Romain Leleu, nuit fantastique et explorations musicales
L’excellent trompettiste Romain Leleu fait coup double. Il lance son nouvel album Nuit fantastique avec son ensemble Le Romain Leleu Sextet mais il lance aussi son propre label. Crescendo Magazine est heureux de s’entretenir avec ce musicien exigeant et érudit, infatigable explorateur des répertoires.
Vous venez de fonder votre label. Dans la vie d’un artiste, c’est un événement majeur ! Qu’est-ce qui vous a motivé à franchir le pas ?
C’est une combinaison d'éléments : être plus proche de nos choix artistiques, être plus proche des gens qui nous suivent et surtout avoir plus d'indépendance. Nous sous sommes dit que la sortie de cet enregistrement pourrait être une fabuleuse opportunité de passer cette étape. Tout s’est ensuite enchaîné et il était plaisant de suivre toutes les étapes de ce projet, de sa conception, à sa fabrication en passant par les aspects de communication.
Votre nouvel album porte le titre de “Nuit fantastique”, comment ce programme est-il né ?
A la base, il y a un projet développé dans le cadre de la Folle Jounée de Nantes où nous jouons chaque année. Le thème de l’édition 2023 était l’ode à la nuit et comme le programme avait bien fonctionné et séduit le public, nous avons eu envie de continuer l’aventure jusqu’à cet album. Les 15 œuvres proposées sont donc des illustrations de cette thématique nocturne avec ses différentes facettes : rêveuse, amoureuse, festive ou même cauchemardesque.
Parlez-nous un peu des œuvres présentées ?
Le choix des œuvres découle d’une sélection avec ses inévitables comme l’évocation de la nuit de la Danse macabre de Saint-Saëns ou les nuits littéraires des deux pièces de Schubert. Il y a aussi le Boeuf sur le toit de Darius Milhaud, une œuvre que j’avais jouée avec plaisir dans sa version orchestrale quand j’étais un jeune instrumentiste et que j’affectionne beaucoup. C’est parfois un hommage comme Night in Tunisia de Dizzy Gillespie, immense trompettiste s’il en est. Tout est un équilibre entre le style et le ton des œuvres. Bien sûr, la thématique nocturne est presque sans fin ! On aurait pu élargir encore plus, ajouter encore plus de pièces, mais il n'y avait pas de volonté d'exhaustivité, mais il fallait que ça tienne sur un programme de disque.
Et plus spécifiquement, comment se passe le choix des œuvres ? C’est une recherche personnelle ou c’est une discussion avec les membres de ton ensemble ?
Je cherche toujours beaucoup des répertoires, j'écoute aussi beaucoup, soit en concert, soit en disque, soit avec des partitions, etc… Je passe beaucoup de temps en quête d'œuvres pour nos projets. Ensuite bien sûr, il y a une discussion avec les musiciens de l'ensemble. Ainsi pour le Boeuf sur le toit, tout s’est concrétisé lors d’une discussion chez moi, à la base je n’y croyais pas trop mais Manuel Doutrelant, notre arrangeur et violoniste m’a dit qu’il lui semblait possible d’arranger le Boeuf sur le Toit en une suite de concert. Manuel Doutrelant est évidemment un interlocuteur essentiel de tous les projets car il y a des choix à faire, ne serait-ce qu'en fonction des tonalités qui ne sont pas mêmes à la trompette qu’aux cordes. Il y a parfois des options que nous envisageons, que nous développons et qui ne fonctionnent tout simplement pas, dans ce cas nous n’avons pas de scrupule à les abandonner car nous ne souhaitons pas faire de compromis et de concession sur nos exigences.
Le disque est sorti à la fin du mois de mai. Vous êtes actuellement en tournée de promotion. Comment se passe cette phrase ?
Pour l'instant, tout se passe plutôt bien. Nous avons pas mal de concerts en France et à en dehors avec l'Allemagne ou la Lettonie. C’est un programme qui va tourner pendant 2 ou 3 ans, c’est un schéma que j’aime bien. Nous fonctionnons, depuis 15 ans, selon ce rythme de projets, cela nous permet de travailler en profondeur. Bien sûr les concerts avec l’ensemble s’intercalent avec mes autres activités de concert en soliste avec orchestre ou en récital.
