et se sentit investi par le personnage. Fonctionnaire au Ministère de la Guerre pendant le premier conflit mondial, il écrivait à sa femme en 1918 : « pendant ces cinq ans de guerre j'ai été enchaîné, captif, malade, résigné et, finalement, humilié » Ce sont ces éléments qui vont déchaîner la violence jalouse et la folie de Wozzeck envers Marie, victime innocente d'une structure sociale injuste et absurde. Ce chef d'œuvre est un prodige d'inventivité musicale, en particulier en matière d'orchestration : les couleurs orchestrales sont sans fin et l'utilisation des principes sériels sert parfaitement à souligner l'expressionnisme de la théâtralité de Buchner. Même si une bonne partie de la musique contient des éléments à la tonalité bien tranchée... Le mot de Novalis comme les sons de la harpe éolienne, les objets doivent se présenter en une fois, sans causalité, sans trahir leur instrument semble bien à propos pour définir la musique de Wozzeck. Il faut saluer là le travail extraordinaire du chef Josep Pons qui a su extraire toutes les subtilités théâtrales de la partition, nous offrant des moments saisissants avec des pianissimi insaisissables, des percussions inquiétantes ou des fortissimi implacables. On peut, hélas, encore déplorer son manque de soin pour éviter de couvrir les chanteurs ici et là, ce qui est un paradoxe pour le responsable musical d'une maison d'opéra !