Benjamin Levy, musicien passionné

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Le chef d’orchestre Benjamin Levy fait paraître (5 juillet) un album “Paris est une fête” au pupitre de l’Orchestre de chambre Pelléas et en compagnie de l’excellente violoniste Alexandra Soumm (Fuga Libera), un album qui célèbre les 20 ans de cet orchestre de chambre qui s’est affirmé dans le paysage musical. Dans le même temps, le maestro est directeur musical de l’Orchestre national de Cannes, phalange qu'il a revigorée et déployée avec brio. Rencontre avec un musicien fédérateur et passionné qui va toujours de l’avant. 

Le disque s’intitule “Paris est une fête”. Pourquoi avoir envisagé et enregistré un disque autour de cette thématique parisienne ? 

Depuis pas mal de temps, la musique française, surtout la musique française du début du XXe siècle, occupe beaucoup de place dans mon parcours musical. J’ai un grand intérêt pour des pièces moins connues du répertoire et les partitions légères qui tentent de définir en pointillés, une certaine idée de la France et de style musical français. De plus, la violoniste Alexandra Soumm est une partenaire de longue date de l’Orchestre de chambre Pelléas et l’idée de caractériser notre belle collaboration avec un enregistrement était devenue un souhait commun. Lors de nos concerts en France et à l’International comme au festival Enescu de Bucarest en 2020, il y avait au programme de la musique française. Dès lors, enregistrer Tzigane de Ravel et le Boeuf sur le toit de Milhaud dans sa version violon / orchestre s’est peu à peu affirmée comme une évidence. En ajoutant la Symphonie en ut de Bizet et la Bourrée fantasque de Chabrier, l’ensemble composait un beau panorama de musique française, illustrant des moments festifs et joyeux de l’histoire de France, des débuts de la IIIe république à l’Entre-deux-guerres, période iconique de la fête à la française. L’ensemble se trouvant réuni sous ce titre “Paris est une fête” qui rend hommage au livre d’Hemingway. 

Et donc, pourquoi avoir choisi spécifiquement ces quatre œuvres-là et pas d'autres ? Parce qu’il y a des dizaines, voire même des centaines de partitions qui illustrent cette idée ? 

Tout d’abord, il me faut préciser que l’on n'a pas choisi des œuvres pour illustrer cette thématique. C'est l'inverse qui s’est produit. C'est-à-dire que le titre est venu pour essayer de définir les œuvres que l’on avait choisies. Je trouve que la symphonie en ut de Bizet est une pièce magistrale d’un jeune compositeur qui rend hommage à la musique d’avant, tout en se projetant dans l’avenir. Quant à la Bourrée Fantasque de Chabrier, j'étais tombé sur un article disant qu’il y avait à la Bibliothèque nationale de France des esquisses inachevées d'une orchestration de la main de Chabrier, puisque l’orchestration usuellement jouée et enregistrée est celle du compositeur et chef d’orchestre autrichien Felix Mottl qui est fort éloignée de la légèreté et de l'esprit  de Chabrier ! Du coup, avec le compositeur Thibault Perrine, avec qui nous collaborons régulièrement, nous avons pu consulter la source originale, et il a pu terminer cette orchestration, en se mettant dans les pas de Chabrier. En ce qui concerne Milhaud, avec Alexandra Soumm nous cherchions à inscrire notre lecture dans une dynamique qui rende vie à cet esprit de fête, d’un Paris alors capitale de la bamboche internationale, loin d’une stricte recherche sur la polytonalité comme on l’entend souvent. Enfin, pour Tzigane de Ravel, il y avait l’opportunité de graver en première mondiale l’édition révisée RAVEL EDITION. 

Revenons à Tzigane, qu’est-ce qui vous a motivé à enregistrer cette nouvelle édition ?

Le manuscrit est conservé à Monaco et, par mes fonctions à Cannes, ce voisinage est une sorte de coïncidence passionnante. Mais, avec cette édition, j’aime pouvoir revenir aux sources pures de la musique, non pas dans une dimension muséographique qui ne m'intéresse pas, mais dans une perspective où les sources sont un jaillissement originel qui nous inspire. Je pense toujours à cette petite phrase attribuée à Gustav Mahler qui disait que « la tradition, ce n'est pas se prosterner sur des cendres, c'est entretenir le feu ». Dès lors, je suis très heureux d’avoir pu enregistrer la première de cette nouvelle édition révisée. 

Parlez-nous de votre Orchestre de chambre Pelléas ? 

