Tout pour la musique !
Le Barbier de Séville de Rossini
C’est un « Barbier de Séville » passablement original que le Grand Théâtre de Luxembourg (en coproduction avec le Théâtre des Champs-Elysées à Paris, les opéras de Bordeaux et Marseille) vient de proposer à un public qui n’a pas boudé son plaisir. Pour reprendre le titre de la chanson de France Gall et Michel Berger : « Tout pour la musique » !
On n’oubliera pas que l’œuvre a été conçue dans l’extrême urgence : son contrat est signé fin décembre 1815, elle doit être prête mi-janvier 1816. Voilà qui n’est pas pour gêner le maestro qui compose prestissimo – en treize jours !
Il s’empare donc d’un « bon texte » - « Le Barbier de Séville » de Beaumarchais – considéré dans ses lignes de force essentielles : l’histoire convenue d’un vieillard, Bartolo, amoureux d’une jeunette, Rosine, convoitée par un jeune beau, le Comte Almaviva, aidé dans ses entreprises par un habile entremetteur, Figaro. Toutes « les précautions » du barbon seront « inutiles », pour reprendre le sous-titre de l’œuvre.
La musique en treize jours ? Rossini est un adepte des « partitions durables » ! A côté de notes originales, il va recycler quelques-unes de ses partitions antérieures. Mais qu’on s’entende bien : il ne s’agit pas d’un vulgaire copier-coller. Non ! Il intègre tout cela en une nouvelle partition absolument cohérente.
Une fois de plus, c’est aussi drôle que bien écrit. Mais c’est aussi sacrément virtuose. Un beau défi répété pour les interprètes.
Et Laurent Pelly (avec Paul Higgins pour cette reprise) dans tout cela ? « L’action se passe à Séville » précise le livret. Il n’en est rien dans la lecture judicieuse du metteur en scène. Oubliées les espagnolades, oubliée la couleur locale ! Ce qui compte, c’est que l’intrigue et les personnages deviennent musique en mouvement. Ces derniers n’ont guère d’épaisseur psychologique, ce sont les marionnettes d’un canevas archétypé. L’essentiel en effet, c’est la musique qui naît de/et qui provoque leur agitation, leurs états d’âme. La drôlerie, la farce, les coups de théâtre sont incontestablement dans les notes.
C’est ce que le spectateur découvre visuellement quand le rideau se lève. Sur le plateau, de monumentales feuilles de partition, qui seront façade avec ouverture d’un balcon, place publique, mur d’une salle de musique ou d’une chambre. Les portées, placées verticalement, deviendront les barreaux derrière lesquels Bartolo veut cloîtrer Rosine. Rien d’autre scénographiquement. Les premiers personnages qui apparaissent sont vêtus de noir comme des notes qui vont trouver leur place sur une partition.
Pour le reste, Laurent Pelly fait preuve de son sens comique et scénique coutumier – certains se souviendront de sa « Fille du régiment » ou du « Coq d’or ». Gestes, mimiques, attitudes, sont marqués, rythmés. C’est enlevé sur un tempo sans faille. Il convient aussi de souligner un très beau moment plus poétique quand Rosine se croit trompée par Lindoro-Almaviva : une pluie de feuilles mortes tombe des cintres dans de magnifiques lumières de Joël Adam.
Jérémie Rohrer est en phase avec cette vision sans arrière-pensées dramaturgiques conceptuelles, qu’il communique à l’Orchestre Philharmonique du Luxembourg, requis pour l’occasion.
Quant à la distribution, elle est réjouissante dans sa double implication vocale et scénique : le Figaro de Florian Sempey, homme providentiel descendant du ciel des cintres, est très crédible en malabar tatoué de grande souplesse physique et « morale », s’imposant par la force convaincante de sa voix. Le Bartolo de Peter Kalman est savoureux dans sa « marche au supplice », son corps de plus en plus courbé contredisant ses vains (mais harmonieux) éclats de voix. Alix Le Saux, qui était de la production parallèle « Jeunes talents » aux Champs-Elysées, campe une Rosine exprimant toute l’énergie et les désirs d’une jeunesse bridée. L’Almaviva de Philippe Talbot ne rate pas ses rendez-vous avec les airs périlleux qui lui ont été destinés. Le reste de la distribution (Mirco Palazzi-Don Basilio, Annunziata Vestri-Berta, Guillaume Andrieux-Fiorello, Michel Vaissière-Ufficiale, Jean-Luc Epitalon-Ambrogio) trouve sa juste place dans ce kaléiodoscope rossinien.
Stéphane Gilbart
Grand Théâtre de Luxembourg, le 28 février 2018