ONA le label de l’Orchestre national Auvergne-Rhône-Alpes va prochainement faire reparaître un enregistrement de concertos français contemporains (Jolivet - Delerue - Beffa - Matalon - Robin), un album enregistré sous la direction de Roberto Forés Veses. Quel regard portez-vous avec le recul sur cet enregistrement ?
Je suis très heureux que ce disque soit bientôt à nouveau disponible. Tout enregistrement nécessite beaucoup de travail et revoir un album disponible c’est toujours très plaisant, d’autant plus que dans ce cas, il s’agit d'œuvres contemporaines. Ainsi par rapport à la pièce Trame XII de Martin Matalon, nous avons eu la chance d’en donner la première mondiale, de l’interpréter à plusieurs reprises et de la graver. C’est une partition que je n’ai pas rejoué depuis, mais qu’il me plairait de retrouver lors d’un futur programme de concert, mais cela dépend des programmateurs.

Votre discographie est déjà solide et quantitative. Est-ce qu’il y a des enregistrements que vous aimeriez refaire car votre vision des partitions a changé depuis ?
Il m'arrive parfois d'écouter des enregistrements que j'ai pu faire et ainsi entendre ma manière de jouer qui a évolué depuis. L'enregistrement, c'est un peu comme une photo, c'est sur l'instant, même s'il y a une préparation en amont, évidemment, mais c'est quand même le fruit d'un instant, de quelques jours de musique et d'une époque. Dès lors, il y a évidemment des enregistrements que j'aimerai refaire. Prenez cet album de concertos français, je joue maintenant un instrument qui est une trompette de fabrication française et elle est fortement inspirée de la sonorité des années 40-50. Elle est parfaite pour ce répertoire et ces compositeurs et j’adorerai enregistrer le Concerto n°1 de Tomasi avec cet instrument qui ne figure pas encore dans ma discographie. Pour ce qui est de mon enregistrement des concertos classiques de Haydn - Hummel - Neruda, j’aimerai le refaire avec un orchestre historiquement informé.
Vous êtes un passionné de répertoire mais aussi d’instruments. J’ai ainsi lu que vous aviez participé à un projet au Musée de la musique et à la Philharmonie de Paris avec des instruments historiques des XIXe et XXe siècles. Qu'est-ce qui vous motive à chercher justement les instruments, que ce soit du passé, du présent, de d’explorer ces différentes sonorités ?
Ce qui me motive et ce qui m'a vraiment passionné dans ce projet avec la Philharmonie et le Musée de la Musique, c'était en premier lieu d’avoir accès à une collection d'instruments incroyables. Il faut considérer que sont des instruments de musée, à la fois ils sont rarissimes et d'un autre côté, ce qui est le point négatif, c'est que comme ce sont des pièces de musée, elles doivent être conservées telles quelle et elles ne peuvent pas être réparées, modifiées, etc. Dès lors, tous les instruments n’ont pas pu être joués car même s'ils sont très bien conservés, certains n'étaient plus en état de fonctionnement. Mais ce fut une opportunité incroyable. J’ai ainsi pu rejouer le dernier cornet ayant appartenu à Jean-Baptiste Arban, le Paganini de la trompette. Cet instrument avait été donné au musée par sa nièce et personne n’avait pu le rejouer depuis cette donation. Ce fut une expérience émouvante mais aussi perturbante car le son était exactement ce que je cherchais depuis de nombreuses années : un son à la fois brillant et souple, correspondant parfaitement à l’esprit des oeuvres de cette époque. Je suis heureux que ce projet soit édité prochainement au disque par Harmonia Mundi. Je trouve ça passionnant de pouvoir associer l'œuvre et l'instrument le plus idoine, mais sans m’enfermer dans une démarche purement historique.
Le site de Romain Leleu : https://romainleleu.com/
A écouter :

Nuit fantastique, Romain Leleu, trompette ; Romain Leleu Sextet. RL Production.
Propos recueillis par Pierre-Jean Tribot
Crédits photographiques : Amandine Lauriol