L’Orchestre de chambre Pelléas, c’est un collectif de musiciens dont toutes et tous se sont choisis. Nous sommes dans une dynamique d’ensemble de nous réunir pour des projets qui nous font vraiment envie et où chacune de nos retrouvailles musicales sont de véritables fêtes, il n’y a donc pas de routine à l’Orchestre de Chambre Pelléas ! Nous ne sommes certes pas un orchestre permanent, mais nous allons célébrer nos 20 ans en décembre prochain ! C’est une belle longévité pour un orchestre qui est un peu une utopie à la base. 

Parlez un peu de votre autre orchestre, l’Orchestre national de Cannes dont vous êtes le Directeur musical depuis 2016. Vous venez de présenter votre nouvelle saison de cet orchestre reconnu “national” depuis 2022. Quel bilan tirez-vous de ces années cannoises ? 


L’Orchestre national de Cannes est une institution complètement différente de l’Orchestre de chambre Pelléas. Même si c’est aussi un orchestre assez jeune car fondé en 1975, c’est un orchestre permanent et institutionnel. Au niveau de la programmation, nous avons couvert de larges parts du répertoire en adoptant une démarche historiquement informée en particulier dans l’approche de Beethoven, Mendelssohn et des débuts du romantisme. Au niveau organisationnel, l’Orchestre national de Cannes s’est adapté aux exigences de notre temps en matière de production, de communication et d'administration. Tout fonctionne très bien avec un directeur général, Jean-Marie Blanchard, qui est un professionnel expérimenté et reconnu. Je suis en poste depuis 2016 et mon contrat initial de 3 ans a déjà été renouvelé deux fois. Il m’a été demandé de rester un an de plus pour préparer les 50 ans de l’Orchestre national de Cannes, en 2026. Cette année anniversaire coïncidera avec la fin de mon mandat. 

Vous avez publié un enregistrement qui rendait hommage aux musiques des années folles et de la Croisette. C'est un album qui fait référence par tous les niveaux artistiques, éditoriaux et il a rencontré un succès considérable. On peut même dire qu’il s’agit d’un modèle en matière de valorisation du patrimoine. Comment est né le projet ? Comment le succès a-t-il été vécu à Cannes ?

A la base, c’est la conséquence d’une idée mise en place par Philippe Bender, l’un de mes prédécesseurs au pupitre de l’Orchestre national de Cannes : le duo de chefs, l’un en cuisine et l’autre à la baguette. L’idée était de mêler cuisine nationale ou régionale avec un programme musical adapté au menu, dans le cadre majestueux d’un palace cannois. Le concept est resté et il y a eu l’Italie, la Russie, la Provence, les USA…En 2019, l’idée a été de proposer comme thème “les années folles”. Après tout, c’est l’époque d’ouverture de tous les grands palaces de Cannes et c’est un âge d’or de la Côte d’Azur. Il y a donc eu un concert en parallèle du repas pour lequel nous avons mené des recherches sur le répertoire musical de ces années folles alors que le chef cuisinier recherchait les recettes de ce temps. Avec la mezzo Pauline Sabatier, qui est de la partie sur le disque, nous avons joué du Moïses Simons, du Maurice Yvain, du Henri Christine. Le succès était terrible et les gens étaient très, très enthousiastes ! C'était vraiment assez surnaturel comme impression de voir revivre cette époque dans les salons du Majestic. Ensuite avec Pauline Sabatier, nous avons continué de travailler en perspective de l’enregistrement, tant pour affiner le répertoire que pour choisir les chanteurs. Le succès du disque a été  très important et c’était un triomphe assez inattendu et considérable d’avoir des critiques élogieuses dans de grands médias internationaux. Je suis bien sûr très heureux de ce disque car je suis persuadé qu’il faut faire des choses différentes que d’enregistrer le « grand répertoire »dans lequel nous  sommes sans doute moins attendus. Construire ce projet par rapport à l’ADN patrimonial de l’histoire et des lieux est bien plus palpitant et porteur de sens. Ce disque a été pensé comme une véritable carte de visite pour cette ville et cette région. 

Quand on pense à Cannes, on pense d’emblée au cinéma. Comment l’orchestre national de Cannes est-il présent sur ce domaine

La musique à l’image est l'un des tropismes de l’orchestre et nous développons d’ailleurs tout un projet autour des musiques de films de Pagnol.

Le site de l'Orchestre de chambre Pelléas : www.orchestrepelleas.com

Le site de l'Orchestre national de Cannes : www.orchestre-cannes.com

A écouter :

"Paris est une fête". Oeuvre de Darius Milhaud, Maurice Ravel, Emmanuel Chabrier, Georges Bizet. Alexandra Soumm, violon ; Orchestre de chambre Pelléas, direction : Benjamin Lévy. 1 CD Fuga Libera. FUG813.

Propos receuillis par Pierre-Jean Tribot

Crédits photographiques : Yannick Perrin

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